Charles Berberian, face B

Charles Berberian, face B

Charles Berberian, face B

Charles Berberian, face B

3 février 2011

Le dessinateur et scénariste de bande dessinée s'est fait connaître avec les albums de Monsieur Jean, publiés avec son ami Philippe Dupuy. L'autre moteur de Charles Berberian, c'est la musique. Elle l'inspire, l'apaise, le fait vibrer. Son dernier album, Jukebox, évoque ses souvenirs musicaux et des rencontres irréelles.

Citazine a rencontré ce passionné des années 70, lors du dernier Festival international de la bande dessinée d'Angoulême.

Pour un fan de musique comme vous, pourquoi ne pas avoir écrit ce type d’album plus tôt ?

Il y a déjà de nombreux dessinateurs, comme Franck Margerin, Gotlib ou Solé, qui ont sorti des albums sur la musique. Et ils l’ont très bien fait. Je ne savais pas comment trouver ma place là-dedans. Je voulais proposer quelque chose qui soit vraiment mon angle de vue. Parler de musique, à ma manière. Je suis un grand lecteur de biographies de musiciens, de livres d’entretiens. Mais je me disais que je n’étais pas capable d’en parler. Et puis, à force d’accumuler anecdotes et lectures, des idées d’histoires me sont venues naturellement. Elles se sont révélé.

Dans l’album Playlist [fn]Playlist, Charles Berbérian (avec la collaboration de Philippe Dupuy), Naïve, 2004.[/fn]

déjà, vous rencontriez Keith Richards…

Dans Playlist, j’ai illustré ma collection de pochettes de mini-discs, complétée par quelques dessins et commentaires. En ruminant certaines idées, j’ai pensé à cette histoire avec Keith Richards. Le fantasme de n’importe quel fan, c’est de rencontrer sa star préférée. Dans mon cas, c’est Keith Richards. Le premier titre auquel j’avais pensé pour Playlist, c’était Comment je n’ai pas rencontré Keith Richards. Une fois terminé, j’ai eu envie de continuer sur cette voie. Ca m’a fait plaisir. J’ai vraiment eu l’impression de passer du temps avec les personnes "rencontrées" dans l’album. J’ai poursuivi la digestion de mes lectures et je m’en suis servi pour aller plus loin avec Jukebox [fn]Jukebox, Charles Berberian, Fluide Glacial, janvier 2011.[/fn].

Pourquoi cette année 1972 est-elle le cœur de l’album Jukebox ?
Cette année-là, j’ai commencé à entendre des titres qui m’ont marqué. J’ai été touché personnellement par la musique. Par des morceaux que je prenais pour moi. Certains titres ont produit un effet très fort sur moi. Mon grand frère (Alain Berberian, le réalisateur, ndlr) a toujours été une sorte de guide dans mes premiers goûts musicaux, c’est à travers lui que je suis tombé amoureux de certains disques. Avec le recul, je me rends compte que ce sont les albums de 1972 que j’ai toujours écoutés. Autour de cette année, il s’est passé quelque chose de fort.

C’est un tournant, tout change. Le milieu musical commence à gagner beaucoup d’argent. Le temps de l’innocence est terminé pour les jeunes artistes. Janis Joplin, Jim Morrison ou Jimi Hendrix sont les premiers à avoir cassé l’ambiance. C’est avec leur mort que l’on découvre, malgré leur charisme incroyable, qu’ils ne sont pas éternels. Ces gamins, ils ont eu tout à coup un pouvoir énorme, de l’argent et ont été propulsés sous les projecteurs à toute vitesse. Ca ne s’était jamais produit. Personne n’a compris ce qui se passait vraiment sur le moment.

En évoquant David Bowie/Ziggy, Leonard Cohen, Phil Collins, et même les Rolling Stones,

n’êtes-vous pas un peu nostalgique de cette époque ?

Oui, forcément un peu. Mais c’est plutôt un regard vers le passé. L’idée, c’était de traiter l’année 1972 non comme un espace temporel, mais comme un lieu. Cela permet de contourner cette nostalgie, de placer le passé dans le présent. D’une certaine manière, c’est ce que fait la musique. Pour moi, le jukebox est un instrument d’une autre époque. Un bel objet. Comme une machine à remonter le temps.
Par exemple, quand on écoute pour la première fois les Beatles de la période 1967-68, à 12 ans, on ne sait pas forcément que c’est un groupe du passé. De même si l’on regarde une photo couleur des Beatles : rien n’indique qu’ils ne sont pas de notre époque. Aujourd’hui, certains musiciens ont le même look. Je pense qu’il est très difficile de situer temporellement telle ou telle musique. Alors qu’il y a encore dix ans, on pouvait le faire.

La musique est donc très présente dans votre vie…

Oui. J’ai commencé à jouer de la guitare vers 16 ans. Ou plutôt à avoir une guitare entre les mains. C’était celle de mon grand-père, elle n’était même pas accordée. Ma première vraie guitare, je l’ai eue à 19 ans.
L’album Playlist m’a permis de me faire connaître dans le milieu musical. Les musiciens sont assez friands de BD qui parlent… de musique, de leurs galères. Une personne qui organise le festival de rock Musiques en Stock, à Cluses en Haute-Savoie, m’a proposé de venir faire une exposition puis d’être présent pendant tout le festival.

Depuis 2004, au mois de juillet, avec Franck Margerin, nous animons Radio Lucien, la radio officielle de ce rendez-vous musical. Désormais, je fais de vraies interviews. C’est comme ça que j’ai rencontré MC5 l’été dernier. De même que Heavy Trash, The Dandy Warhols et Calexico. La musique est de plus en plus présente dans ma vie mais de différentes manières.
Dans Jukebox, j’ai imaginé des rencontres irréelles. Peut-être que la deuxième phase, ce sera de raconter de vraies rencontres. Mais ce n’est pas sûr. Parce que l’imagination donne des libertés…

Qu’écoutez-vous principalement comme musique ?


Je n’écoute pas un seul genre de musique. D’ailleurs, je ne comprends pas très bien les personnes qui sont attachées à un seul style musical et qui affirment que le reste n’existe pas. Pour moi, c’est bizarre autant pour du rock qui tache, de la musique classique ou du jazz. Je peux comprendre cela quand on a 12-13 ans, lorsque l’on n’a pas encore éduqué notre oreille. Mais après, j’ai du mal…
J’aime parcourir des endroits que je ne connais pas, traverser le temps. Passer d’un artiste à un autre. Des Beatles à Bach, en passant par les Beach Boys, puis du doo-wop des années 50 au blues, et terminer par la musique africaine. C’est comme ça que je comprends la musique.
Je suis également sensible à l’idée du projet musical dans son ensemble. Aux trente ou quarante minutes qui le composent. Le tout avec un son homogène sur plusieurs chansons qui donne une texture spéciale.

Avec une place si importante, la musique a-t-elle modifié votre approche de la BD ?

Je me suis mieux compris comme dessinateur à partir du moment où je me suis mis à tendre vers la musique. Par exemple, les expériences de "concerts à dessiner" avec Rodolphe Burger sont fascinantes. Il est sur scène avec ses musiciens. Philippe Dupuy et moi sommes sur le côté, sur deux tables à dessin opposées. Nous dessinons pendant le concert, en même temps. Deux caméras projettent notre dessin respectif pour n’en faire qu’un, sur un écran géant. C’est vraiment un exercice très agréable.
Cette expérience est semblable à des musiciens qui jouent sur un seul morceau. J’aime cette imbrication des sons et cette vision du dessin. La peinture, les sons, les harmonies. D’ailleurs, on parle autant de gammes chromatiques en musique qu’en peinture. C’est ce qui m’aide à envisager le dessin d’une manière plus piquante, plus motivante et plus excitante. C’est ma vision, je ne cherche pas à convaincre.

Y a-t-il des valeurs communes à la musique et à la bande dessinée ?

L’une des fonctions de la musique, c’est l’échange. Se rassembler pour parler des heures de nos goûts, pour chanter. Pour transmettre aussi. La musique a ce pouvoir de réunir les personnes avec élégance, avec une certaine sensibilité. Je pense que les livres peuvent avoir ce pouvoir. Mais lire un roman ou une BD, au contraire, c’est avant tout une expérience solitaire.
Pour moi, de tous les arts d’expression (peinture, sculpture, danse, cinéma, BD, etc.), la musique se place en haut de la pyramide. Tout ramène et aboutit à la musique. Tout tend vers la musique. C’est la forme d’art la plus forte, la plus puissante. Le dessin, lui, a quelque chose de pré-musical.

Vous jouez toujours de la guitare, avec différents camarades…

Je fais de la musique (le modeste nous reprend quand on le qualifie de musicien…) avec Jean-Claude Denis et Ludovic Debeurme, également auteurs de BD et amoureux de musique. Avec Jean-Claude, nous avons écrit, composé et interprété Nightbuzz, un CD de treize titres accompagné d’un livret illustré. C’est lui qui m’a fait découvrir en profondeur JJ Cale et Ry Cooder. Quel bonheur de plonger dans l’univers de ces artistes.
De nombreux auteurs de BD sont musiciens. Il nous arrive donc, pendant les festivals de bande dessinée, de nous retrouver autour d’une table, avec nos guitares. C’est très plaisant ! Encore un moment de partage.

Dans Tombé du ciel [fn]Tombé du ciel, T. 1, récit de Charles Berberian, dessins de Christophe Gaultier, Futuropolis, janvier 2011.[/fn]

, un roman graphique sorti il y a quelques jours, le héros est… un musicien raté. Encore la musique…

Avec cet album, c’est un peu le jeu de la transposition. L’idée, c’est de pouvoir bâtir des personnages qui seraient moi, mais pas complètement. Nous avons partagé notre vision du personnage avec Christophe Gaultier, co-auteur. Dans cet album, la musique permet de mettre en place un petit drame : le cauchemar de tout musicien, c’est de monter sur scène et de ne pas se souvenir des accords ou des paroles de la chanson. C’est ce qui arrive à Emile…
Jukebox sort quasiment en même temps, mais ce n’est pas volontaire. Ces deux titres évoquent la musique, c’est vrai, c’est très parlant.

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