Fait maison, l’esprit fanzine

Fait maison, l’esprit fanzine

Fait maison, l’esprit fanzine

Fait maison, l’esprit fanzine

13 octobre 2011

Passion commune : les fanzines. Objectif partagé : éditer eux-mêmes leurs œuvres. Ces auteurs, illustrateurs, dessinateurs amateurs débordant d'énergie et d'imagination font avec leurs moyens... souvent faibles. Selon le principe du Do it yourself. Ils étaient réunis à Paris, le temps d'un Festival. Rencontre.

Les couvertures sont souvent très colorées, bariolées et renferment des trésors bien différents les uns des autres. Il y a aussi quelques objets non identifiés en noir et blanc. Plus sobres. Livres, BD, illustrations, gravures, collages, vinyles et évidemment fanzines, ils ont tous la particularité d’être auto-produits et graphiquement atypiques. Grâce au Festival Fanzines !, ces œuvres hétéroclites ont été réunies en un même lieu. Un état d’esprit bien particulier anime leurs auteurs, celui des fanzines. Et si l’on ne colle pas forcément à la référence "magazines de fans" ("fan-zines") du mouvement punk des années 70 – les fanzines historiques – le côté artisanal des productions est incontournable. « Il n’est pas facile de déterminer des critères pour définir ce qui est, ou non, un fanzine, mais ce qui nous réunit, c’est que dans cette une forme de publication, on fait tout nous-mêmes, souligne Volker Zimmermann, membre de l’association Papier Gaché, l’un des organisateurs du Festival. Eventuellement, certains ont recours à un imprimeur, mais ça ne va pas plus loin ».

Pour la plupart des auteurs, une photocopieuse ou une imprimante de bureau font très bien l’affaire. Les agrafeuses sont également leurs meilleures amies. Rien de mieux qu’une agrafe en guise de reliure ! Ce côté "fait maison" est recherché, cultivé même. C’est presque un choix esthétique, un trait de caractère. « Pour moi, le fanzine se débarrasse de tout ce qui est trop soigné. C’est peut-être une forme plus simple, plus authentique qu’une autre publication, précise Loïc Gaume, auteur, dessinateur et éditeur chez Le Détail. On est aussi complètement autonome, on est les décideurs de ce qu’on veut publier. » « Faire un fanzine, c’est avoir une liberté totale. Si tu as une idée, envie de faire un gribouillage, tu as le droit de le photocopier, puis de le donner ou de le vendre, renchérit Gaëlle de Manufacture Errata. Sans se poser d’autres questions ou s’occuper de savoir si ça va plaire ou non ». Guillaume, du label Vilain Chien Records est lui très attiré par l’absence de perfection qui peut exister dans les œuvres inspirées du fanzine. « Dans cet esprit, il peut y avoir des trucs ratés, d’autres réussis, et d’autres entre les deux. Les erreurs sont des choses très charmantes, c’est de la poésie. »

Qui dit auto-production dit forcément petits tirages et faible diffusion. Pas question ici de viser le grand public. Autant pour une question d’argent que pour une évidente raison de faisabilité. Les exemplaires étant confectionnés – et parfois peaufinés – à la main, la grande échelle n’est pas l’objectif. « Certaines publications sont tellement spéciales qu’il n’y a tout simplement pas le public pour en faire une large diffusion. Ce que l’on fait est tellement original, et même bizarre pour certains, que ça ne serait pas possible de trouver 500 ou 1 000 acheteurs potentiels », poursuit Volker Zimmermann dont le dernier numéro de Papier Gaché (couverture avec pochoir et peinture acrylique) a été tiré à 200 exemplaires. Guillaume, son acolyte musicien du label Vilain Chien Records ne dit pas autre chose, même si l’échelle n’est pas la même. « On peut très bien avoir un truc très intéressant à exprimer, qui va intéresser uniquement 1 000 personnes. On n’est pas toujours obligé de faire 10 000 exemplaires d’un produit, un CD par exemple, on peut aussi rester à l’échelle de notre propos. »

Pouvoir réinvestir l’argent récolté dans le projet suivant

« Le faible tirage et la micro-édition nous permettent de tester des objets plus spécifiques, sans risque économique énorme, et en s’amusant en plus, argumente Alexandre Chaize des Editions du Livre, une petite structure associative. Le but étant d’arriver à susciter une curiosité chez des personnes. On peut même avoir de petits succès. » Diffuser à grande échelle signifierait aussi s’appuyer sur des distributeurs. Ce qui engendrerait des coûts supplémentaires pour écouler les stocks. Or l’esprit fanzine, c’est bien de vendre au prix le plus juste. Un prix peu élevé. Pas de vocation commerciale dans cette activité artistique. Pour être concret, un exemplaire de Papier Gaché a un coût de production de 5,50 euros alors qu’il est vendu 8 euros au public. De la même manière, un 45 tours chez Vilain Chien Records est vendu 5 euros et coûte 3,50 euros à fabriquer.

La marge n’est pas recherchée, l’objectif de ces structures, c’est de pouvoir réinvestir l’argent récolté dans le projet suivant. « Nous sommes constitués en association. Notre économie, c’est de vendre des livres pour imprimer et produire les prochains », souligne Alexandre Chaize. Chez Vilain Chien Records, on est encore plus idéaliste. « Quand on sort un disque, l’idée c’est de le rembourser évidemment, mais c’est très rare à cause des frais annexes. Mais finalement, on peut aussi faire un projet artistique et sincère sans rien espérer en retour. Ce qui ne veut pas dire sans enjeu, explique Guillaume, musicien par ailleurs. Quand on édite une œuvre, on n’attend rien. Le stock s’écoule très tranquillement. C’est long et difficile, il faut beaucoup de temps pour gagner des cacahuètes, mais on a la satisfaction de participer à un projet intéressant ».

On l’a compris, ce n’est pas l’argent qui motive ces amoureux du papier, des dessins, du découpage et du collage. Tous ont une activité professionnelle à côté de cette passion. Un fanatisme gourmand en énergie et en temps, mais peu rémunérateur. « Vivre des fanzines, ce n’est pas possible », sourit Volker Zimmermann, traducteur indépendant dans son autre vie. « C’est uniquement par plaisir et ça remplit notre temps libre, affirme pour sa part Alexandre Chaize, graphiste. Il y a aussi un petit côté jeu pour moi. Jouer à l’éditeur alors qu’on n’est pas éditeur. »

Ces auteurs et éditeurs souvent à la marge, symboles d’un courant alternatif, ont en commun l’envie de créer d’une autre manière. Sans code. Hors des conventions. Une position qui ne cherche pas pour autant la confidentialité ou à être volontairement underground. Juste l’envie de fabriquer à la maison, dans l’atelier, le salon ou sur la table de la cuisine. Do it yourself !
 

> Fanzines ! Festival de l’auto-édition graphique, jusqu’au 23 octobre. Exposition de fanzines du monde entier et d’œuvres originales d’artistes de l’auto-édition. Médiathèque Marguerite Duras, 115 route de Bagnolet, Paris XXe.

 

Zoom, totalement subjectif, sur cinq projets d’auto-édition

Manufacture Errata

Yan Charpentier et Gaëlle Loth, deux étudiants aux Beaux-arts à Lyon, sont à l’origine de cette structure – qui n’a pas encore le statut d’association. Une belle illustration du Do it yourself, alliant photocopiage, collage, pliage et découpage. Ici, tout est fait maison, avec les moyens du bord. Un petit coup de cœur pour le fanzine collectif I want to believe, une cinquantaine de pages traitant de science-fiction, de l’étrange, édité à 150 exemplaires. « Un vrai magazine de fans qui fédère les lecteurs. Nous avons très peu d’acheteurs, mais ce sont des passionnés, et souvent ils deviennent auteurs ensuite. Nous les éditons dans les numéros suivants », explique Gaëlle, auteur de la plupart des publications.
Manufacture Errata édite aussi Faire un fanzine (format A5, 30 pages), un petit manuel pour « fabriquer soi-même un super fanzine ». Suivez le guide…

 

Papier Gaché

Cette maison d’édition indépendante (une association) a été créée en 2008 par Bastien Contraire et Romina Pelagatti. L’un vient de la bande dessinée, l’autre du dessin. Œuvre majeure, le graphzine Papier Gaché, format carré (21 x 21 cm), très soigné, avec couverture (pochoir et peinture acrylique) et reliure faites à la main. « Depuis le numéro 3, nous avons recours à un imprimeur numérique. Nous avons professionnalisé une partie de la fabrication, mais intervenons toujours sur chaque couverture. Chaque exemplaire est passé par nos mains, précise Volker Zimmermann qui a rejoint la bande à partir de ce troisième numéro. Il y a toujours des petits défauts, des changements dans l’aspect ».
Papier Gaché édite également des hors-séries "fanzine-cassette", un pack composé de dessins et chansons d’un même auteur.

 

Éditions du livre

Là encore, une association. Toute récente puisque les Strasbourgeois Frédérique Rusch et Alexandre Chaize l’ont lancée début 2011. L’objectif ? « Publier des idées en forme de livres, en collaboration avec des artistes, graphistes et illustrateurs ». Des objets parfois figuratifs, parfois abstraits. Coup de projecteur sur cet étrange objet, Kosho Kosho, édité à 100 exemplaires, sorte de livre-maquette de 16 pages, créé par l’artiste japonaise Mogu Takahashi. « Un fanzine de base, simple, en papier, agrafé. En fait, on a demandé à l’artiste de recomposer son espace de travail, en papier, et la couverture correspond à son bureau. Ce livre peut être découpé et les éléments pliés puis assemblés. Un objet qui n’est pas un simple recueil de dessins », explique Alexandre Chaize.
La structure collabore avec de nombreux auteurs étrangers et a fait le choix de recourir à un imprimeur numérique qui permet d’obtenir un résultat très professionnel. « En tant que micro-éditeur, mon travail c’est d’imprimer le mieux possible le travail de l’artiste. »

 

Les détails

Loïc Gaume a commencé avec le fanzine, pendant trois ans. Du papier A3 photocopié, plié, agrafé qu’il distribuait avec succès, il est passé à une forme plus aboutie en créant sa propre structure d’édition. Ce graphiste, qui vit en Belgique depuis six ans, a lancé Wafel ("les gaufres" en flamand) : une collection de onze récits autobiographiques, des livres-chapitres découpés, imaginés et créés de toutes pièces. Chaque ouvrage (format 19×14 cm, entre 8 et 36 pages), très soigné, est consacré à une ville (Bruxelles, Barcelone, Berlin, etc.) et cache une carte à déplier. Pas forcément l’esprit BD chez lui, mais la nécessité de raconter des choses. « Si j’écrivais mieux… j’aurais fait des nouvelles. Je raconte mieux en image qu’en texte », souffle le jeune homme de 28 ans. Une exploration minutieuse.

 

Le Vilain Chien Records

Voilà un label original – une association – qui propose des disques (vinyles, CD-R) et des fanzines, livres en papier photocopié. Des œuvres tirées à 300 ou 500 exemplaires. Un contenu très graphique dès la pochette du vinyle. A noter, la collection Les Joyaux de la couronne, une revue bimestrielle, tirée à 100 exemplaires, aux couleurs joyeusement flashy. Un bien joli ovni, composé d’un CD, un poster sérigraphié, un mini-magazine (« une aventure dessinée »)… et un gadget surprise !
Quel est le style de musique produite par Le Vilain Chien Records ? « De la musique un peu bancale, comme des dessins un peu ratés, hésitants, mais en musique. Avec un côté joyeux et brinquebalant », lance Guillaume, l’un des deux maîtres à bord. Au-delà de l’aspect déjanté, le musicien a une démarche engagée à travers ce label. « Pour moi, le fanzine, c’est clairement un truc politique, c’est-à-dire le refus du système tel qu’il est fait, car il est injuste pour les auteurs, les artistes qui ne touchent pas grand-chose ». Le chien monte la garde.

 

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