Le vampire, ce suceur de sang, fait les beaux jours de la littérature pour ado, cartonne au box-office et multiplie les séries télé. Buffy contre les vampires, Vampire Diaries, True Blood, Twilight, Dracula, Entretien avec un vampire, les romans d’Anne Rice…
L’immortel qui n’aime pas l’ail a vu sa cote de popularité exploser en France ces quinze dernières années, mais est une star incontestée chez les Anglo-saxons depuis le XIXe siècle. « Ils ont une très forte tradition de littérature fantastique. On est plus cartésien en France », explique Marjolaine Boutet, spécialiste de l’Histoire des Etats-Unis et de la culture populaire. Elle est aussi une sériphile. Et une grande passionnée de vampires, thème de réflexion de l’un de ses ouvrages, Vampires, au-delà du mythe.
Avec elle, Citazine s’intéresse au phénomène vampire, objet de désir, de peur, personnage polymorphe qui a beaucoup évolué depuis que la littérature s’est emparée de lui. « Le premier roman qui met en scène le vampire moderne est The Vampyre, 1819. On l’attribue alors à Lord Byron, ce qui en fait un gros succès de librairie, mais l’auteur est en réalité son médecin personnel, John Polidori. Il s’est d’ailleurs largement inspiré de Lord Byron. » On y découvre le vampire moderne, éduqué, expérimenté, nanti et élégant. « Il est pâle, maigre et beau. Loin des grosses créatures de l’époque médiévale. » Le vampire de l’Occident est né mais il n’est pas encore parfait. Ce qui fera du vampire le personnage super star de la littérature gothique est le Dracula de Bram Stoker. Un goût prononcé pour la destruction et la manipulation, des instincts de mort, une élégance rare, un charme fou. « C’est Eros et Thanatos, les deux questionnements fondamentaux de l’espèce humaine. »
Avec les évolutions de la société, l’image du vampire se transforme. Comme un potentiomètre, il prend le pouls des Hommes et en dit long sur les mœurs de son époque. « Le vampire permet véritablement de capter l’air du temps. » Après les années Buffy, Twilight et True Blood prouvent à quel point le vampire fait recette mais opposent aussi deux façons d’idéaliser la société. Alors, que nous disent les vampires ?
True Blood vs Twilight
En 2011, deux représentations opposées du vampire s’affrontent. D’un côté le sage Twilight, de l’autre le fougueux True Blood. L’un est une série de romans adaptés au cinéma, l’autre est également une série de romans de Charlaine Harris, adaptée cette fois à la télévision. Vu de loin, ça se ressemble. En y regardant de plus près, deux idéaux de société s’opposent.
« Twilight prône le retour aux valeurs traditionnelles et au fondamentalisme chrétien. Un véritable mouvement aux Etats-Unis. »
Non, le puritanisme à l’américaine n’est pas un mythe. Stéphanie Meyer, l’auteure, est une mormone tout à fait convaincue qui veut ramener les jeunes âmes égarées à une morale chrétienne trop souvent bafouée. Pour faire passer le message, elle utilise la figure du vampire et met en scène une famille de vampires unie, morale et respectueuse des sacrements chrétiens tels que le mariage. Edward Cullen, le gentil vampire, veut attendre le mariage pour trousser sa dulcinée, l’humaine Bella, dont il est immédiatement tombée amoureux. La dulcinée est réticente, c’est une fille de divorcés. Mais il parvient à la convaincre parce que le bien gagne toujours. « Twilight incarne un mouvement de rejet de cette société où il n’y a plus de règles, où le bien et le mal ont disparu et où les gens divorcent. Dans Twilight : quand on aime, on aime pour la vie ! »
Ces règles sont balayées par les odieux personnages de True Blood, sans foi ni loi, mais qui ont tout de même les idées larges. La série met en scène deux personnages principaux, Sookie Stackhouse, amoureuse du vampire Bill Compton. Autour gravite une faune incroyable, vampires, loups-garous, métamorphes, humains… « C’est tout l’esprit post-soixante-huitard qu’on retrouve dans True Blood. C’est le droit à la différence, le droit à la folie, tout le monde est surnaturel. Et tout le monde s’aime, plus ou moins bien. » Et ce manichéisme de rigueur, jusqu’à l’overdose dans Twilight, est complètement chamboulé. Les personnages sont plus complexes. Les gentils sont parfois méchants. Et il arrive même aux méchants d’être gentils.
Deux idéaux de la société américaine prennent corps dans ces fictions vampiriques. « Le vampire représente un monde qui est de plus en plus divisé entre les héritiers de la libération sexuelle, de la société permissive des années 70 et ceux qui prônent un retour aux valeurs traditionnelles chrétiennes. »
Sexualité débridée contre puritanisme
Quand la figure moderne du vampire a fait son apparition chez les romantiques et dans la littérature gothique, le XIXe siècle se remettait à peine du XVIIIe. Libertinage décomplexé, corps tout feu tout flamme prêts à tout pour la jouissance, les années 1800 ont préféré se rhabiller. L’Angleterre victorienne n’a pas inventé les cols roulés mais aurait bien aimé. Comment se défouler sexuellement, profiter au moins un peu du plaisir de la chair sans se rendre coupable ? Le vampire devient un personnage idéal sur lequel la société victorienne projette ses fantasmes. Un corps humain, auquel on s’identifie facilement, capable de toutes les folies, mais mort et fictionnel. Dès lors, la porte est ouverte au déferlement lubrique. Viol ? Multipartenarisme ? Triolisme ? Bondage ? Homosexualité ? Pas de problème, le vampire relève tous les défis. Surtout le comte Dracula.
Il devient alors un réceptacle à fantasmes pour les guindés de Victoria. Parce que les mœurs n’autoriseraient pas la plus petite allusion à de telles pratiques si elles mettaient en scène des êtres humains, le vampire offre une échappatoire à la frustration.
Alors qu’hier, les corps étaient rongés de frustration, en attente de liberté sexuelle, aujourd’hui, c’est tout le contraire ! « Actuellement c’est le puritanisme qui n’est plus politiquement correct. Alors, là encore, on va le chercher dans la figure du vampire pour exprimer un idéal puritain. » Et voici que la pudibonderie de Twilight refait surface comme une posture de rébellion face à un déferlement de sexe dans notre société. « Maintenant, on parle de sexe tout le temps partout. Les magazines féminins multiplient les tests. On parle de performances, de sex toys à tout bout de champ. Avec Twilight, les adolescents peuvent seulement se tenir la main et ça leur suffit. Ils ne sont pas obligés de faire des plans à trois à 15 ans ! »
Lorsque parler de sexe est interdit, on trouve le vampire pour s’adonner au plaisir charnel, sans limite. Lorsque le sexe s’immisce dans les moindres recoins, on trouve encore une fois le vampire pour rester chaste. Le vampire est un personnage indéniablement pratique.
Les années 70 et l’acceptation des différences
Si le visage moderne du vampire est né au XIXe, la vision qu’en ont les Hommes bascule avec les années 70. Les années 60, la libération sexuelle et le souffle de liberté qui embrasèrent l’Occident ont alors changé la perception de l’autre et de sa différence. Dans la littérature gothique, le vampire finit toujours mal, un pieu dans la cage thoracique la plupart du temps. Il est salement détruit, ce qui n’éveille aucun scrupule chez son bourreau.
Mais avec Woodstock, les hippies, le sentiment de fraternité exacerbé, le personnage du vampire n’est plus l’homme (façon de parler) à abattre. Mais il est l’être différent qu’il faut essayer de comprendre. « C’est très clair dans Entretien avec un Vampire, d’Anne Rice, publié en 1976. On prend la peine d’écouter et de comprendre le vampire. Avant, toutes les fictions de vampire se terminaient par la destruction du monstre qui n’est pas comme nous et qui est maléfique. Là, on prend le temps de comprendre les pulsions, les différences. Et on apprend à vivre avec. »
C’est aussi l’avènement de la psychiatrie, le moment où les vices deviennent des maladies qu’il faut soigner. « Pervers, drogués, alcooliques, on ne les appréhende plus de la même façon. On cherche à les guérir. »
Le Bal des vampires – Bande annonce FR par _Caprice_
Le Bal des Vampires de Roman Polanski, à la fin des années 60, casse le mythe du vampire sans humanité malgré son apparence. Dans cette jungle vampirique, on trouve des vampires homosexuels, juifs et sourds. Ils vivent ensemble selon des normes sociales. Et remportent même la mise sur l’espèce humaine à la fin du film. Pas de destruction du monstre cette fois.
« Les années Sida et la fin de la guerre froide ajoutent à cette image positive du vampire. » Ces deux éléments majeurs de l’histoire de l’humanité ont profité à la réputation du vampire. Au début des années 80 débute l’épidémie de Sida. La panique s’installe dans les années 90, on a peur du sexe et on a peur du sang. « Le vampire fait alors fantasmer par son don d’immortalité et son sang pur alors que le sang de l’humain est facteur de mort. Le sang du vampire devient quelque chose qui guérit, une alternative au sang humain qui rend malade. » Dans True Blood, qui a débuté en 2008, le sang de vampire est largement utilisé pour guérir les humains. Ils boivent directement à la source ou absorbent des fioles de V, le sang de vampire. Ils peuvent même développer une addiction au V.
Les années 90 représentent aussi les premières années sans l’opposition des blocs Est Ouest. Une aubaine pour le vampire. Celui-ci est originaire des Balkans. Le comte Dracula possédait une sombre demeure dans les Carpates, région montagneuse de Roumanie. Quoi de plus facile, pour un Occidental, jusqu’en 1989, de détester un type de l’Est ! C’est forcément un salop, il est communiste. Avec la chute du mur et l’URSS qui a périclité, il est alors moins aisé de haïr. « Le monde fut déstabilisé. Fini le concept des méchants communistes et des gentils capitalistes. Avec la fin de la guerre froide, le vampire a cessé d’incarner le communiste. On a appris à vivre ensemble. »
Bella contre Buffy
La première, héroïne de Twilight, rêve de devenir une princesse. « Dans les contes de fée, la jeune fille rencontre le prince charmant qui l’emmène dans leur château. Cette fois, elle rencontre un vampire qui la transforme en vampire. Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. »
La condition de vampire devient alors un rêve. Celui notamment de Bella qui ne pense qu’à être transformée en vampire dès lors qu’elle rencontre son prince charmant, le vampire Edward. Elle est l’antithèse de Buffy, la tueuse de vampires. Forte et indépendante, Buffy est une héroïne féministe. Si deux conceptions du vampire s’affrontent actuellement sur les écrans, deux conceptions de la femme s’affrontent également.
« Buffy, et même Elena de Vampire Diaries, sont les anti Bella. Elles sont fortes et tombent amoureuses d’êtres surnaturels pour construire une relation amoureuse équilibrée mais ces relations sont tout de même compliquées. Car Buffy, contrairement à Bella, ne veut pas devenir vampire. Bella se soumet, la relation de couple est très simple. »
N’empêche que ces deux héroïnes ont tout de même un point commun. Elles sont amoureuses de vampires, Edward pour Bella, et le sombre Angel côté Buffy. Des jeunes filles mortelles et vierges tombent dans les bras de ténébreux vampires, âgés de plusieurs centaines d’années, très expérimentés et qui se positionnent en professeurs.
Oui, Buffy est féministe. Non, elle n’est pas en rupture avec les clichés de la domination masculine. Peut-être est-ce la prochaine étape dans l’évolution des vampires ? Une vampire expérimentée, sage et élégante faisant l’apprentissage d’un jeune homme vierge.
> Vampires, au-delà du mythe, Marjolaine Boutet, editions Ellipses, 2011.