« Un hiver à Yanji », mélancolie glacée

« Un hiver à Yanji », mélancolie glacée

« Un hiver à Yanji », mélancolie glacée

« Un hiver à Yanji », mélancolie glacée

Au cinéma le 22 novembre 2023

À Yanji, ville frontalière du nord de la Chine, trois jeunes adultes se lient d'amitié après une soirée festive. Au sein de cet hiver glacé, leur relation va les confronter à leur passé et à leurs secrets. Dans le paysage enneigé du Mont Changbai, Un hiver à Yanji échauffe les désirs ardents et les regrets pétrifiés d'un trio à la dynamique ambiguë. Moment suspendu avec la nature comme échappatoire illusoire, cette exploration de l'errance spirituelle de la jeunesse chinoise baigne dans une mélancolie délicate entre espoir et abattement.

Venu de Shanghai pour un mariage, Haofeng (Liu Haoran) se sent un peu perdu à Yanji, ville du nord de la Chine située à la frontière avec la Corée. En quête d’un peu de chaleur humaine au sein de cet hiver glacial, il accepte l’invitation à boire un verre de Nana (Zhou Dongyu), une jeune guide touristique rencontrée lors de son voyage en car.

Elle lui présente pour l’occasion Xiao (Qu Chuxiao), un ami cuisinier. Après cette première soirée festive, les trois jeunes adultes ne se quittent plus. Haofeng se laisse d’ailleurs convaincre de rester quelques jours de plus à Yanji pour profiter des paysages et forêts enneigés du Mont Changbai. Leur relation prend alors une tournure plus intense.

Un hiver à Yanji © Canopy Pictures - Huace Pictures - Nour films

Sortie dans l’espace

Après deux années de confinement à cause de la pandémie, Anthony Chen est pris d’une envie irrésistible et compréhensible de nouveaux espaces. Pour échapper à la crise existentielle dans laquelle l’a plongé cet isolement forcé, le cinéaste singapourien opte pour un film en dehors de sa zone de confort. Et quoi de mieux que les paysages enneigés et assez inhospitaliers du Mont Changbai pour changer radicalement d’air ?

Dans ce climat et cette terre qu’il ne connaît pas, Anthony Chen se fixe un objectif assez ambitieux : capturer l’esprit de la génération actuelle des jeunes Chinois, incarnée par le trio Haofeng, Nana et Xiao. Et pour relever ce défi, le réalisateur fonce dans ce projet mené tambour battant, de l’écriture jusqu’à la post-production, et bouclé en un temps record.

Une expérience avec une part d’improvisation assumée que le cinéaste décrit comme une « aventure sauvage » et une « lettre d’amour aux jeunes Chinois ». Une sorte d’immédiateté plane en effet sur ce drame glacé contrebalancé par la mélancolie latente d’une génération tiraillée entre rêves et fuite du réel.

Un hiver à Yanji © Canopy Pictures - Huace Pictures - Nour films

État versatile

La contrée enneigée de Yanji n’a pas été choisie par hasard par le cinéaste. Il ne s’agit pas seulement de se confronter à une nature peu avenante. Anthony Chen avoue une véritable fascination pour la glace. Aussi belle que potentiellement fatale, la glace est le symbole d’un état changeant, passant indéfiniment du liquide au solide.

Cette mutation éternelle se retrouve dans l’attitude des trois jeunes Chinois qui semblent chacun en attente d’un changement brutal dans leur vie tout en le redoutant. Malgré le délai qu’il s’accorde, Haofeng n’est pas dupe : il sait que toute cette aventure n’est que passagère. Solidaires, les atomes de glace vont devoir lâcher prise, changer de statut et retourner à la forme liquide. Bientôt chacun n’aura plus que des souvenirs de cette rencontre comme hors du temps où l’individuel prend plaisir à se perdre dans le collectif.

Un hiver à Yanji © Canopy Pictures - Huace Pictures - Nour films

Étrange flottement

Ce caractère mouvant de toute chose imprègne le film d’une mélancolie omniprésente qui sied parfaitement aux paysages immaculés. Comme le blanc d’une page vierge où écrire la suite incertaine de leurs destins. Avec un scénario écrit progressivement et inspiré par le lieu, Un hiver à Yanji est parcouru d’une certaine fébrilité héritée d’un tournage qui s’est imposé une limite de quelques jours pour être terminé.

Ce sentiment de transition que ressentent Haofeng, Nana et Xiao, chacun à leur manière, est renforcé par ce lieu particulier, véritable melting pot de culture. Un attrait pour l’étranger qui se retrouve dans tous les films d’Anthony Chen : du lien entre un enfant de 10 ans et son assistante philippine dans son premier long métrage Ilo Ilo (2013), récompensé de la Caméra d’Or au Festival de Cannes, à Drift (2023), réunissant un réfugié africain et un guide touristique américain.

Avec sa population à moitié coréenne, Yanji était le terrain parfait pour évoluer dans une atmosphère aux repères mouvants. Un flou artistique renforcé par le trio qui n’est pas originaire de la région et dont le milieu d’origine reste mystérieux. Cette perte de repères offre un écho d’autant plus important à la quête spirituelle de Haofeng, Nana et Xiao.

Un hiver à Yanji © Canopy Pictures - Huace Pictures - Nour films

Et de trois

Avec son trio composé de deux hommes et une femme, Un hiver à Yanji incite à la comparaison avec un autre célèbre triangle amoureux cinématographique. Anthony Chen ne cache pas l’inspiration puisée auprès de Jules et Jim (1962) de François Truffaut. Le clin d’œil à la Nouvelle Vague française est également présent avec une scène de chapardage dans un magasin faisant écho à Bande à part (1964) de Jean-Luc Godard.

Mais la comparaison avec le trio de Truffaut faisant de Jeanne Moreau son centre de gravité a ses limites. Les relations entre Nana et ses deux prétendants, Haofeng et Xiao, sont plus ambiguës et difficiles à dénouer. Si le corps à corps se réalise dans un cas – avec des scènes d’un érotisme délicat, il s’agit plutôt dans l’autre d’un jeu du chat et de la souris sentimental.

Sur le terrain de la romance et du sexe, Un hiver à Yanji déjoue l’entente de la lutte masculine pour conquérir la femme. Là aussi un sentiment de flottement s’impose avec un trio à la forme et aux dynamiques sans cesse mouvantes qui fait écho aux incertitudes de ses protagonistes.

Un hiver à Yanji © Canopy Pictures - Huace Pictures - Nour films

Peinture abstraite des désillusions de la jeunesse chinoise, Un hiver à Yanji laisse en suspens le passé pour se concentrer sur les possibilités qui s’offrent à son trio. Un moment hors du temps au sein d’une nature immaculée invitant à l’introspection pour réviser les échecs et déceptions. Un voyage dont l’aspect volontairement éthéré peut dérouter mais à la mélancolie presque apaisante, étonnamment lumineuse.

> Un hiver à Yanji (Ran dong), réalisé par Anthony Chen, Chine – Singapour, 2023 (1h37)

Un hiver à Yanji (Ran dong)

Date de sortie
22 novembre 2023
Durée
1h37
Réalisé par
Anthony Chen
Avec
Zhou Dongyu, Liu Haoran, Qu Chuxiao
Pays
Chine - Singapour