« Rapture », la peur en clair-obscur

« Rapture », la peur en clair-obscur

« Rapture », la peur en clair-obscur

« Rapture », la peur en clair-obscur

Au cinéma le 15 mai 2024

Lorsque plusieurs jeunes hommes disparaissent mystérieusement en pleine nuit, la peur s'empare du village indien de Meghalaya. Alors que certains villageois accusent des étrangers de passage, d'autres y voient le signe d'une apocalypse imminente. Avec ses images captivantes convoquant des ténèbres symboliques, le cinéaste exorcise avec Rapture ses souvenirs d'enfance. Drame vécu à hauteur d'enfant, cette étude du repli sur soi éclaire subtilement les obscurs mécanismes de la peur.

Au nord-est de l’Inde, plusieurs jeunes hommes du village de Meghalaya disparaissent dans les bois sans laisser de trace. Pour les anciens, les étrangers de passage aperçus récemment autour de la communauté sont coupables de ces enlèvements nocturnes.

Selon le prédicateur (Celestine K. Sangma), il s’agit des prémices d’une apocalypse de 40 jours et 40 nuits qui va plonger les habitants du village dans l’obscurité. Au cœur de toute cette agitation, Kasan (Torikhu A. Sangma), un jeune garçon de dix ans souffrant de cécité nocturne pour qui les forêts entourant le village n’ont jamais paru aussi terrifiantes.

Rapture © photo Capricci

Trauma d’enfance

Après son premier long-métrage Ma’ama (2018), Dominic Sangma continue de s’inspirer de sa vie avec Rapture. Comme lui lors de son enfance, le jeune Kasan est atteint de nyctalopie. Cette difficulté à voir dans l’obscurité entraîne chez le garçon une crainte du noir qui devient une peur de l’inconnu. Car, pour les habitants du village, ce qui se trouve dans l’obscurité, aux frontières de la communauté, est forcément menaçant. Exposé à ces suspicions, Kasan absorbe ces préjugés et accusations expéditives auxquels a été exposé le cinéaste à l’époque.

Comme une thérapie, Rapture revient sur cette fabrique collective de la peur qui prend différentes formes : du rejet d’une altérité forcément dangereuse et coupable, à la recherche d’une explication qui nous dépasse. Avec des séquences d’une beauté hypnotisante et des excursions oniriques, ce drame au mystère bien entretenu nous rappelle que les traumatismes d’enfance, comme la peur de l’inconnu, ne nous quitte jamais totalement.

Rapture © photo Capricci

Une autre Inde

Situé dans le village d’enfance de Dominic Sangma, Rapture met en lumière la région du Meghalaya située sur les hauteurs du nord-est de l’Inde. Un lieu à la frontière avec le Bangladesh que se partagent principalement trois tribus : les Jaintia, les Khasi et les Garo, dont fait partie le cinéaste.

Le film permet de découvrir une partie de l’Inde méconnue, culturellement et linguistiquement différente du reste du pays. Une singularité qui s’explique notamment par une population chrétienne, un héritage laissé par les missionnaires européens. Face aux disparitions, la tribu est ainsi partagée entre le chamanisme ou la foi indigène et la foi chrétienne ici majoritaire.

Cette ambivalence met en lumière les différentes réactions face à ce mystère inquiétant selon les croyances de chacun. Ainsi un villageois dont le fils a disparu, mécontent des prédictions du chaman, demande à ce qu’on lui rende le poulet apporté en offrande. Plus dramatique encore, le prédicateur chrétien annonce que le pire est à venir.

Rapture © photo Capricci

Peur sur le village

Rapture met magnifiquement en scène comment la peur s’installe lentement mais sûrement chez les habitants et notamment le jeune Kasan. Sa cécité nocturne et la phobie de l’obscurité qui en résulte se cristallise peu à peu vers une peur de l’étranger en particulier. Il devient pue à peu réceptif à l’aveuglement xénophobe qui s’empare du village.

Pour les habitants, tout est matière à interprétation pour expliquer les disparitions. Ainsi la mort d’une vache ou l’impressionnante lune rouge sont récupérés par la religion ou la politique comme des signes prophétiques. Les dignitaires du village, et notamment le prédicateur, manipulent l’inquiétude et une quête de sens très humaine dans leurs propres intérêts, quitte à franchir la ligne de l’honnêteté.

Face à cette xénophobie latente, la question de la responsabilité collective est également posée au sein de la communauté repliée sur elle-même. Le village de Meghalaya est décrit comme une communauté méfiante envers les autorités et notamment la police. Kasan se trouve ainsi mêlé à une omerta qui lie les habitants entre eux avec des raisons peu avouables.

Rapture © photo Capricci

Envoûtante obscurité

Cette mécanique de la peur et du repli sur soi est mise en scène par Dominic Sangma à travers des séquences captivantes. Du ramassage nocturne des cigales qui ouvre le film à la procession religieuse, la caméra capte magnifiquement cette luminosité qui vient pourfendre les ténèbres, pour un temps seulement.

La citation de Thelonious Monk, « Il fait toujours nuit, sinon nous n’aurions pas besoin de lumière », qui ouvre le film résume parfaitement son intention. Le cinéaste partage cette idée que l’obscurité de l’existence ne peut être dissipée que par un acte conscient. En ce sens, Rapture est, au-delà d’une thérapie artistique, une célébration lumineuse de toute étincelle d’humanité.

> Rapture (Rimdogittanga), réalisé par Dominic Sangma, Inde – Chine – Suisse – Pays-bas – Qatar, 2023 (2h08)

Rapture (Rimdogittanga)

Date de sortie
15 mai 2024
Durée
2h08
Réalisé par
Dominic Sangma
Avec
Torikhu A. Sangma, Handam R. Marak, Celestine K. Sangma, Balsrame A. Sangma, Johan Ch. Sangma, Riksil K. Marak, Nadira N. Sangma
Pays
Inde - Chine - Suisse - Pays-bas - Qatar