À l’instar de Colt Seavers — héros TV testostéroné des années 80 —, le Manuel d’activisme de Clit Révolution tombe à pic dans un pays où la thématique des droits des femmes — à commencer par celui de ne pas se faire agresser — est plus d’actualité que jamais. L’année 2020 a en effet débuté dans la tension pour la cause féministe.
Quelques jours avant sa grande kermesse annuelle, l’Académie des Césars s’est dissoute dans la confusion et la « grande famille » du cinéma français a confirmé au monde entier sa profonde division lors d’une cérémonie historique. Décidément en vogue, la honte s’est même invitée à la journée emblématique du 8 mars. Minuit était passé depuis peu lorsque des CRS, encadrés par un préfet apparemment en roue libre, ont interpellé de façon « musclée » des féministes.
Dans ce climat délétère, il est urgent de savoir où placer le curseur de l’indignation. Alors que certains se demandent encore s’il faut séparer l’homme de l’artiste, le Manuel de Clit Révolution invite celles qui ont choisi leur camp à se former à l’activisme féministe. Une guérilla pour l’égalité réelle qui se veut inclusive en ne fermant pas la porte aux hommes qui se sentent concernés. Avec son lettrage argenté tape à l’œil, ce mode d’emploi de la lutte féministe annonce la couleur : le temps de l’observation est terminé. Place à l’action !
Agrémenté de rappels historiques sur l’oppression des femmes — merci les religions et la société patriarcale — et des portraits de « queens » — comprendre des femmes géniales qui font bouger les choses —, ce manuel d’activisme féministe devrait faire naître des vocations. Des conseils pour néophytes de la revendication jusqu’au media training, la palette est large pour apprendre à exprimer sa propre révolte intérieure.
Le clito se rebelle
Sarah Constantin et Elvire Duvelle-Charles se sont rencontrées au sein du mouvement Femen qu’elles ont rejoint dès la création de la branche française à l’automne 2012. Fortes d’une expérience militante et nourries des échanges avec les abonné-e-s de leur compte Instagram, les deux journalistes sont parties à la rencontre de femmes engagées dans le combat pour la parité et l’égalité aux quatre coins du monde.
Ces rencontres ont donné naissance à une série documentaire disponible sur France tv Slash et You Tube, partenaire logique de la lecture du manuel. Au fil des 9 épisodes que compte la série, on retrouve certaines des « queens » évoquées dans le livre. Comme son nom l’indique, le projet met en avant un rapport (enfin) décomplexé à la sexualité féminine comme moteur de changement dans la société. Et dès le premier épisode, le constat est sans appel : il y a énormément de travail pour rattraper des siècles de domination masculine (l’intégrale des 9 épisodes est disponible dans la vidéo ci-dessous).
Bites partout, vulves nulle part
Pour débuter leur périple, Elvire et Sarah demandent à leur entourage et des inconnu-e-s de dessiner un sexe féminin. Cette entrée en matière — amusante et édifiante — permet de comprendre que le clitoris évoqué dans le nom du projet est en effet au cœur du combat pour l’égalité. Alors que tout le monde sait dessiner un pénis, les représentations hasardeuses de vulves se succèdent sur le carnet tendu par le duo. Pour leur défense, le clitoris n’a fait son apparition dans les manuels scolaires que récemment.
Mais alors pourquoi tant de haine envers l’organe du plaisir féminin ? À travers des rappels historiques illustrés par la dessinatrice Alice Des, la question trouve des éléments de réponses au fil des épisodes qui passent rapidement du constat à l’action. Les neuf épisodes de la série permettent de découvrir des activistes qui œuvrent pour une meilleure prise en compte du désir féminin, première étape pour sortir de l’oppression patriarcale.
Ainsi la réalisatrice Olympe de G. plaide pour un porno féministe — en insistant sur le pouvoir du son — tandis que l’artiste américaine Sophia Wallace met le clitoris à l’honneur dans son projet Cliteracy. L’occasion d’en savoir plus sur ce mystérieux organe et de détruire pour de bon le mythe des femmes vaginales ou clitoridiennes. Le plaisir vient du clitoris, point (G) final ! Pour le revendiquer, Elvire, Sarah et l’artiste vont d’ailleurs se pavaner avec un clitoris doré géant devant la Trump Tower. Tout un symbole !
Touche pas à mon clito
Reconnaître le rôle du clitoris c’est bien, en prendre soin c’est mieux. La série documentaire Clit Révolution permet également de découvrir les incroyables lycéennes du collectif Team restorers qui luttent au Kenya contre la tradition de l’excision avec leur application I-Cut disponible depuis 2007 sur Android. La question du droit à l’IVG, toujours à conquérir dans certains pays et qui reste fragile dans d’autres, est également évoquée avec une militante au Maroc.
La géniale artiste japonaise Megumi Igarashi, désormais installée en Irlande, explique quant à elle son art dédié au sexe féminin. Elle revient notamment sur la création du « bateau-chatte » évoqué dans notre article publié en 2014 (qui utilise d’ailleurs à tort le terme de vagin au lieu de vulve qui serait plus approprié, oups !). Pour avoir envoyé les plans 3D de sa création, l’artiste a été emprisonnée plus de 20 jours. Au Japon, il est plus facile d’honorer les pénis que les vulves, même lorsqu’elles sont « kawaii » comme les créations de Megumi Igarashi.
Toutes ensemble
Après le succès de la campagne de cofinancement, le Manuel d’activisme féministe de Clit Révolution débarque dans les librairies le 12 mars. Il reprend logiquement en partie les thématiques de la série à commencer par se connaître soi-même avant de se lancer dans la bataille. Une fois cette introspection effectuée, ce mode d’emploi de la parfaite révolutionnaire féministe propose de se former pas à pas.
Conscient des obstacles, le manuel ne fait pas l’impasse sur ce qui peut ralentir la révolution féministe : les discordes internes au mouvement. Alors que les préjugés sexistes concernent 9 personnes sur 10 — femmes incluses — dans le monde, Clit Révolution invite à faire preuve de sororité et prône l’entraide féminine pour ne pas se disperser. Car oui les femmes peuvent pratiquent le slutshaming entre elles. Le manuel assume une lutte radicale mais à travers un modèle bienveillant et inclusif, loin du cliché de la « féminazie ».
À l’action !
Concrètement, Clit Révolution s’appuie sur de nombreux cas d’école — se déroulant d’ailleurs parfois dans des écoles — pour ensuite fournir des conseils pratiques afin d’organiser des actions. Il est par exemple possible de s’investir dans son lycée au sein d’un Conseil de vie lycéenne. Et si jamais les choses ne bougent pas, alors il existe l’option plus radicale des manifestations et du blocus.
La réappropriation de l’espace public dominé par les hommes est aussi au programme. Les détournements de publicités sexistes ou le placardage de vulves — comme proposé par le compte Instagram de la_vulve — sont des manières de se réapproprier la rue. Les désormais célèbres collages minimalistes anti-féminicides qui se sont multipliés ces derniers mois dans de nombreuses villes de France sont un exemple d’une prise de conscience et d’une très forte mobilisation.
Le LOL contre-attaque
Autre méthode efficace pour déstabiliser le patriarcat : la parodie. Les deux journalistes n’ont pas eu besoin de chercher très loin un exemple car elles ont mis en ligne le 8 mars 2016 le clip Saint-Valentin, pastiche du clip éponyme d’Orelsan. Sous le nom C.L.I.T., elles y inversent le rapport de force — et de violence — des paroles. Même si on considère qu’un artiste doit pouvoir exprimer ce qu’il souhaite dans une œuvre de fiction, l’accueil réservé à l’époque à la parodie interroge.
Postée sur la même plateforme, le clip de C.L.I.T. a été retiré puis remis en ligne mais cette fois-ci en étant interdit au moins de 18 ans alors que le clip du chanteur était lui en ligne sans restriction d’âge. Un exemple parmi d’autres qui prouve que la sexualité féminine dérange lorsqu’elle n’est plus dans le schéma de la soumission et ose s’approprier des codes réservés aux mâles dominants.
Cyber révolution
Le manuel n’oublie évidemment pas les réseaux sociaux, première source d’information pour les 18 – 34 ans selon un récent sondage. Le duo donne les clés pour se faire repérer mais alerte aussi sur les dangers du cyberharcèlement et donne les clés pour militer en toute quiétude. Derrière un ordi ou dans la rue, seul-e ou au sein d’un collectif, le Manuel d’activisme féministe de Clit Révolution fourmille d’infos pratiques allant de la préparation d’une action au déroulement d’une garde à vue — c’est toujours bien se savoir, au cas où.
Plus d’excuse, la révolution n’attend plus que vous !
> Clit Révolution Manuel d’activisme féministe par Sarah Constantin et Elvire Duvelle-Charles (Illustrations par Alice Des), 224 pages, éditions Des Femmes – Antoinette Fouque, 2020