Une décennie après sa transition, Victoria Verseau retourne sur les lieux de sa transition, un hôtel dans une petite ville isolée en Thaïlande. L’artiste remonte le temps pour tenter de comprendre ce qui la définit en tant que femme et se confronte au deuil de Meril, son amie qui a vécu sa transition en même temps qu’elle.
Entre images d’archives et tentatives de faire revivre le passé, Victoria échange les souvenirs douloureux de son opération avec Athena et Aamina, deux femmes trans au début du processus de transition. Un périple mémoriel en quête des fantômes du passé dans l’espoir d’un avenir plus lumineux.
L’après
Née en 1988, Victoria Verseau est une artiste et réalisatrice suédoise formée à l’art contemporain, ce qui se ressent dans la forme très libre – et qui peut être déroutante – adoptée pour ce documentaire. Obsédée par les thèmes du corps, de la mémoire et de l’identité, l’artiste combine ces thématiques dans ce film très personnel qui s’inspire de son identité de femme trans. Mélancolique et souvent très sombre, Trans Memoria est né du vide ressenti par Victoria une fois sa transition de genre opérée en Thaïlande. Un contrecoup au rêve d’avoir le corps correspondant à sa perception d’elle-même qui la plonge alors dans une grande dépression.
Ce passage à vide est également marqué par le suicide de son amie Meril qui n’a pas survécu à la transition qu’elles ont affrontée ensemble. Trans Memoria s’impose alors comme une nécessité pour l’artiste hantée par les raisons de cette disparition brutale. Un projet pour tenter de comprendre, témoigner et transformer le mal-être en quelque chose de concret, tout simplement un but à atteindre sur lequel se concentrer. Documentaire hybride, Trans Memoria dégage ce sentiment d’urgence porté par le besoin d’avancer pour ne pas sombrer.
Évolution concrète
Construit à trois voix, Trans Memoria fait émerger des perspectives très différentes sur la transidentité. Victoria, Aamina et Athena n’ont pas les mêmes ressentis ni les mêmes peurs vis à vis de leur transition passée pour l’une, à venir pour les deux autres. Ces différences enrichissent le film, jusqu’à le remettre en cause. Ainsi Athena et Aamina interrogent l’utilité et l’objectif du film. Troublée par le mélange de documentaire et de fiction, Aamina se retire d’ailleurs du projet avant la fin estimant que la chirurgie y est montrée de façon trop négative.
De façon négative ou pas, la chirurgie est en tout cas montrée sans fard. Victoria inclut dans le documentaire des vidéos sous forme de journaux intimes tournées en 2012 pendant sa transition. Des instants immortalisés qui devaient rester personnels mais qu’elle a décidé d’inclure au projet pour ne rien cacher. Le film met en scène le poids des conséquences physiques post-opératoires des différentes chirurgies avec notamment les inévitables exercices de dilatation. Un témoignage frontal et douloureux contrebalancé par l’aspect éthéré d’une chasse aux souvenirs évanescents.
Évocation spectrale
Trans Memoria se déroule essentiellement en 2012 pour la période de transition et en 2019 lorsque Victoria retourne en Thaïlande avec Aamina et Athena. Sur place, elles recréent des situations vécues par Victoria et Meril. Un moyen de marquer l’absence qui plane sur le fim, celle d’une femme trans qui n’a pas survécu après sa transition. De Meril on ne saura pas grand chose, son évocation fragmentée et évanescente renforce ce sentiment de vide qui ne quitte jamais le film, comme un deuil qui se dérobe invariablement.
Hommage à Meril, le documentaire se veut une preuve de son existence. Sa page Facebook effacée, Victoria ne sait même pas où elle est enterrée. Cette absence même de sépulture connue impose en creux la question de la place laissée aux personnes trans. Elle invoque également un deuil impossible et la thématique des souvenirs impossibles à revivre. Au-delà du sujet de la transition, Trans Memoria se mue en poème sur la perte irrémédiable de toute chose.
Pour exorciser le temps qui passe, Victoria est devenue une collectionneuse compulsive d’objets qui lui permettaient de se rattacher à des souvenirs. Certains de ces objets, concrétisation d’un passé révolu, sont visibles dans le film. Cette idée vaine de retenir le cours du temps plane sur cette recherche d’un signe quelconque de son amie. En constatant l’évolution des lieux qu’elle a connus avec Meril, dans une Thaïlande loin des clichés de cartes postales, Victoria, survivante de sa propre dépression, ne peut que filmer le vide. Les fantômes ne reviennent pas hanter les vivants, seul leur silence obsède.
Quête d’une amie disparue à travers les méandres temporels, Trans Memoria est intrinsèquement trans de par son format qui peut dérouter. Au bout du chemin, le documentaire offre des témoignages parfois brutaux mais sincères sur la transition de genre et une vision poétique de l’absence où la personne qui n’est plus là continue à vivre malgré le néant, dans les silences.
> Trans Memoria, réalisé par Victoria Verseau, Suède – France, 2024 (1h12)






