Habitante d’un royaume où la beauté règne en maître, Elvira (Lea Myren) rêve de séduire le prince Julian (Isac Calmroth), forcément très charmant. Mais pour jouir de la vie de château, elle doit d’abord affronter de nombreuses prétendantes. Parmi ses nombreuses rivales, Elvira doit surpasser la beauté insolente d’Agnès (Thea Sofie Loch Næss), devenue récemment sa demi-sœur.
Dans cette recherche du physique idéal, Elvira peut compter sur l’aide du bien nommé Dr. Esthétique (Adam Lundgren) et le soutien enthousiaste de sa mère Rebekka (Ane Dahl Torp). Mais le chemin vers la plastique parfaite est long et les méthodes pour y parvenir… radicales. Elvira se lance à corps perdu dans une course qui risque de l’amocher plus que de raison.
Trop beau pour être vrai
Obsédée par les diktats de la beauté et ses ravages sur les corps et les esprits, la cinéaste norvégienne Emilie Blichfeldt frappe fort avec ce premier long métrage qui convoque le body horror le plus transgressif pour faire passer son message. Basé sur le dicton populaire assurant qu’il « faut souffrir pour être belle », The Ugly Stepsister pousse le concept dans ses retranchements pour en montrer la vacuité et la dangerosité de cette croyance masochiste.
Ce que la réalisatrice nomme, non sans malice, le beauty horror interroge la place du concept de beauté dans l’acceptation sociale, en particulier lorsqu’il est appliqué aux femmes. Une réflexion en forme d’expiation – voire de revanche – pour la cinéaste qui confie s’être sentie mal dans son corps pendant des années. Et l’utilisation du conte, en particulier celui de Cendrillon, est le vecteur parfait pour tordre le cou à une réalité littéralement trop belle pour être vrai.
Amour, gore et beauté
Entre deux rêveries éthérées dans laquelle Elvira s’imagine auprès du prince, The Ugly Stepsister ne lésine pas sur le gore pour contrebalancer la mièvrerie d’un espoir condamné à être cruellement déçu. Du pic qui fracasse le nez bossu de la jeune femme à l’œuf de ver solitaire qu’elle ingurgite volontairement en passant par la mutilation de membres récalcitrants, le conte horrifique d’Emilie Blichfeldt ne ménage pas son héroïne.
Après s’être débarrassée d’un appareil dentaire peu gracieux, Elvira se lance dans une course à la beauté terrifiante dont le body horror assumé et fort bien mis en scène fait irrémédiablement penser à l’univers viscéral de David Cronenberg. Difficile de ne pas penser également à The Substance (2024) de Coralie Fargeat – lire notre critique – dans lequel Demi Moore se bat contre le temps mais surtout contre son double, miroir d’une société où le jetable s’applique aux femmes passé un certain âge.
Malmenés pour atteindre des standards physiques inatteignables, les corps démontrent avec un absurde parfois difficile à regarder en face à quel point la quête de la jeune Elvira est vaine. Et pourtant, ce désir de beauté est addictif. Il est présenté comme le préliminaire indispensable à la jouissance promise, auprès du prince, mais aussi dans son lit. Emilie Blichfeldt filme sans fausse pudeur ce corps en mutation et les autres qui expriment leur désir. Alors que la jeune Elvira ausculte dans le miroir les courbes de ce corps nu qu’elle considère disgracieuses, sa demi-sœur Agnès uni le sien à un garçon d’écurie. L’occasion pour la caméra de s’attarder sur un sexe féminin offert et son équivalent masculin fièrement dressé, prêt au combat. Une nudité frontale ajoutée aux scènes gores qui ont dû jouer sur l’interdiction du film au moins de 16 ans en salle.

Cendrillon, sans pitié
Le détournement du conte de Cendrillon, maintes fois réinterprété à travers les périodes et les pays, est un matériau idéal pour cette satire sociale. La réalisatrice a pioché dans les différentes versions de cette histoire intemporelle mais avoue une attirance particulière pour la version des frères Grimm. Dans cette version, les demi-sœurs malchanceuses de Cendrillon se mutilent les pieds pour tenter de faire entrer leurs pieds dans la célèbre pantoufle de verre (ou de vair pour certains). Elles finiront d’ailleurs les yeux crevés par des pigeons. Vous avez-dit gore ?
Cet amalgame de versions pour la même histoire montre la longévité de ce conte de fée par excellence où la pauvre Cendrillon atteint son objectif grâce à un relooking décisif. L’importance de cette beauté intemporelle est au cœur du conte défait de Emilie Blichfeldt, toujours aussi pertinent de nos jours. La cinéaste ne date d’ailleurs pas son intrigue. Le royaume du prince Julian n’a pas d’époque clairement définie ce qui permet de se projeter, d’autant plus que la bande son electro ajoute une touche de modernité faisant écho aux décalages du Marie Antoinette (2006) de Sofia Coppola.
Sympathy for the stepsister
Au-delà de son parti pris prenant la beauté en horreur avec des images saisissantes, The Ugly Stepsister charme par sa capacité à détourner le conte initial et par conséquent nos attentes. Si, telle Cendrillon, Elvira est au départ le vilain petit canard de l’histoire, sa transformation physique inverse les rôles. Comme s’il n’y avait pas assez de beauté dans ce monde pour chacune, sa demi-sœur Agnès s’enlaidit au fur et à mesure que Elvira prend son envol.
La métamorphose de Elvira va de pair avec un changement de caractère, la beauté acquise renvoie à la suffisance nouvelle, une certaine méchanceté et la volonté d’écraser ses rivales. Le rôle de Rebekka, la mère, est également intéressant. Elle mise tout sur Elvira, car de toute façon Alma (Flo Fagerli), sa sœur cadette, est trop jeune pour être livrée au prince. Elle n’a pas encore ses règles, explique-t-elle pour justifier son choix. Derrière cet investissement, une projection d’elle-même dans sa propre progéniture, opportuniste et hypocrite.
En jouant avec l’inversion des rôles, The Ugly Stepsister déplace notre compassion d’une victime à l’autre pour mieux imposer l’idée que la même dictature de la beauté s’impose à tous, et a fortiori à toutes. Cette beauté universelle qui nous fascine toutes et tous, ce film drôlement provocateur l’expose comme un agent de corruption des corps et de l’âme nous seulement en démasquant sa vacuité mais en dévoilant ses hideuses conséquences. Et personne n’échappe à ce cruel jeu des apparences.
> The Ugly Stepsister (Den stygge stesøsteren) réalisé par Emilie Blichfeldt, Norvège, Suède, Pologne, Danemark, 2025 (1h49)