Encore traumatisés par la découverte du corps sans vie de leur père, Andy (Billy Barratt) et sa jeune demi-sœur Piper (Sora Wong) sont confiés à Laura (Sally Hawkins). Un placement que le jeune Andy considère comme provisoire car il prévoit de demander à sa majorité, dans trois mois, la tutelle de Piper qui est malvoyante et distingue son environnement à travers des ombres incertaines.
Au sein de la maison isolée, les deux orphelins ne sont pas seuls avec Laura. L’ex-psychologue s’occupe également d’un jeune garçon nommé Oliver (Jonah Wren Phillips) totalement mutique. Peu à peu, les comportements de Laura et de son jeune protégé intriguent Andy qui découvre le rituel terrifiant envisagé par Laura. Une folie qui met en danger sa petite sœur.
Garder la main
Avec leur premier long-métrage, La Main (2022), Michael et Danny Philippou, deux Youtubeurs australiens connus jusque-là sous le nom de RackaRacka pour leurs comédies d’horreur, ont frappé fort ! Terriblement efficace, cette histoire de jeunes ados évoquant des esprits à l’aide d’une main embaumée est à ce jour le deuxième plus gros succès du distributeur A24.
Un engouement public et critique mérité pour ce qui, sur le papier, n’est pas d’une originalité folle. On ne compte plus – et certainement pas sur les doigts d’une main – le nombre de films ayant pour point de départ la libération de forces surnaturelles hostiles par de jeunes inconscients. Pourtant la mécanique bien huilée de La Main agrippe efficacement le spectateur pour l’entraîner au bout du cauchemar.
Auréolé de ce début prometteur, les deux jumeaux réalisateurs se voient confier une adaptation de Street Fighter (1994), film de castagne inspiré du célèbre jeu vidéo mettant en scène Jean-Claude Van Damme qui n’a pas marqué l’histoire du cinéma. Mais le reboot se fera finalement sans eux. L’attention des jumeaux s’est portée sur cette histoire malsaine de deuil très mal digéré, pour notre plus grand plaisir.
We are family
Après les ados jouant avec les limites de l’occulte dans La Main, les frères Philippou explorent le thème de la famille ou plutôt ce qu’il en reste. Andy et Piper se retrouvent orphelins dès le début du film après la mort de leur père qu’ils retrouvent nu, allongé sur le sol de la salle de bain, près de la douche. La thématique de l’eau comme danger plane d’ailleurs tout au long du film. L’hypothèse du suicide est retenue, après tout il venait de subir une chimiothérapie éprouvante. Quoiqu’il en soit, le noyau familial est désormais un duo : Andy tentant de protéger sa demi-sœur malvoyante comme il le peut, une mission qu’il ne fera pas à moitié.
L’histoire de Laura n’est guère plus joyeuse. Son comportement étrange qui devient de plus en plus inquiétant cache un drame : la mort de sa fille – malvoyante elle aussi, détail qui n’est pas un hasard – accidentellement noyée dans la piscine familiale. Si la véritable histoire du jeune Oliver n’est révélée que tardivement, son mutisme ne présage rien de bon. Et notre intuition à ce niveau est confortée de la plus gore des manières. Il plane sur Substitution – Bring Her Back l’ombre d’un désespoir qui se lie aux familles scarifiées par le malheur. Et dans leurs plaies béantes s’infiltre l’horreur.
Le cocon familial est au cœur de ce récit horrifique qui pourrait très bien être un simple drame familial si l’histoire s’arrêtait à mi-chemin. Famille de substitution à elle-seule, Laura incarne dans un premier temps la bienveillance et un rebond possible face au deuil. Andy de son côté n’a qu’une seule hâte : d’avoir enfin 18 ans pour être officiellement le tuteur de sa jeune sœur handicapée.
Les cinéastes avouent d’ailleurs une possible double lecture assumée dans cette protection exacerbée. En la surprotégeant – il ment et enjolive une réalité qu’elle ne peut pas constater de ses yeux -, Andy empêche Piper de prendre conscience du monde tel qu’il est. Et notamment ce nouvel environnement qui va s’avérer pas – du tout – beau à voir.
Gore à corps
À distance du slasher régressif qui massacre à la pelle (ou avec tout autre objet contondant) des victimes interchangeables, Michael et Danny Philippou distillent une horreur plus angoissante car plus personnelle, désespérément viscérale. Substitution – Bring Her Back n’abuse pas non plus de jump scares intempestifs. Le malaise s’immisce progressivement à travers des comportements ouvrant la porte à un gore d’autant plus malaisant que Andy, Piper et Oliver mais aussi Laura sont marqués par des traumas dans lesquels le spectateur peut aisément se projeter.
Il n’est pas étonnant d’apprendre que les jumeaux réalisateurs se sont inspirés du classique thriller psychologique Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? (1962) de Robert Aldrich, huis clos étouffant entre deux sœurs vivant recluses dans leur maison. Il plane également sur le film l’ombre imposante du Shining (1980) de Stanley Kubrick pour cette folie morbide qui s’immisce dans le cerveau de Laura brisé par un deuil impossible à réaliser. Sur cette base psychologique, Substitution – Bring Her Back fait glisser le malaise vers la sidération en maltraitant les corps au passage.
Le jeune Oliver, d’autant plus insondable qu’il est mutique, est la figure sacrificielle qui symbolise toute la folie de Laura. Le rôle trouble du jeune garçon dans le projet de Laura est d’ailleurs un élément de faiblesse du film. À travers des vidéos occultes assez mystérieuses on devine sa destinée mais son rôle exact reste un peu flou. Une imprécision pas si importante car elle n’empêche pas de souffrir à ses côtés. Son comportement de plus en plus extrême et sa déchéance physique au gore assumé participent à l’interdiction aux moins de 16 ans à laquelle est soumise le film.
L’amer de tous les vices
La réussite principale de Substitution – Bring Her Back est l’inclusion progressive mais définitive de l’horreur dans un milieu censé être protecteur. Piper symbolise par son handicap cette vulnérabilité qui fait frissonner lorsqu’elle se retrouve en danger. La jeune ado est interprétée par Sora Wong dont c’est la première expérience devant la caméra. Aveugle de l’œil gauche, la jeune actrice possède une vision de l’œil droit très réduite. Les frères Philippou ne font cependant pas de cet handicap l’élément principal qui isole face à l’adversité, l’impuissance est d’abord psychologique.
Car le projet morbide de Laura, aussi terrible soit-il, est douloureusement compréhensible. Le gore exposé à l’écran et l’empathie que l’on peut éprouver pour cette mère inconsolable s’unissent pour créer un malaise terriblement familier. Impossible d’être totalement indifférent face à la douleur d’une mère qui cherche à faire revenir sa fille d’entre les morts. La présence de Sally Hawkins, femme de ménage amoureuse d’une créature amphibie dans La Forme de l’eau (2017) de Guillermo del Toro – lire notre critique – est l’un des atouts majeurs du film.
Comme transposée dans un univers parallèle, l’actrice qui a incarné Poppy, institutrice solaire dans le lumineux Be happy (2008) de Mike Leigh, symbolise dans la mémoire collective, de par ses rôles passés, cette bienveillance que l’on est en droit d’attendre de la part d’une ex-psychologue. Une professionnelle au-dessus de tout soupçon dont la dérive est d’autant plus choquante qu’elle possède une logique – viscérale – implacable.
Plongée dans l’horreur d’un deuil dévastateur, Substitution – Bring her Back confirme la place des frères Philippou dans le domaine d’une terreur qui a du cœur. Les frissons d’effroi s’entremêlent à une compassion horrifiée face au récit d’un amour maternel défiant l’injustice de la mort.
> Substitution – Bring her Back (Bring her Back), réalisé par Michael Philippou et Danny Philippou, Australie, 2025 (1h44)