« Sarkozy n’a pas maîtrisé sa campagne »

« Sarkozy n’a pas maîtrisé sa campagne »

« Sarkozy n’a pas maîtrisé sa campagne »

« Sarkozy n’a pas maîtrisé sa campagne »

3 mai 2012

François Hollande vs Nicolas Sarkozy. Quels sont les leviers de la stratégie de communication de chacun des deux finalistes de l'élection présidentielle, édition 2012 ? Stéphane Wahnich est chercheur en communication politique et professeur à l'université de Créteil. Pour Citazine, il revient sur la communication des candidats du second tour, François Hollande et Nicolas Sarkozy. Le premier s'est construit un personnage présidentiable, le second n'a pas maîtrisé sa campagne.

Lors du débat d’entre deux tours, avez-vous constaté deux styles de communication qui s’opposaient ?

Sur la forme communicationnelle, pas vraiment je trouve. On a eu un débat un peu technique mais pas trop, sans grande déclaration, très travaillé par l’un et par l’autre, et formaté de telle manière qu’il n’y a pas eu de moments forts. Chaque camp considère qu’il a été le meilleur, mais in fine, il n’y a ni gagnant, ni perdant dans ce débat. Chez Hollande, on a quelque chose d’un peu plus flou et rond ; Sarkozy est un peu plus franc et précis mais sur le fond, ils sont sur les mêmes ressorts de communication. Des deux côtés, on trouve une faible mise en récit de leur programme, ils ne disent pas vraiment ce qu’ils comptent faire. C’est juste des touches de mesures sans être un ensemble cohérent. Contrairement à 2007, on n’est pas dans un exercice démocratique très fort. On a de chaque côté des boucs émissaires, l’étranger illégal pour Sarkozy, le riche pour Hollande. Chacun a sa personnalité, mais sur le fond, on est dans les mêmes modèles. Les Français n’ont pas eu de réponses à leurs attentes. Le débat n’a pas été contractuel, on ne sait pas plus qu’avant ce qu’ils vont faire s’ils remportent l’élection. Les deux ont eu la capacité à résister aux attaques de l’autre. C’est tout ce qu’on a vu.

Les deux candidats finalistes | FlickR_CC_Hervé Kabla

Nicolas Sarkozy n’a pas réussi à fixer l’agenda

Le Sarkozy d’aujourd’hui et le Sarkozy de 2007 sont-ils différents ?

Cela n’a rien à voir et c’est très surprenant. En 2007, vous aviez un Sarkozy avec un programme très cohérent, un système idéologique très logique qui a structuré le débat et imposé les thèmes de campagne aux médias et autres candidats. Cette fois, on n’a pas une cohérence d’ensemble, mais des mesures les unes à la suite des autres qui ne donnent pas d’ensemble idéologique. Aucun des candidats n’a pu imposer ses thèmes et dicter l’agenda. Chacun a essayé de dire ce qu’il allait faire sans l’avoir préparer plus que cela.

Qui a fixé l’agenda alors ?

Ce sont le Front de gauche et le Front national qui ont réussi à imposer l’agenda à chacun des blocs, gauche et droite. Hollande a été obligé de sortir les 75% d’imposition alors que ce n’est pas dans ses 60 propositions. Et le Front national a imposé, surtout dans l’entre-deux tours, l’agenda de Sarkozy.

« Sarkozy n’a pas maîtrisé sa campagne »

Avant et après le premier tour, Sarkozy n’était pas le même ?

Il est différent dans le rapport au Front national. Nicolas Sarkozy, qui n’a pas vraiment réussi à développer son programme et en faire un storytelling, se trouve obligé de composer avec le Front national. Il reste tout de même dans une logique identique, puisqu’il avait déjà parlé de Shengen avant le premier tour : il avait préparé le terrain. La communication de Nicolas Sarkozy a aidé le Front national avant le premier tour, à travers une logique idéologique qui lui permet de parler plus facilement des thèmes du Front national, avec lesquels il a toujours été à l’aise. Mais la limite jusqu’à laquelle il doit aller sur ces thèmes lui est imposée par le Front national, et cette fois il va au-delà de ce qu’il fait d’habitude. Nicolas Sarkozy n’a pas maîtrisé sa campagne. Il y a eu des hauts, des bas. Il a eu un temps fort avec Villepinte, mais il a enchaîné avec des mesurettes comme le fait de verser les retraites au 1er plutôt qu’au 8 du mois. Alors que ce n’est surtout pas une réponse à la crise. L’épisode Mohammed Merah a permis à Sarkozy d’arrêter la campagne et de reprendre son rôle de président, ce qui a été bon pour sa communication. Mais après cette parenthèse, il a repris une campagne sans structuration forte.

Nicolas Sarkozy | FlickR_CC_UMP Photos

Mais entre 2007 avec un Sarkozy qui gère et 2012, que lui est-il arrivé ?

Je pense qu’on est face à l’usure du pouvoir et à une intégration trop forte du bilan. Le fait d’intégrer son bilan dans sa façon de penser l’a vraiment empêché d’être neuf, et de construire un vrai projet pour la France. On est dans la continuité mal définie de 2007. D’autant que lorsque l’on est au pouvoir, on a moins le temps de réfléchir.

La continuité, c’était aussi un moyen de s’opposer à Hollande, le candidat du changement ?

Nicolas Sarkozy a tout de suite fait le choix de faire une campagne très à droite qui a favorisé le vote Marine Le Pen, pour avoir un rapport gauche/droite majoritaire et récupérer les votes au deuxième tour. Mais cela a donné un FN à 18%. Pour toute campagne, il faut à l’avance choisir une posture. Et il ne faut pas se tromper, donc il est important de bien sentir la société française. Nicolas Sarkozy ne l’a pas mal sentie mais il n’a pas apporté de réponse structurée.

La campagne 2012, un malaise démocratique

Et entre le François Hollande d’avant le premier tour et celui d’après, y’a t-il des différences ?

François Hollande a eu un moment d’hésitation par rapport au Front national après le premier tour. Il a essayé de capter une partie des votes FN en les comprenant, ce qui est un discours assez nouveau pour le parti socialiste. Cela a eu deux effets : les électeurs FN n’ont pas été attirés par François Hollande malgré ce discours, ils ne l’ont pas cru. Mais surtout, une partie des électeurs de gauche a été déçue. Notamment les électeurs du Front de gauche, qui se sont clairement engagés dans la lutte contre le Front national. Et c’est là qu’il a perdu des points ces derniers jours. Il s’est donc remis dans un affrontement gauche/droite classique. Lors du débat, il n’a fait aucun appel du pied au Front national et cela lui permet de tenir une vraie logique. Cela pose quand même un problème de système de valeurs, pour les deux candidats.

François Hollande | FlickR_CC_Philippe Moreau Chevrolet

Que voulez-vous dire ?

En 2007, on avait deux offres politiques très fortes des deux côtés, avec des logiques différentes, des visions de la France complètement opposées et une façon de l’exprimer complètement différente. Et après 2002, et l’absence de choix démocratique, ces positions ont remis en place le système démocratique. Alors que pour l’élection de 2012, personne ne développe son propre projet. On dénonce d’abord l’autre et choisit un thème de rejet : Marine Le Pen et l’altérité (immigration ou mondialisation), Nicolas Sarkozy et l’immigré clandestin, François Bayrou et la classe politique, le Front de gauche et le PS, les riches. Chacun des candidats importants a eu la même communication avec des boucs émissaires différents. Ce qui crée un malaise dans la démocratie et empêche de bien développer un projet. Dénoncer l’autre empêche d’être positif, et c’est ce qui arrive en ce moment : on sent un malaise dans la démocratie. Les Français voulaient une réponse à la crise et se sont vraiment mobilisés au début de cette campagne, dès la primaire socialiste. Puis on a senti un désintérêt. Il y a eu trois millions de téléspectateurs de moins qu’en 2007 alors qu’il y a cinq ans, les jeux étaient davantage faits qu’aujourd’hui. Les Français vont voter parce que l’enjeu est important mais ils n’ont pas obtenu les réponses qu’ils voulaient. Ni des explications sur la crise. Avec mes étudiants, nous avons mené une étude qualitative concernant le ressenti des électeurs sur cette campagne et ce qui ressort c’est le profond désabusement des Français vis-à-vis de la parole politique. Ils ont une opinion, iront voter mais sont déçus du discours et de l’offre politique des deux candidats. D’où la surprise médiatique de Mélenchon, qui a su créer un système identitaire cohérent comme la gauche historique, et la surprise électorale de Marine le Pen.

« Plus facile de dire qu’on vote Front de gauche plutôt que Front national. »

Mélenchon a créé une surprise, mais cela ne s’est pas traduit dans les résultats ?

Je pense qu’une partie des électeurs du Front national ont répondu Front de gauche aux sondeurs, parce que c’est plus facile de répondre Front de gauche que Front national. Tous les sondeurs ont fait la même erreur. Mais tout de même, le parti communiste qui fait 11%, ce n’était pas arrivé depuis plus de 30 ans. Et Mélenchon a réussi à créer un espace politique à gauche du PS qui ne soit pas en dehors du système, comme le LCR ou l’OCI, mais avec une parole « extrême ». Il a recréé une gauche identitaire d’avant 1981. C’est un revival, sans rien de neuf. 11 % ce n’est pas mal, mais pour l’instant, il aura du mal à aller plus loin parce qu’il n’a pas créé une offre d’avenir, seulement un discours identitaire à gauche.

Jean-Luc Mélenchon et Pierre Laurent, secrétaire national du parti communiste français | FlickR_CC_RemiJDN

Lors des meetings et des discours des deux derniers candidats, quelles différences les opposent en terme de stratégie de communication ?

Je pense qu’il y a deux manières différentes de voir l’homme politique chez Hollande et chez Sarkozy. Hollande voit l’homme politique comme quelqu’un qui est dans le compromis, l’homme qui est là pour créer du lien entre les citoyens, pour en faire un tout. C’est une logique dans laquelle le rapport au temps et à l’action est moins important que la capacité à rassembler tout le monde, être consensuel pour pouvoir faire avancer la société. Alors que Sarkozy est dans une logique d’avant-garde, on crée une dynamique et le reste suivra. Et c’est aussi cela qui a heurté les Français. Il y a une violence politique dans le discours de Nicolas Sarkozy à cause de cette volonté. Et là, les Français n’ont pas suivi. D’un côté, on trouve une politique de dynamique qui enclenche une société, de l’autre une politique de rassemblement qui permet d’avoir une société plus tranquille et plus équilibrée. C’est bien deux façons de voir l’homme politique et qui ne relèvent pas du clivage gauche/droite, mais de l’anthropologie : c’est le rôle de l’homme politique dans la société qui est questionné. On a un vocabulaire beaucoup plus actif et des mots beaucoup plus précis chez Sarkozy, et une action beaucoup moins précise mais une description beaucoup plus forte de l’environnement et de la société dans les discours d’Hollande.

« Le candidat Hollande est une construction complète. »

En quelques mots, si vous deviez résumer la façon de s’exprimer de chacun ?

François Hollande a un vocabulaire pacifique, une attitude en rondeur, mais en même temps charismatique. Il coexiste chez lui de la fragilité et du charisme, c’est un vrai tribun, il sait occuper une scène. Cette association est quand même assez rare. Nicolas Sarkozy est dans un discours dynamique, explicatif, plus hachuré, et avec un charisme très fort. On suit le chef. Alors que chez François Hollande, on entoure le chef. C’est très différent. Je crois que les Français sont fatigués de suivre le chef.

Sarkozy / Hollande | FlickR_CC_Nicolas SAL1

François Hollande était auparavant réputé pour son sens de l’humour décapant. Aujourd’hui, il est très sérieux, pensez-vous qu’il doive tous les jours se faire violence ?

A mon avis, aujourd’hui le candidat Hollande est une construction complète. La personnalité de François Hollande n’est pas la personnalité de l’homme grave qu’il nous montre. Il s’est construit un personnage de présidentiable, tel qu’il pense que les Français l’imaginent. La personnalité de François Hollande est beaucoup plus ronde, moins violente, plus à l’écoute et dans la prise en compte de l’autre. Mais peut-être que la fonction présidentielle transforme une personnalité. Ceux qui ont connu François Hollande avant la campagne ne le reconnaissent pas aujourd’hui. Cette construction qu’il a opérée pour accéder à une crédibilité est vraiment intéressante. Mais il a bien fait. Martine Aubry, qui n’a pas « fait la présidente », a perdu.
Il est rare qu’une telle construction tienne si longtemps auprès des médias et des Français, mais il est également possible qu’il s’agisse aussi de son évolution culturelle personnelle vis à vis de la fonction. Il s’est passé quelque chose. Quant à Nicolas Sarkozy, il est toujours resté le même.