« Rencontrer mon père », inch’allah papa

« Rencontrer mon père », inch’allah papa

« Rencontrer mon père », inch’allah papa

« Rencontrer mon père », inch’allah papa

Au cinéma le

Sur les traces de son père exilé au Gabon depuis plus de vingt ans, Alassane Diago tente de comprendre pourquoi celui-ci a quitté le Sénégal sans donner de nouvelles. Autopsie douce-amère d'un abandon familial, Rencontrer mon père tente d'exhumer un pardon enfoui derrière des silences gênés et des justifications confuses. Une quête intime qui vise l'universalité.

Alassane Diago, réalisateur sénégalais d’une trentaine d’années, n’a jamais reçu de nouvelles de la part de son père depuis le départ de celui-ci pour le Gabon, il y a plus de vingt ans. En deux décennies, aucune aide financière pour subvenir aux besoins de la famille ni visite de la part de ce géniteur qui a quitté sa femme et ses deux enfants : Alassane et sa sœur. Pendant toutes ces années, la mère du cinéaste a assumé seule la responsabilité éducative, en nourrissant la vaine espérance que son mari reviendrait un jour. Depuis son enfance, le jeune Alassane Diago rêve de cinéma. Sa rencontre dès l’âge de neuf ans avec la réalisatrice française Chantal Richard puis les liens noués avec le documentariste sénégalais Samba Félix Ndiaye — ayant officié tous les deux comme des « pères » de substitution —, ont permis au jeune garçon qu’il était de réaliser son ambition. C’est tout naturellement que l’enfant devenu adulte est parti, caméra à l’épaule, à la quête de réponses concernant cette enfance abandonnée. Dans Les larmes de l’émigration (2010) et La vie n’est pas immobile (2012), Alassane Diago interrogeait déjà la fuite de son père. Avec ce nouveau film qui en est la suite logique, il part à la rencontre de son géniteur pour un face à face, souvent tendu, qui tente de percer les mystères d’un abandon impossible à assumer.

Rencontrer mon père © Les Films Hatari, Les Films d’ici et JHR Films

Marabout, grosses ficelles

Le village sénégalais dans lequel a grandi Alassane Diago est constitué de Peuls, une population nomade qui vit de l’agriculture et de l’élevage depuis des générations. Dans les années 70-80, une sécheresse a décimé le bétail et poussé de nombreux hommes à partir pour subvenir aux besoins de leurs proches. Les homme ont ainsi émigré vers l’Afrique Centrale, le Zaïre, le Congo et le Gabon connus pour leurs mines d’or et de diamants. Lorsqu’il a fait ses valises, le départ du père d’Alassane n’a pas été vécu comme un abandon mais, au fil des années, son silence persistant a requalifié son exil. C’est après avoir vu un extrait de son film La vie n’est pas immobile que le père du cinéaste l’a contacté… pour lui faire part de sa colère. Poids de la tradition oblige, Alassane Diago a dû s’excuser auprès de ce père blessé par l’évocation de l’abandon coupable sur la place publique. La tension retombée, le cinéaste a pu envisager plus sereinement le périple au Gabon qui est la matière première de ce documentaire.

Pour débuter son documentaire, Alassane Diago interroge sa mère qui livre pudiquement à la caméra son analyse de la situation : son père a nécessairement été marabouté sinon il n’aurait jamais abandonné sa famille. Et lorsque son fils, incrédule, lui demande si elle le pense vraiment, elle ajoute que c’est la volonté de Dieu. Cet argument d’une puissance divine jouant avec le destin des Hommes est également repris par son père qui assure à son fils que c’est Dieu qui l’a mis dans cette situation. Et qu’il n’a de toute façon jamais eu les ressources nécessaires pour revenir au pays. Ces excuses faisant intervenir un sorcier ou Dieu lui-même peuvent être perçues de prime abord comme amusantes mais elle sont aussi touchantes pour ce qu’elles disent de l’impossibilité à reconnaître la situation. La religion ou encore la tradition du village sont autant de freins à l’acceptation de cet abandon pourtant manifeste, des paravents bien pratiques qui ont du mal à cacher l’embarras de ce père mis face à ses contractions.

Rencontrer mon père © Les Films Hatari, Les Films d’ici et JHR Films

Papaoutai

Alassane Diago laisse tourner sa caméra pendant de longs plans séquences pour capter les silences de ce père qui peine à trouver les mots. Entre deux justifications faisant appel à Dieu ou à ses capacités financières, le manque de répondant du géniteur en dit long. Il apparaît tout à la fois hypocrite, lâche mais aussi touchant pour son malaise qu’il a du mal à cacher. Après tout, comment justifier de ne pas avoir donné de nouvelles pendant plus de 20 ans ? Le coup de grâce est l’évocation de la religion. Ce père très croyant peine à expliquer pourquoi il n’était pas présent pour enseigner l’Islam à son fils comme le préconise le Coran. De cet échange, le père ressort particulièrement touché, confronté à ses contradictions et ses manquements.

Et il y a l’autre famille, ce père déserteur a une nouvelle femme gabonaise et trois enfants. Lors d’un entretien où les enfants sont mutiques face aux questions de leur demi-frère, une des deux sœurs avoue avec émotion qu’elle préfèrerait parfois que son père ne soit pas là du tout car il ne s’occupe pas assez bien d’eux selon elle. Présent physiquement ou absent, cet aveu en dit un peu plus sur ce père fantomatique que la caméra du fils tente de cerner avec tant de difficulté. À travers ces questions restées sans véritables réponses, Rencontrer mon père pose en creux la question de la nature mystérieuse des liens familiaux. Un début de réponse est donné, contre toute attente, par ce père absent à la toute fin du documentaire. Alors que son fils vient de prendre le taxi pour repartir.  

Avec ce périple très personnel à la rencontre de son père, Alassane Diago interroge l’abandon avec une sincère envie de comprendre qui évite de tomber dans le règlement de compte. Rencontrer mon père prend le temps de capter les silences embarrassés et offre, à défaut de réponses, l’esquisse d’une famille atomisée sur laquelle pèse le poids d’un pardon impossible.

> Rencontrer mon père, réalisé par Alassane Diago, France, 2018 (1h26)

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