Québec, la lutte s’enracine

Québec, la lutte s’enracine

Québec, la lutte s’enracine

Québec, la lutte s’enracine

13 juin 2012

Montréal - Voilà 49 nuits que se poursuivent à Montréal les manifestations spontanées en opposition à la décision du gouvernement du Québec d'augmenter les frais de scolarité. Le mouvement contestataire, qui dure depuis maintenant quatre mois, ne s'essouffle apparemment pas. Bien au contraire, les méthodes de protestations sont de plus en plus diversifiées et le parti libéral vient de perdre l'un de ses comtés les plus fidèles.

Mireille Fournier, l’auteur de cet article, est étudiante à Montréal. Elle participe au Printemps québécois depuis plusieurs semaines.

Anarchopanda et un policier, le 5 juin dernier | FlickR_CC_Alexis Gravel

Les abus policiers

Depuis l’adoption de la loi spéciale 78 qui interdit les manifestations spontanées, le mouvement a gagné un nouveau souffle : celui de la défense des droits du citoyen. Mais les arrestations arbitraires et les tactiques d’intimidation de la police se sont radicalisées : les policiers procèdent maintenant régulièrement à des fouilles sur les porteurs du carré rouge, notamment dans le métro de la ville. C’est que Montréal débute sa saison la plus touristique avec son Grand Prix de Formule 1 et ses festivals de musique ; les autorités craignent donc que les militants ne perturbent l’activité touristique de la ville.

Dans les manifestations de nuit, l’atmosphère varie énormément. Les foules les plus nombreuses sont habituellement plus pacifiques que les plus petits groupes. Dimanche soir, alors qu’il n’y avait que quelques centaines de manifestants, la vitrine de la Caisse de dépôt et placements, ainsi que celle de la Banque nationale ont été brisées.

Manifestation nue, 7 juin à Montréal | FlickR_CC_Fatseth

La police intervient toujours rapidement : leur tactique consiste à coincer les manifestants en souricière tout en les sommant de se disperser. Ces ordres contradictoires sèment à coup sûr la panique et c’est dans ces circonstances que des dizaines d’arrestations arbitraires ont lieu presque chaque soir.

Malgré leur stratégie d’automates, on peut aisément constater la tension que génère chez les policiers la pression populaire. Dimanche dernier vers 22h, alors que des antiémeutes dispersaient une foule de badauds sur la Rue Sainte-Catherine Ouest, ces mêmes badauds (visiblement non manifestant) ont entonné en chœur le slogan: "You’re sexy, you’re cute, take off your riott suit!" Ce à quoi un policier a répliqué: "Shut the fuck up and move if you don’t want to be arrested!"[fn]"T’es sexy, t’es mignon, enlève ton haut !" Réponse du policier : "Ferme ta gueule et dégage si tu ne veux pas être arrêté![/fn]

La diversification des méthodes

Vu les risques en cas de participation aux manifestations nocturnes, plusieurs citoyens ont révisé leurs moyens de s’exprimer. En fin de semaine, des manifestations à vélo sont organisées en plein jour et regroupent souvent un éventail plus large de citoyens engagés. Là, nombreux sont les tandems avec des enfants, car la non-violence est à l’honneur.

Anarchopanda en pleine manifestation, le 16 mai dernier, à Montréal | FlickR_CC_Henry Gass

Inspirées par les indignés d’Argentine et du Chili, les familles des quartiers résidentiels de Montréal font, depuis un mois, des concerts de casseroles ou cacerolazo, pour protester entre voisins dans une atmosphère festive. Traditionnellement, le cacerolazo est un avertissement qui précède les manifestations d’envergure, mais le mouvement québécois l’a repris comme mode alternatif de protestation.

Mais le plus original reste sans aucun doute Anarchopanda. Professeur de philosophie anonyme sous un costume de panda géant, il défend des valeurs pacifiques en offrant des câlins aux policiers de l’escouade de surveillance surnommés affectueusement "poussins", en raison de leurs dossards jaunes. Devenu une véritable icône de la désobéissance pacifique, Anarchopanda a amassé un capital de sympathie important, en particulier sur les médias sociaux grâce à sa figure de peluche photogénique.

Un autre flanc à découvert

En dehors de Montréal, l’appui au mouvement du Printemps québécois demeure plutôt incertain, car il existe une profonde dualité métropole-régions au Québec. Cependant, l’élection partielle de lundi dernier a porté au pouvoir un député de l’opposition dans le comté d’Argenteuil, une forteresse libérale depuis 46 ans.

Le 28 mai 2012, manifestation à la casserole | FlickR_CC_Laurelrusswurm

Un bémol : la majorité de la population du comté (58%) n’a pas voté. Cependant, cette victoire a galvanisé tous les opposants au gouvernement. Il est à noter que même si le Parti Québécois, Québec Solidaire et Option nationale s’affichent en faveur des étudiants, aucun de ces partis ne fait l’unanimité au sein du mouvement contestataire. En fait, outre sa collaboration avec les syndicats, le mouvement reste sans affiliation politique.

Depuis dix jours, court la rumeur d’une élection générale en septembre 2012. La victoire de l’opposition dans Argenteuil laisse donc entrevoir une possibilité de mettre fin à ces neuf années sous contrôle du parti libéral. Enfin, dans cette lutte d’endurance, le mouvement a jusqu’à présent démontré qu’on ne le déracinerait pas à coups de loi bâillon, encore moins à coups de matraque.