L’entente sabotée
Le soulagement qu’avait provoqué l’entente de principe du 6 mai, a été de bien courte durée. Le lendemain de sa signature, alors que les chefs des fédérations étudiantes soumettaient cette proposition à leurs membres, une série de déclarations a rallumé la flamme du conflit.
L’entente comportait d’innombrables zones grises.
Elle stipulait qu’un comité allait être chargé de déterminer comment améliorer la gestion des universités, pour que la hausse des frais de scolarité soit en partie compensée par une baisse des frais institutionnels. Seulement, la ministre Line Beauchamp a déclaré ensuite que ce comité n’aurait qu’un pouvoir consultatif, et qu’il se pouvait fort bien que la hausse ne soit nullement compensée. En colère, les associations étudiantes ont rejeté en bloc ce compromis illusoire.
Destinées à la base électorale du parti, ces allégations visaient manifestement à démontrer la fermeté du gouvernement face aux revendications étudiantes. Or, ce rejet signifiait une fois pour toutes la perte totale du peu de confiance qui avait pu s’établir entre les parties.
Un flanc à découvert
Le 14 mai dernier, la ministre Line Beauchamp a démissionné, avouant son incapacité à régler ce conflit important. C’était la première fois, depuis le début du conflit, qu’un membre du gouvernement reconnaissait publiquement « l’importance » du mouvement.
Même si la ministre a affirmé ne pas avoir cédé à l’intimidation (virulente sur les médias sociaux), elle a dit espérer que sa démission face l’effet d’un électrochoc et dynamise le conflit qu’elle avait laissé stagner depuis si longtemps. La démission de Line Beauchamp a laissé une faille dans la muraille des libéraux, un flanc à découvert susceptible de galvaniser les attaques adverses. C’est donc pour briser cet élan que le gouvernement de Jean Charest a choisi une tangente aussi autoritaire.
Le mouvement continue
Sur la place Émilie-Gamelin, dans l’est du centre ville, des milliers de personnes se sont spontanément rassemblées vendredi vers 20h30, à peine 3h après l’adoption de la loi spéciale 78. Malgré un incident vers 21h30, un cocktail Molotov lancé au milieu d’une rue du quartier chinois, l’atmosphère est restée paisible, presque festive. Des slogans ont tourné en dérision l’article de cette loi spéciale 78 qui « déclare illégal tout attroupement de plus de 50 personnes ». En colère mais heureux d’être aussi nombreux, les manifestants ont voulu démontrer le caractère inapplicable de cette loi bâillon.
Au sujet de cette loi, elle cible « quiconque […] amène ou encourage une autre personne à commettre une infraction», prohibant ainsi l’expression d’une opinion favorable à la désobéissance civile. La liberté de manifestation sur la place publique est théoriquement abolie, comme la liberté d’expression puisque les porteurs du carré rouge, symbole d’appui au mouvement, sont passibles d’une amende salée. Théoriquement.
Samedi, la manifestation s’est déroulée pacifiquement jusqu’à 22h lorsque la police anti-émeute a chargé la foule à titre « préventif ». Vers 23h, lorsque certains manifestants ont lancé des projectiles en direction des policiers et allumé des barricades sur Saint-Denis, les escouades ont poursuivi, gazé et matraqué la foule. Manifestants, passants et quelques journalistes ont été arrêtés pêle-mêle.
Puisque la manifestation, même illégale, a été tolérée jusqu’à 22h, cette intervention ne relevait pas de l’application de la loi 78. La police soutient qu’il s’agit de la procédure normale lorsque des actes de violence sont commis lors d’une manifestation, sauf que personne ne s’explique les charges préventives qui ont apparemment ouvert les hostilités.
Bref, suspendre les libertés fondamentales a-t-il jamais été un moyen de ramener la paix sociale? Samedi soir, les manifestants qui dansaient autour des bûchers, rue Saint-Denis, ont simplement répondu: "Révolution"
> L’auteur de cet article, Mireille Fournier, est en terminale du baccalauréat international au Québec et prend part au mouvement et aux manifestations des étudiants.