« Prenons la une » contre le sexisme dans les médias

« Prenons la une » contre le sexisme dans les médias

« Prenons la une » contre le sexisme dans les médias

« Prenons la une » contre le sexisme dans les médias

20 mars 2014

Dans les médias aussi, il n'y a pas assez de femmes. Pour que la gente féminine soit mieux représentée, dans les rédactions et parmi les invités, des femmes journalistes se sont rassemblées dans le collectif Prenons la une pour faire bouger les lignes. Citazine a rencontré Claire Alet, journaliste pour Alternatives économiques, à l'origine du mouvement.

Le 3 mars dernier, le collectif Prenons La Une publiait dans les pages Rebonds de Libération un manifeste contre le sexisme et la sous-représentation des femmes dans les médias et dans les rédactions. Réunies au sein du collectif, une trentaine de femmes journalistes ont dénoncé la sous-représentation des femmes dans les rédactions – seulement 3 directeurs de rédaction sur 10 sont des directrices – et d’expertes dans les colonnes des journaux et sur les plateaux de télévision.

Celles-ci représentent seulement 20 % des experts sur les plateaux de télévision, 17 % en radio selon le CSA et 15 % pour la presse écrite et le web, selon le rapport de la commission sur l’image des femmes dans les médias publié en 2011.

Un manifeste signé par 250 journalistes qui depuis a dépassé les 700 signatures. Des femmes, des hommes, journalistes ou seulement citoyens. Parallèlement, le Tumblr « Prenons la une » a été lancé, fournissant des témoignages de femmes victimes de sexismes ordinaires dans les rédactions, « les anecdotes de rédactions ». Il pointe aussi du doigt des articles ou des unes, à tonalité machiste. Une action qui fait échos à la grève des signatures menées par les femmes journalistes du quotidien économique Les Echos en juin dernier.

Un peu plus de deux semaines après la publication du manifeste, Citazine a rencontré Claire Alet, journaliste pour Alternatives économiques et à l’origine du projet avec Léa Lejeune, journaliste pour le quotidien Libération, pour tirer un premier bilan.

Quels ont été les éléments déclencheurs à la création du collectif Prenons la une ?

J’ai constaté que dans de plus en plus de secteurs économiques et professionnels, les femmes se rassemblaient en collectif pour défendre leur place et essayer de briser le plafond de verre. Mais dans les médias, de telles initiatives n’existaient pas.

Le mouvement des femmes aux Echos, en juin dernier, a aussi été un déclic. Ca a été la preuve qu’il y avait des choses à faire. Que certaines femmes étaient mobilisées dans leur rédaction. L’idée était de former un collectif inter-média (télé, radio, web, papier) pour dénoncer la trop grande invisibilité des femmes dans les médias, les stéréotypes, les propos sexistes et les inégalités entre les femmes et les hommes journalistes.

On ne pensait pas que le mouvement prendrait une telle ampleur. Rapidement, on s’est retrouvé avec plus de 700 signataires. Ce qui prouve qu’on n’est pas à côté de la plaque. Qu’il y a des choses qui doivent être dites et qu’on est face à une domination masculine qui ne dit pas son nom. Là, dans les médias, mais c’est partout.

Plus de 3.200 personnes nous suivent aujourd’hui sur les réseaux sociaux. Clairement, ils sont notre force de frappe. Les réseaux sociaux sont le nerf de notre guerre : on fait une veille sur les propos sexistes, les stéréotypes, l’absence de femmes dans les médias.

Concernant la sous-représentativité de femmes expertes dans les médias, vous prenez en exemple le cas de la BBC. Comment ça se passe là-bas ?

A la BBC, c’était le même constat concernant la sous-représentation  des femmes. Ils ont été critiqués pour ça et ont créé en réaction une base de données, en interne, listant de femmes expertes pour que les journalistes puissent puiser dedans et diversifier leurs invités. Ils ont aussi créé la BBC Academy, une sorte d’école qui propose des cours de medias training aux femmes qui n’ont pas l’habitude de s’exprimer dans les médias. L’idée était que le fait de ne pas être habituée à l’exercice ne soit pas un frein pour s’exprimer dans les médias. On est face à un cercle vicieux : on a tendance, journaliste, à contacter toujours les mêmes, parce qu’on doit travailler vite et parce qu’on sait qu’untel est un bon client. Ces gens prennent l’habitude de s’exprimer dans les médias, gagnent en notoriété. Comme ils sont de plus en plus connus, on les appelle, ils prennent l’habitude de s’exprimer… et ainsi de suite.

Pour une femme, on se dit qu’elle n’est pas connue, qu’elle n’a pas l’habitude, qu’on ne sait pas si c’est une bonne cliente. Alors on ne l’appelle pas, elle n’est pas connue, elle n’a pas l’habitude de s’exprimer… La même spirale inversée. Cette école permet de briser ce cercle vicieux.

Pour ne plus entendre : « J’aurais aimé interviewer une femme, mais je n’en ai pas trouvé ! »

C’est l’argument de facilité de dire : « j’aimerais contacter des femmes, mais il n’y en a pas » ! 45 % des chercheurs sont des femmes, il y a de plus en plus de médecins, d'avocates, journalistes… Et de plus en plus d’annuaires se constituent, au sein des rédactions, comme à FranceTV, on connaît aussi le guide des expertes… Il suffit juste de sortir de ses habitudes.

Claire Alet. | Photo Dorothée Duchemin

Vous souhaitez la mise en place de cours sur l'égalité homme-femme dans les écoles de journalisme. L'idée avait pourtant fait grincer des dents en février dernier. Les écoles ont-elles ont évolué sur ce sujet ?

Ils se sont émus d’un amendement intégré dans la loi sur l’égalité homme-femme. Le législateur leur imposait la mise en place de module pour lutter contre les stéréotypes. Ils dénonçaient deux choses : que le législateur l’impose, ce qui peut éventuellement se comprendre. Ils sont aussi émus du fait que ce sujet puisse paraître important, avec une réaction du type « aujourd’hui, c’est l’égalité homme entre les femmes et les hommes et demain, ce sera quoi ? ». Ils ont été maladroits et auraient dû dire seulement qu’il n’avait pas besoin du législateur pour appliquer cette mesure. Parce qu’effectivement, certaines écoles l’ont déjà mis en place. Mais oui, c’est suffisamment important pour le faire !

Les écoles se sont élevées contre le fait d’être seules la cible de cette disposition dans la loi. Ces dernières, et les journalistes, n’ont donc pas conscience du rôle que jouent les médias dans la représentation de la femme dans la société ?

Manifestement non. La député qui a déposé cet amendement ne concernant que les écoles de journalisme et non pas les écoles de commerce, de publicité… l’a fait parce que les médias ont un rôle particulier en terme de reflet de la société. Les médias participent à la définition d’une forme de norme et construisent des images normatives. C’est en ça qu’ils ont un rôle important. Une jeune fille qui allume la radio tous les matins et qui n’entend que des hommes s’exprimer, comment se projette-t-elle dans son avenir ? Comment peut-elle s’autoriser à réaliser ses rêves et ses ambitions professionnelles ? Alors qu’on sait qu’on va se cogner à ce plafond de verre et avoir mal à la tête. Les écoles de journalisme, dans leur réaction, n’ont pas pris la mesure du pouvoir qu’elles ont.

Vous avez rencontré la semaine dernière la ministre de la Culture et de la communication Aurélie Filipetti. A quel titre ?

On est allé la voir pour deux points : le conditionnement des aides à la presse à la parité, et pour que, si un jour le fameux serpent de mer du Conseil de la presse voit le jour, on trouve des éléments liés à la parité et à la place des femmes dans les médias dans ses critères de déontologie.

L’aide à la presse est un système compliqué : il s’agirait de travailler à l’avenir sur un malus reposant sur plusieurs critères dont la présence des femmes dans les médias. Ce n’est ni fait ni écrit. Mais c’est ce qu’on aimerait.

Le futur Conseil de la presse serait, quant à lui, un organe de médiation entre les médias et les utilisateurs. La ministre souhaite que ce Conseil de la presse voit le jour et que des critères relatifs à la place des femmes dans les médias y soient inscrits. Mais, selon elle, cette initiative doit venir de la profession, la presse étant indépendante, et ne doit pas être une décision politique.

Nous voulons que ce Conseil de la presse existe pour qu’il puisse porter la question de la place des femmes dans la presse écrite et sur le web. Dans l’audiovisuel, le CSA fait des choses. Pour la presse écrite, il n’y a rien. Quand Candeloro sort des propos sexistes, on peut saisir le CSA. En presse écrite, aucune instance ne peut être saisie.

Et tant que ce conseil de la presse n’existe pas, vous pourriez devenir l’instance non officielle à saisir ?

C’est vrai qu’on a reçu des témoignages choquants. On voudrait orienter à l’avenir certaines femmes journalistes qui nous font part de situation clairement illégale, comme du harcèlement sexuel, vers des avocats pour qu’elles puissent réagir en justice. Elles nous font parfois part de situations qui vont bien au-delà du sexisme ordinaire. Mais bien sûr, nous ne sommes ni un syndicat, ni un collectif d’avocats.

Nous continuerons surtout à participer à des débats, à des conférences, pour défendre la place des femmes dans les médias, à rencontrer les différents acteurs pour que nos propositions voient le jour. Et sur notre Tumblr, on compte bientôt répertorier toutes les initiatives qui recensent les femmes spécialistes dans leur domaine. Pour qu’on n’entende plus les journalistes dire : « je n’ai pas trouvé de femmes pour mon interview ».