Peu à peu, les océans se vident dramatiquement. Les poissons disparaissent et Miranda, la dernière baleine au monde, vit ses derniers instants devant les caméras. Pour éviter le désastre écologique, Daniel (Gustave Kervern), scientifique dans un laboratoire dédié au monde marin, cherche le moyen de motiver les poissons à se reproduire à nouveau.
Célibataire désabusé, le chercheur aurait lui aussi bien besoin d’un coup de pouce à ce niveau. Obsédé par l’idée d’avoir des enfants, il compte bien traiter ce problème scientifiquement. Mais voilà, à Bellerose il y a seulement trois femmes en âge de procréer, soit une chance sur 6232,33 de rencontrer la mère de ses futurs enfants.
Tout bascule lorsque Daniel découvre par hasard sur la plage un étonnant poisson avec des pattes. Très rapidement, la créature commence à lui parler ! Le mystérieux animal encourage Daniel à tenter sa chance avec Lucie (India Hair), employée réservée d’une supérette de la ville.
Le rire du désespoir
Projet débuté il y a sept ans, avant le réjouissant documentaire Swagger (2016) — lire notre chronique —, Poissonsexe s’inscrit dans l’esprit de la série Le bidule (1999-2000). Coécrite et réalisée par Olivier Babinet, cette série d’anticipation diffusée sur Canal + abordait des sujets graves avec un ton loufoque. Le « bidule », objet en lien avec la radioactivité, totalement inutile mais qu’il faut posséder à tout prix, annonçait avec ironie l’absurdité d’une société de consommation effrénée.
Vingt ans plus tard, le ton décalé de la série se retrouve dans cette comédie romantique d’anticipation qui pose un regard anxieux sur la catastrophe écologique en cours. Poissonsexe — qui devait à l’origine sortir le 1er avril, évidement — est ainsi qualifié de film « mélancomique » par son réalisateur. Un terme qui sied parfaitement à cette drôle de romance qui met en scène des personnages en mal d’avenir confronté à un changement radical dans les océans annonçant leur propre fin potentielle en tant qu’espèce.
Être ou ne pas naître
À la genèse du projet, l’envie du réalisateur d’avoir un troisième enfant. Ce désir d’ajouter un nouvel être humain sur la planète n’a pas été sans questionnement. Comme de plus en plus de personne, le cinéaste s’est demandé s’il souhaitait véritablement imposer à son enfant à venir une planète dans l’état où elle est. Une réflexion écologique qui convainquait un nombre toujours plus important de personnes à renoncer à se reproduire.
Cette prise de conscience écologique est transposée dans le film à travers l’inquiétante disparition de la vie dans les océans qui fait écho au difficile rapport à la parentalité de Daniel et Lucie. Le physicien ne s’est jamais remis d’avoir été quitté par sa femme mais désir toujours plus que tout être père. Au point d’avoir préparé une chambre pour cet enfant qu’il n’a pas encore !
Gustave Kervern, pilier de Groland et réalisateur avec son compère Benoît Delépine, incarne avec une justesse touchante cet homme maladroit qui espère un avenir meilleur, dans son labo ou dans la chambre d’enfant qui reste désespérément vide. Cette envie de fonder une famille il va la projeter sur Lucie mais dans le monde de Poissonsexe la procréation n’est pas seulement compliquée pour les poissons.
Libido trouble
Se reproduire pourquoi pas, mais comment ? La réponse peut sembler d’une évidente trivialité mais dans la comédie d’anticipation d’Olivier Babinet il s’agit d’une réelle problématique. Pour les poissons déjà. Dans son laboratoire, Daniel tente de redonner l’envie d’avoir envie à des poissons-zèbres qui n’ont plus aucune libido. Cette extinction décrite dans Poissonsexe est d’autant plus inquiétante qu’elle est malheureusement crédible.
Certes, les poissons ne vont probablement pas arrêter de se reproduire comme dans le film mais d’autres menaces bien réelles planent déjà au dessus de nos têtes. La féminisation globale des espèces due au rejet d’œstrogènes dans l’eau est un phénomène qui devrait nous alarmer. Au menu des bouleversements constatés, des ovules ont été retrouvés dans les testicules de certains poissons et, à l’inverse, des ours polaires femelles se masculinisent. Une grande confusion hormonale qui n’épargne pas l’être humain coupable de cette pollution.
Ainsi le rétrécissement du pénis observé chez les poissons a aussi été repéré chez les humains au niveau mondial. Un retour de karma mérité mais qui reste inquiétant. Et pendant ce temps, la qualité du sperme a baissé de 40% en dix ans à Paris. La disparition de la vie dans les océans annoncée dans Poissonsexe nous renvoie à notre irresponsabilité et à un futur qui s’annonce incertain. La stérilité globale menace et, telle une comète arrivant de derrière le soleil, il est probable que l’humanité réagisse trop tard pour empêcher la catastrophe.
Ainsi parlait Nietzche
En dehors de sa bouille très sympathique, la drôle de créature sauvée des eaux par Daniel est le symbole parfait de cette menace d’extinction qui plane sur le film. Il s’agit d’un axolotl. Ce « poisson à pattes » au nom difficilement prononçable n’en est pas un puisqu’il s’agit d’un amphibien. Surnommé Nietzche, il parle avec Daniel pour l’encourager à tenter sa chance avec Lucie. Cet adorable coach de vie apporte un côté surréaliste à la romance et une touche d’espoir salvatrice.
Originaire des lacs de haute et moyenne altitude du Mexique, la drôle de bestiole tient son nom du peuple aztèque en référence au dieu des morts. La pêche intensive, l’urbanisation, la pollution des eaux et les prédateurs introduits par l’homme sont autant de raisons pour lesquelles l’axolotl a quasiment disparu à l’état sauvage. Symbole de renouveau pour Daniel, il l’est également dans la nature. L’amphibien possède en effet la capacité de régénérer tout au long de sa vie n’importe quelle partie de son anatomie, y compris ses yeux ou son cerveau !
Confident de Daniel, Nietzche est une espèce menacée mais également une créature « surnaturelle » porteuse d’espoir. Bien placé pour comprendre le drame écologique qui se joue, l’amphibien bavard encourage pourtant le physicien à aller de l’avant. L’enthousiasme du sympathique animal résume bien l’ambiance qui se dégage de cette romance décalée qui ne se résigne pas au défaitisme malgré l’urgence de la situation.
Entre sourire et prise de conscience, le nouveau film d’Olivier Babinet nous plonge dans un futur d’autant plus sombre qu’il est envisageable miraculeusement illuminé par une romance attachante. Comédie tourmentée, Poissonsexe interroge avec tendresse et poésie la projection dans l’avenir… à condition qu’il y en est un.
> Poissonsexe, réalisé par Olivier Babinet, France – Belgique, 2019 (1h29)