Après la Palme d’Or au dernier Festival de Cannes, Parasite a terminé en apothéose son parcours des cérémonies en repartant avec 4 statuettes lors de la grande messe des Oscars. Le magnifique film de Bong Joon Ho — lire notre chronique — est entré dans l’histoire lors de cette soirée mémorable en battant deux records.
Le thriller social du cinéaste sud-coréen est en effet le premier film non anglophone à remporter l’Oscar du meilleur film — ce qui n’est pas une mince affaire dans un pays où les sous titres semblent être l’œuvre du diable — et le premier à cumuler Oscar du meilleur film et Oscar du meilleur film international. Parasite est également la troisième Palme d’or de l’histoire à recevoir l’Oscar du meilleur film. Seuls avant lui Marty (1955) de Delbert Mann et The Lost Weekend (1946) de Billy Wilder ont eu cet honneur.
Fort de ces récompenses, le film de Bong Joon Ho est ressorti en salles la semaine dernière dans sa version d’origine et débarque en version noir et blanc ce 19 février, avant de devenir une mini-série. Coup de promo pour surfer sur la vague du succès ou véritable expérience cinématographique ?
Voleurs de couleurs !
Les directeurs de studios hollywoodiens ont eu un moment la — mauvaise — idée de coloriser des grands classiques du cinéma en noir et blanc mais la tendance inverse reste rare. Il existe cependant certains exemples frappants. Ainsi George Miller a proposé une version « black & chrome » de Mad Max: Fury Road (2015) offrant une certaines classe aux explosions et à la poussière du dernier opus en date de la saga apocalyptique. Plus récemment, l’édition blu ray du testamentaire Logan (2017) de James Mangold proposait une version du film en noir et blanc sobrement intitulée Logan Noir.
Bong Joon Ho n’est d’ailleurs lui-même pas à son coup d’essai. En 2009, il avait déjà tenté l’expérience avec l’excellent Mother, proposé quatre ans plus tard en noir et blanc avec l’aide de son directeur de la photographie Hong Kyung-pyo. Cette fois-ci le cinéaste n’a pas attendu : il préparait déjà cette nouvelle version de Parasite avant que le film ne soit couronné à Cannes. Voilà qui répond au soupçon d’une version destinée à surfer sur l’engouement actuel autour du film, profitant même à un fabricant de chips espagnol.
Les étonnants talents de l’étalonneur
Bong Joon Ho a supervisé la nouvelle version du film confiée à un étalonneur. Derrière ce terme se cache un métier méconnu qui travaille en bonne intelligence — quand tout se passe bien — avec le réalisateur et le chef opérateur. Son travail consiste essentiellement à lisser le rendu du film pour éviter les écarts entre les plans en terme de couleurs. L’étalonneur équilibre les trois couleurs primaires — rouge, vert, bleu — afin de donner une teinte particulière au film.
Procédé intervenant en post production, il s’agit de la dernière étape créative où le film se révèle dans sa version définitive. Garant d’une certaine homogénéité visuelle, le travail de l’étalonneur est aussi important que mystérieux pour le spectateur lambda. Pour un passage en noir et blanc, le résultat est d’autant plus réussi lorsque l’étalonneur ne se contente pas de juste retirer la couleur d’origine du film comme un filtre Instagram et de jouer plus ou moins avec le contraste.
50 nuances plus sombres
Mais alors cette version « black & white », a-t-elle un intérêt ? Sans surpasser l’œuvre originale, elle propose une relecture intrigante. Plutôt rares, les films tournés en noir et blanc renvoient inconsciemment au cinéma classique dans l’esprit du spectateur. L’absence de couleur appose le sceau d’un classicisme hors du temps sur l’œuvre. Ainsi certaines scènes de Parasite en version noir et blanc font irrémédiablement penser aux thrillers hitchcockiens.
Bong Joon Ho s’est évidemment prêté au jeu de revoir son film dans la nouvelle version. Il a confié que lors du premier visionnage, le film semblait être une fable, une « histoire d’une autre époque ». Le noir et blanc déconnecte en effet le film de sa modernité en le renvoyant à un classicisme fantasmé et éternel. La seconde fois, le film a paru beaucoup plus réaliste au cinéaste, « tranchant comme une lame ».
Avec sa teinte jaunâtre rappelant par moment d’anciens tirages photos en argentique, cette version « black and white » de Parasite ne joue pas l’opposition franche entre le blanc et le noir. L’absence de couleurs vives fait par moment regretter le vert éclatant du jardin de la famille Park mais la sobriété chromatique a aussi ses avantages. Le sous sol de la maison d’architecte est ainsi encore plus claustrophobique et les gros plans sur les expressions des comédiens, débarrassés de la couleur qui distrait, sont plus intenses.
Difficile d’établir une hiérarchie entre les deux versions du film, le premier visionnage ayant toujours l’avantage de la découverte. Sans révolutionner le rapport à l’histoire, Parasite version « black & white » est un objet de curiosité qui devrait contenter les cinéphiles les plus curieux et évidemment les adeptes de Bong Joon Ho.
> Parasite version black & white, réalisé par Bong Joon Ho, Corée du Sud, 2020 (2h12)