« Sleep », somnambule de protection

« Sleep », somnambule de protection

« Sleep », somnambule de protection

« Sleep », somnambule de protection

Au cinéma le 21 février 2024

La vie d'un jeune couple est bouleversée lorsque le mari, subitement somnambule, semble devenir quelqu'un d'autre la nuit tombée. Terrifiée, sa femme craint qu'il s'en prenne à leur nouveau-né. Avec son histoire à dormir debout - littéralement -, Sleep ausculte l'horreur par le prisme décalé de l'entraide amoureuse. Naviguant habilement entre angoisse, romance et humour noir, ce mélange des genres séduisant souffre d'une fin malheureusement un peu moins inspirée.

Alors que leur bébé n’est pas encore né, un jeune couple coréen connaît des nuits de plus en plus agitées. Soo-jin (Jung Yu-mi) s’inquiète pour son mari Hyun-su (Lee Sun-kyun) dont le sommeil est de plus en plus mouvementé. Impuissante, elle assiste à ses crises de somnambulisme de plus en plus inquiétantes. Lorsque Hyun-su commence à se griffer le visage dans son sommeil et à errer de façon menaçante dans l’appartement chaque nuit, une consultation à la clinique du sommeil s’impose.

Malgré les conseils et les médicaments, la situation ne fait qu’empirer au fil des semaines. Lors de ses crises, Hyun-su semble comme possédé et Soo-jin commence à craindre que son mari sous emprise soit une menace pour leur enfant qui vient de naître.

Sleep © photo Lewis Pictures - Solaire Partners - Jokers Films

Mari à tout prix

Assistant réalisateur sur Okja (2017) de Bong Joon Ho, Jason Yu s’est beaucoup inspiré de sa propre expérience de couple pour ce premier long-métrage en tant que réalisateur. Film de genre, Sleep est avant tout une réflexion du jeune cinéaste sur le mariage. Jason Yu y met à l’épreuve deux jeunes tourtereaux dans sa vision fantasmée d’un mariage très soudé que rien ne semble pouvoir briser.

L’intrusion perverse des inquiétants troubles du sommeil de Hyun-su met en valeur la solidité de cette union autant qu’elle interroge sur le point de rupture de la confiance. Ainsi Sleep est autant un film d’horreur qu’une comédie – noire – sentimentale. Un étonnant mélange des genres réussi dont le cœur réside dans cette confiance entre Soo-jin et Hyun-su.

Pas question de se séparer face à l’épreuve, le couple affronte ces étranges manifestations nocturnes ensemble. Cette résistance face à l’inconnu ancre le film dans une vision très réaliste de la résolution du problème et rend attachants les deux malheureux à la santé mentale menacée par le manque de sommeil.

Sleep © photo Lewis Pictures - Solaire Partners - Jokers Films

Sommeil perturbateur

Le mal étrange qui étreint Hyun-su est traité d’une façon très prosaïque. Des gants pour éviter qu’il se griffe le visage malgré lui pendant la nuit jusqu’à l’immobilisation dans un duvet dont il ne peut s’extraire, ces méthodes de bon sens marquent le pragmatisme du jeune couple face aux inquiétantes crises de somnambulisme. Avant de chercher des réponses à l’extérieur, Soo-jin et Hyun-su pensent venir à bout de cette crise en restant soudés.

Les crises de Hyun-su peuvent également être interprétées comme une allégorie de violences conjugales. Ses excursions nocturnes comme la manifestation d’une autre identité terrifiante cachée aux yeux de la société qui se déchaîne dans le cadre intime. Mais cet angle n’est pas forcé par le réalisateur qui s’attache à la gestion, à deux, du problème. Alors que la situation empire et malgré leurs bonnes intentions, la question devient pourtant plus complexe. Comment vivre lorsque le repos devient dangereux, voire impossible ?

Sleep © photo Lewis Pictures - Solaire Partners - Jokers Films

Le rire du désespoir

Cette interrogation est d’autant plus fascinante lorsque la menace est justement l’être aimé, du moins en apparence. Un ressort dramatique toujours efficace, certains diront éculé, mais traité ici avec une honnêteté et simplicité touchantes. La volonté de Soo-jin à trouver à tout prix des solutions donne au film son côté décalé avec des situations à la fois grotesques et touchantes qui prêtent à sourire.

En examinant ces crises avec un esprit très pratique, Jason Yu tient à distance les effets de jump scare dont sont parfois – trop – friands les films d’horreur. L’angoisse monte progressivement, justement parce que tout semble échouer au fur et à mesure. Des solutions bricolées aux médicaments prescrits, l’alter ego nocturne de Hyun-su devient de plus en plus flippant. Et sa folie, contagieuse.

Stressée et sans sommeil, c’est désormais Soo-jin qui commence à perdre ses repères. Liée par le pacte d’un amour qui ne se dérobe pas, elle est tiraillée entre des injonctions de plus en plus incompatibles : prendre soin de son mari et protéger leur bébé. Le film bascule ainsi progressivement vers un malaise où tout peut arriver, à commencer l’attrait de solutions moins conventionnelles.

Sleep © photo Lewis Pictures - Solaire Partners - Jokers Films

Remède fantastique

En cherchant des réponses au sein du foyer puis auprès de professionnels de santé, le jeune couple semble imperméable à ce fantastique troublant qui se manifeste pourtant de plus en plus fortement. Tant qu’il le peut, Sleep reste l’histoire d’un couple face à une épreuve comme une autre venant perturber leur bonheur, à l’instar d’une belle-mère trop présente ou d’une infidélité révélée.

Mais la tension induite par le manque de sommeil finit par mettre à mal leur complicité face à l’épreuve. Alors que la possession nocturne de Hyun-su devient de plus en plus problématique, le film glisse vers le fantastique en envisageant une aide en dehors de la médecine conventionnelle.

Là encore, cet appel désespéré de la dernière chance à des forces mystiques est un ressort classique du film d’horreur. Pour le cinéaste, il s’agit aussi de mettre en avant l’étonnante dualité de la Corée du Sud sur le sujet. Le pays possède en effet une médecine très avancée et en même temps une forte croyance dans les remèdes parallèles et autres chamans.

Sleep © photo Lewis Pictures - Solaire Partners - Jokers Films

La fin justifiant le moyen

Le dénouement de ce cauchemar éveillé renvoie le film à une construction plus attendue pour un film d’horreur avec l’affrontement avec le mal – le « mâle » si on veut y voir une lecture symbolique. Ce rétrécissement vers le fantastique pur est un peu décevant après la fusion habile de romance, terreur et d’humour qui plane sur la grande majorité du film.

Loué pour son originalité par Bong Joon-ho, Sleep perd malheureusement de vue cette ambiance décalée dans sa dernière ligne droite. Le réveil et le retour à une réalité purement horrifique peut paraître un peu brutale pour ce film qui marque l’une des dernières apparitions à l’écran du regretté Lee Sun-kyun – père de la famille aisée dans le génial Parasite (2019) – lire notre critique -, tragiquement disparu en décembre 2023.

> Sleep (Jam), réalisé par Jason Yu, Corée du Sud, 2023 (1h35)

Sleep (Jam)

Date de sortie
21 février 2024
Durée
1h35
Réalisé par
Jason Yu
Avec
Lee Sun-kyun, Jung Yu-mi, Kim Gook Hee, Yoon Kyung-ho
Pays
Corée du Sud