Où est la lesbienne ?

Où est la lesbienne ?

Où est la lesbienne ?

Où est la lesbienne ?

25 novembre 2010

Une fille comme les autres, drôle et lesbienne ? C'est OcéaneRoseMarie, une lesbienne invisible. Au théâtre, elle raconte son histoire dans un spectacle qui déride. Rencontre drôlatique.

« Je voudrais faire la Bridget Jones des lesbiennes, un truc frais, pas la vieille lesbienne sous Xanax ! » Voici une lesbienne de 33 ans qui assume merveilleusement son homosexualité mais que personne ne croit. C’est une lesbienne invisible, ce qui signifie qu’elle porte des jupes, du maquillage et n’est pas coiffée en brosse. Et aussi, qu’elle n’a pas de chaussures de sécurité jetées à travers la pièce mais de jolis escarpins rangés dans son placard. Oui, elle est bien vivante. La lesbienne invisible existe ! « Les gens imaginent les lesbiennes en Dr Marten’s coquées, Levi’s et qui va t’en coller une parce que tu es un mec. » Océane monte sur la scène des Feux de la rampe depuis septembre 2009 pour raconter les délicieuses et truculentes expériences d’une fille lambda qui couche avec des filles. Son spectacle : OcéaneRoseMarie, la lesbienne invisible.

L’écriture, la création, le théâtre, Océane y baigne depuis des années. Elle suit les cours Simon au lycée et obtient une licence de lettres modernes à Marseille. C’est là que la jeune femme mûrit son premier projet artistique, Oshen. Effrayée par les metteurs en scène qu’elle a rencontrés « souvent névrosés et pas très sympathiques », c’est à la musique qu’elle se consacre désormais. Très rapidement, elle développe son addiction à la scène et propose un tour de chant qui mêle théâtre, musique et chanson. « J’avais un tourneur avant d’avoir un label ! Je faisais les premières parties de Brigitte Fontaine, des Rita Mitsouko. » Oshen signe un album en 2005, un autre en 2007. Jusqu’au jour où son label, racheté par le mastodonte Universal, préfère se débarrasser d’elle, ainsi que de tous les artistes pas suffisamment bankable. Océane admet sans ciller que ce qu’elle proposait dans ses disques manquait de cohérence. « Il y avait un mélange de poésie et de choses rigolotes très extraverties. On trouvait deux couleurs dominantes dans mes albums, un peu contradictoires. » Et puis elle en avait un peu ras-le-bol de passer du clown rigolard à la chanteuse émotionnée. « Les producteurs me disaient : "ma p’tite, tu vas devoir choisir, être la nouvelle Camille ou la nouvelle Muriel Robin !" Je ne voulais être ni l’une ni l’autre, ni même un mélange des deux. » Elle finit par prendre la décision de séparer ces deux aspects de sa personnalité, malgré les risques de schizophrénie ! « J’ai laissé tomber l’humour dans Oshen et je suis allée à fond dans la comédie, avec OcéaneRoseMarie. » Pragmatique et lucide, elle opte pour un spectacle dans lequel elle serait seule sur scène et qu’elle écrirait elle-même : « A trente ans, personne n’allait venir me chercher pour jouer la comédie ! Et seule, ça coûte moins cher et c’est plus simple à organiser pour les répèts’. » Pragmatique, on l’a dit.

Décembre 2008. Elle s’enferme et écrit, très rapidement, sur sa sexualité. Ou plutôt elle raconte les expériences « pathétiques mais drôles » qu’elle a vécues grâce à elle. Doit-on y voir une posture militante ? « Je ne me suis pas du tout responsabilisée par rapport aux lesbiennes. Mais forcément, le fait d’en parler, c’est déjà militant. » Elle reconnaît aussi s’inspirer de Jamel : « il parle des banlieues en étant tellement fort, tellement drôle qu’il met d’accord mon grand-père facho et les mecs des cités ». Si elle refuse d’être estampillée "porte-parole", elle endosse tout de même le costume du bourreau des idées reçues et images préconçues. Océane insiste, ce spectacle a été écrit pour les hétéros. Pourtant, en essayant d’échapper le plus possible aux clichés, il est difficile de ne pas constater la présence de toutes ces femme, gorge déployée à l’évocation du Pulp, une ancienne boîte lesbienne parisienne. Le public ressemble bien à un public averti… « Oui, il y surtout des lesbiennes. Mais c’est grâce à elles que depuis plus d’un an, le spectacle est complet, sans com’ ni promo. Et les retours positifs qu’elles m’envoient me font vraiment plaisir ! »

Elle compte sur le bouche à oreille, les médias et croit en une justice supérieure. « Michel Boujenah a joué quatre ans devant des Juifs avant de toucher un public plus large. Si mon spectacle est vraiment drôle, il marchera. » Quant à ce titre si évocateur, l’épouvantail des hétéros, Océane le brandit comme un trophée : « J’adore voir le mot lesbienne écrit en gros sur les murs du métro ». Mais l’hétéro quarantenaire, un tantinet lesbophobe, osera-t-il pousser la porte du théâtre ? « C’est sûr que s’il voit seulement le titre écrit dans le Pariscope, il préférera aller voir "Ma sœur est un boulet" ou " Amour et chipolatas". Il faut d’abord qu’il en entende parler. » Craint-elle de rester cantonnée à un public lesbien ? Elle répond par une pirouette, forcément drôle. « Quand j’aurais écumé toutes les lesbiennes de France, je serais ravie de jouer devant des hétéros. » Ils auraient tort de se priver. Ce spectacle qui engourdit les zygomatiques n’exclut personne et dresse une galerie de portraits où se croisent une hétéro allumeuse, une autre luciférienne, une lesbienne au "cœur d’artichaut", une autre refoulée, des hommes persuadés qu’aucune lesbienne ne peut leur résister, une bisexuelle malhonnêtement sexy. Le trait de crayon est fin et précis. Y séjourne également la mère de la lesbienne invisible, une femme piquée de psychanalyse qui pousse son ado à se rendre à l’évidence de son homosexualité. « Les mères m’inspirent ! La mienne s’en prend beaucoup pendant le spectacle, mais en vrai, elle est très sympa, branchée psy. Mes parents sont des gens drôles et très ouverts. »

On en sort rafraîchi, défroissé et satisfait d’un tour de scène tout à fait singulier, en plus de faire rire. Il faut dire qu’elle y a réfléchi : « Il n’y a pas trop de spectacles, mais la récurrence des thèmes abordés me fait vraiment chier. Les mecs sont tous des beaufs et les nanas des hystériques de la fringue. C’est facile, rassurant et ça entretient les clichés sur les hommes et les hommes qui vont à l’encontre de mes convictions profondes. Pour moi, il n’y a que des individus ». La raison pour laquelle elle échappe, en souplesse, au carcan majoritaire…

Océane, malgré la lourde présence d’OcéaneRoseMarie, n’a surtout pas oublié Oshen. En décembre prochain, elle sort un troisième album assumé : « Côté musique, c’est vraiment devenu ce que je voulais ». Au cas où on aurait des doutes, elle précise : « Je ne mets aucun espoir dans ce troisième album ». Alors pourquoi le faire, pensez-vous ? Parce que c’est une dépendante, une droguée de scène, de chant, de comédie ! Et il n’est pas dit qu’OcéaneRoseMarie ne vole pas au secours d’Oshen. Si la première a le vent en poupe, la deuxième pourra sans doute signer avec un label. Pourquoi pas? Et la première va bien, Océane lui concocte une pièce de théâtre, avec une vraie histoire. « J’aimerais que cette pièce soit une vraie pièce, qu’elle rentre dans l’histoire du théâtre. Quand on voit que même Eric-Emmanuel Schmitt a réussi, on se dit qu’on peut tous y entrer ! »

 

OcéaneRoseMarie, la lesbienne invisible, mise en scène de Murielle Magellan, au théâtre Les feux de la rampe du jeudi au samedi à 20h, le dimanche à 16h30, jusqu’au 3 janvier.