A quelques jours seulement de l’application de l'arrêté ministériel restraignant le nombre de couleurs utilisables dans les tatouages, Tin-Tin charismatique tatoueur parisien et président du Syndicat national des artistes tatouers (SNAT) gronde : « Ils vont envoyer 4000 tatoueurs à Pole emploi. Avec tous leurs employés ! » Les tatoueurs craignent pour l’avenir de leur métier depuis le 6 mars et la publication d’un arrêté fixant "la liste des substances qui ne peuvent plus entrer dans la composition des tatouages". Cet arrêté a été suspendu jusqu'au 1er janvier 2014.
Que prévoit le texte ?
Et c’est le point numéro 4 de l'article 1 qui pose problème : ne peuvent plus entrer dans la composition des produits de tatouage "les substances listées aux colonnes 2 à 4 de l'annexe de l'arrêté du 6 février 2001 modifié fixant la liste des colorants que peuvent contenir les produits cosmétiques". Il s'agit en fait de tous les colorants soumis à des restrictions, du type : ne pas appliquer à proximité des yeux, sur les muqueuses…
Une liste de colorants interdits, autorisés dans l'Union européenne, qui s'allonge de 59 nouveaux produits et privent les tatoueurs de couleurs chaudes. « Les tatoueurs n’auront plus le droit de tatouer avec des couleurs, juste un vert, un bleu, un blanc. Toutes les couleurs chaudes seront interdites », commente Tin-Tin.
Pour Cécile Vaugelade, directrice adjointe des dispositifs médicaux thérapeutiques et des cosmétiques à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), citée par l'AFP, la liste est certes restreinte, mais restent tout de même à disposition des tatoueurs « 27 colorants rouges, 1 blanc, 13 orange, 12 jaunes, 6 noirs, 3 violet et 3 bruns ».
Faux répond Tin-tin qui décrit ces colorants comme impropres au tatouage. « Les 94 colorants qui nous restent ne rentrent pas dans la composition des encres de tatouages. Ils sont trop photosensibles et ne tiennent pas à l’intérieur de la peau. »
Pourquoi cet arrêté ?
L’arrêté est pris seulement quelques semaines après la publication d’un communiqué du syndicat national des dermatologues, le 22 janvier 2013. On y lit, entre autres, que « les encres utilisées par les tatoueurs contiennent des métaux lourds : aluminium, cobalt, chrome, cuivre, fer, mercure, nickel, manganèse, vanadium, strontium, etc. Or ces métaux lourds sont cancérigènes. » Contactés par Citazine.fr, les membres du syndicat des dermatologues ne souhaitent plus prendre la parole.
L'ANSM joue le principe de précaution. Elle reconnaît qu'à priori les colorants ne sont pas cancérigènes, plutôt allergisantes, mais estime qu'elle n'a pas assez de preuves pour être certaine de leur innocuité. Aux professionnels de le prouver. Pour Tin-Tin, ses 30 ans de recul et d'expérience représentent une preuve. « On se fournit chez des fabricants français comme l’exige la loi [mais aucune encre n'est fabriquée en France, ndlr]. Tous ces pigments viennent de grosses boîtes qui ont subi des batteries de tests selon les réglementations françaises et européennes. En plus, certains tatoueurs ont 30 ans de recul, comme moi. On peut aujourd’hui parler d’innocuité de ses pigments ! » Il reconnaît toutefois que des cas d’allergies ont bien été recensés. « Mais interdit-on la vente de cacahuètes dans les supermarchés ? »
En 2007 déjà, un rapport de l'académie de médecine mettait en garde contre les percings et les tatouages. Co-auteur de ce bilan alarmant, le dermatologue Jacques Bazex salue la décision du gouvernement dans une article publié sur le Plus du Nouvel Obs. "Or le tatouage présente des risques d'infection indiscutables. Il y a des intolérances vis-à-vis de certaines substances utilisées, notamment celles qui servent à faire les pigments de couleur. Ainsi, la survenue de lymphadénopathies, de pseudolymphomes et de cicatrices chéloïdiennes ont été signalées après tatouage. Les pseudolymphomes peuvent se manifester jusqu'à 32 années plus tard et s’observent préférentiellement dans les zones colorées en rouge."
Pas de causalité cancer/tatouage
Le Dr Nicolas Kluger, médecin dermatologue spécialiste des questions liées au tatouage à Helsinki, plaide pour l’annulation de l’arrêt. Dans une lettre ouverte à Marisol Touraine, il affirme qu’aucune causalité cancer/tatouage n’a pu être prouvée, que les études toxicologiques sont incomplètes, que les allergies existent mais sont rares et sans gravité. Il écrit enfin que les complications infectieuses ou bactériennes sont rarissimes et liées à une mauvaise pratique ou entretien du tatouage. Il poursuit : "L'arrêté du 6 mars 2013, pris sur décision de l'ANSM, invoque un principe de précaution mais ne dispose d'aucun fondement scientifique ou de preuve de risque avéré : L'Agence de Sécurité du Médicament exige des tatoueurs qu'ils prouvent l'innocuité des produits utilisés alors qu'on dispose ipso facto d'un certain recul sur cette innocuité, ne serait-ce que par l'absence de constat objectif de pathologie sur un grand nombre de tatoués depuis plusieurs années."
Le dermatologue évoque aussi dans sa lettre l’exemplarité et la responsabilité dont les tatoueurs français font preuve. « Mon travail avec les professionnels du tatouage, notamment avec le Syndicat National des Artistes Tatoueurs en France, ainsi que dans plusieurs pays d'Europe, m'a démontré que la profession représentait un modèle de responsabilité sanitaire. L'exemple français est en ce sens incomparable : Le SNAT, fondé en 2003 et comptant aujourd'hui plus de 1100 membres professionnels, a non seulement milité pour une standardisation des règles d'hygiène mais a anticipé l'application de la réglementation sanitaire de 2008 en sensibilisant tous ses adhérents au strict respect de ces règles. »
Une interprétation de la loi qui pourrait leur sauver la mise
Que peuvent encore espérer les tatoueurs à 20 jours de la mise en application de l’arrêté ? Il semble qu’une nouvelle interprétation juridique du texte en question pourrait leur permettre de contourner le problème. En effet, l’arrêté les oblige à n’utiliser que les colorants répertoriés dans la colonne 1 de la liste autorisée pour les cosmétiques. Mais rien n’interdit l’utilisation de nombreux autres colorants non répertoriés dans cette fameuse liste.
Dans une lettre adressée le 11 décembre à la direction générale de la santé, le président du SNAT écrit : « Tous les colorants non répertoriés par les colonnes 2 à 4 de l'annexe de l'arrêté du 6 février 2001, et non seulement ceux prévus par la colonne 1 –nullement citée par l'arrêté du 6 mars 2013 -, ne sont pas interdits et sont donc autorisés par principe juridique élémentaire. La seule interdiction des colorants listés par les colonnes 2 à 4 induit inévitablement la disparition de certaines encres au 1er janvier 2014, mais laisse aux tatoueurs français une palette intégrale de couleurs. »
Le SNAT encourage les tatoueurs contrôlés à donner cette lecture de la loi à partir du 1er janvier 2014. Mais alors que le SNAT veut montrer sa responsabilité et sa bonne volonté, utiliser des colorants non-répertoriés dans la liste des colorants que peuvent contenir les produits cosmétiques ne peut pas être une solution. Selon le SNAT, La DGS devrait en tout cas très prochainement le recevoir.
Vers une recrudescence des tatoueurs clandestins ?
Les tatoueurs s’inquiètent pour l’avenir de leur profession mais redoutent également les effets sanitaires de la mesure. Le Snat craint en effet que les tatoueurs se fournissent, « en deux clics de souris » chez des fabricants non-contrôlés en pigments connus pour contenir des métaux lourds tels que le nickel ou l’oxyde de mercure. « Par contre, les pigments français, tracés, réglementés, numérotés seront interdits. On se fournira en Chine et on ne pourra plus contrôler qui que soit. Bravo l’effet sur la santé publique ! » Argument récurrent depuis que l'arrêté a été publié. Le Dr Jacques Bazex y répond dans le Plus : "Au moins, la population se livrant à cette pratique diminuera sensiblement".
Tin-Tin évoque la stigmatisation d’une profession. « C'est vrai que des jeunes se font tatouer le visage. C'est un phénomène de société qui n’a pas de rapport avec nous. Les tatoueurs pro ne tatouent pas les gamins sur le visage, dans le cou ou sur les mains. Il faudrait d’abord penser à éradiquer les tatoueurs clandestins, qui sévissent dans les barres d’immeubles. Eux sont responsables. »
Le président du SNAT met en garde : « on va se retrouver avec des tatoueurs qui font ça dans une pièce moquettée sur la cage du hamster ! »
> Photo en home : FlickR_CC_Micael Tattoo