« Moffie », patrie out

« Moffie », patrie out

« Moffie », patrie out

« Moffie », patrie out

Au cinéma le 7 juillet 2021

1981. Nicholas, jeune Sud-Africain blanc de 16 ans, doit effectuer son service militaire. Il est envoyé sur le front pour défendre le régime de l'apartheid au sein d'une armée brutale qui condamne son homosexualité. Basé sur les souvenirs d'un jeune soldat, Moffie revient sur l'intolérance crasse d'un régime raciste et la violence d'une armée déshumanisante. Un drame poignant sur une génération embrigadée dans un discours de haine dont les échos résonnent encore de nos jours.

En 1981, Nicholas (Kai Luke Brummer) a 16 ans. Comme tous les jeunes Blancs Sud-Africains de son âge, il doit rejoindre l’armée pour accomplir un service militaire de deux ans. Durant cette période, il sert le gouvernement sud-africain qui mène une politique étrangère visant à combattre les communistes et die swart gevaar : « le danger noir ».

Nicholas se retrouve sur le front au sud de l’Angola pour défendre le régime de l’apartheid, blanc, raciste et ségrégationniste. Le jeune homme doit alors survivre tant aux horreurs de la guerre qu’à la brutalité de l’armée et de ses soldats. Alors que s’affirme son attirance pour les hommes, Nicholas établit une relation intime avec un autre soldat. Mais l’armée ne tolère pas les moffies dans ses rangs.

Moffie © Outplay Films

Une autre histoire de l’apartheid

Avec Moffie, son quatrième long métrage, Oliver Hermanus invite à considérer le régime de l’apartheid avec un autre point de vue. Le parcours de Nicholas met en lumière un autre type de victime de la politique de ségrégation menée par le gouvernement de l’Afrique du Sud jusqu’au tout début des années 90.

Nicholas symbolise toute une génération qui s’est retrouvée embrigadée dans cette idéologie extrémiste de la suprématie blanche. Basé sur les mémoires d’André-Carl van der Merwe qui relate son expérience en tant que jeune homosexuel au sein de la South African Defence Force (SADF), Moffie évolue dans le climat oppressant de la propagande de l’apartheid.

Basée sur l’intolérance raciale, la politique du gouvernement sud-africain de l’époque trouve une caisse de résonance idéale au sein de l’armée. Moffie montre la dureté d’un service militaire qui a brisé de nombreux jeunes sud-africains. Une école de l’intolérance qui possède de nombreux ennemis : la haine raciale envers les Noirs évidemment mais aussi l’obsession d’éradiquer le communisme et l’homosexualité.

Moffie © Outplay Films

Embrigadement alarmant

C’est bien connu, l’armée ne recrute pas ses soldats pour leurs capacités à penser par eux-mêmes. D’autant plus lorsqu’ils servent de chair à canon. Dans le cadre du régime de l’apartheid, le « bon petit soldat » qui se soumet aux ordres sans broncher est d’autant plus utile à l’acceptation d’une doctrine de rejet de l’autre.

L’encadrement des jeunes appelés sous le drapeau pour leur service militaire est d’autant plus « musclé » qu’il est obligatoire. Les soldats sont là pour défendre l’indéfendable, sans question ni résistance. Ils sont la propriété de l’État et leurs supérieurs leur font très vite comprendre.

Certaines scènes de Moffie font naturellement penser au Full Metal Jacket (1987) de Stanley Kubrick. Les séquences de « dressage » partagent cette même violence et volonté de briser l’individu. Les conscrits doivent être dociles pour s’engager sans se poser de question dans une guerre meurtrière finalement sans vainqueurs.

Moffie © Outplay Films

La grande muette

L’armée sud-africaine de l’époque se vautre dans une idéologie de haine et de séparation qui colle parfaitement à son besoin de contrôle des individus. Le but de la conscription est de renforcer et de protéger ce système en insufflant dans la jeunesse ce rejet de l’autre, à commencer par le Noir, décrit comme un danger pour la nation.

Moffie montre cet endoctrinement dans toute sa violence et sa dangerosité allant jusqu’à détruire les plus fragiles. Le film d’Oliver Hermanus dénonce frontalement cet enseignement de la haine pour ces hommes formés pour être soldats amenés à intervenir à la frontière mais aussi dans les rues de l’Afrique du Sud.

En revenant sur cette période sombre de l’histoire du pays, le réalisateur brise un tabou car les derniers hommes ayant connu ce violent lavage de cerveau intolérant sont encore en vie aujourd’hui. Encore très peu évoqué, le  sujet du service militaire a pourtant laissé des traces dans les mémoires des Sud-Africains, même pour ceux qui n’étaient pas homosexuels ou politiquement opposés au système.

Moffie © Outplay Films

Insultant

Terme afrikaans très insultant pour désigner les homosexuels, moffie donne le ton de l’expérience vécue par Nicholas au sein de l’armée. Du bon côté de l’apartheid en tant que blanc, le jeune homme découvre qu’au sein de l’armée son homosexualité fait de lui un paria.

En tant que gay, Nicholas est détesté et rejeté, tout comme un homme ou une femme noir.e. En compagnie d’un racisme assumé, cette masculinité que l’on nomme désormais toxique plane au-dessus du film. Une ambiance militaire trop virile pour être honnête qui a formaté les hommes sud-africains pendant des décennies.

Avec la même logique d’exclusion, cette homophobie revendiquée se fond sans peine dans le système de l’apartheid porté par une idéologie de supériorité et de haine contre des différences forcément menaçantes. Moffie analyse cette haine à travers le sort des conscrits homosexuels qui ont connu le service psychiatrique 22 (Psychiatric Ward 22), cousin pas si lointain des théories de conversions toujours pratiquées de nos jours.

Moffie © Outplay Films

Somewhere before the rainbow

Très brutal lors des scènes militaires, Moffie s’offre une respiration lumineuse dans sa dernière partie. Nicholas lutte contre cet endoctrinement haineux qui le pousse à détester l’autre mais également lui-même. Une honte imposée que le jeune homme combat tant bien que mal.

Symbole de résistance, certains se sont appropriés le terme moffie pour le débarrasser de son sens péjoratif et en faire un terme affectueux. Le périple de Nicholas suit ce même chemin vers l’acceptation de ce qu’il est. Si le réalisateur caractérise son film comme « un peu mélo », Moffie touche surtout pour sa célébration d’une acceptation de soi face à l’adversité.

Derrière le drapeau national qui embrigade sa jeunesse dans une haine de l’autre se dessine celui de l’arc-en-ciel. Des couleurs qui, quatre décennies après, peinent encore à s’afficher sur un stade pour ne pas froisser la susceptibilité d’un pays aux lois homophobes. Le monde a changé depuis les années 80 mais l’intolérance reste incroyablement résistante.

À travers le parcours d’un jeune Sud-Africain homosexuel, Moffie autopsie une armée au service d’une idéologie raciste et intolérante qui déshumanise pour mieux asseoir son emprise. Le drame d’Oliver Hermanus est d’autant plus saisissant qu’il renvoie à cette tendance actuelle au repli autour d’un nationalisme excluant l’autre pour ses différences.

> Moffie, réalisé par Oliver Hermanus, Afrique du Sud – Royaume-Uni, 2019 (1h44)

Moffie

Date de sortie
7 juillet 2021
Durée
1h44
Réalisé par
Oliver Hermanus
Avec
Kai Luke Brummer, Emil van Niekerk, Michael Kirch, Wynand Ferreira, Rikus Terblanche
Pays
Afrique du Sud - Royaume-Uni