« Mauvaises filles », correction historique

« Mauvaises filles », correction historique

« Mauvaises filles », correction historique

« Mauvaises filles », correction historique

Au cinéma le 23 novembre 2022

Au crépuscule de leurs vies, des femmes témoignent de leur calvaire vécu en maison de correction au cœur d'un système en place jusqu'à la fin des années 70 en France. Avec ses témoignages poignants, Mauvaises filles met à jour une violence systémique bien loin des préceptes prônés par son encadrement religieux. Un scandale silencieux rendu possible par un État qui, au mieux, détournait le regard lorsqu'il n'était pas complice.

Comme tant d’autres, Édith, Michèle, Éveline et Fabienne ont été placées en maison de correction lorsqu’elles étaient adolescentes. Leurs crimes ? Être insoumises. Des rebelles selon les règles patriarcales fortement ancrées dans la société de l’époque. En réalité, ces jeunes filles incomprises se retrouvaient en marge de la société car elles étaient tout simplement mal-aimées.

Aujourd’hui, chacune raconte son histoire face caméra pour exorciser ces traitements d’un autre temps qui les ont profondément marquées. À travers leur parole enfin libérée, la maltraitance subie par ces  « mauvaises filles » se dévoile dans toute sa perversité. Une organisation systémique de la violence qui a perduré jusqu’à la fin des années 70 en France dans un silence assourdissant.

Mauvaises filles © Les Films de l'Oeil Sauvage - Arizona Distribution

Vagabondes, voleuses, vicieuses

Mauvaises filles est un projet dont la gestion a été longue. Près de 7 ans ont été nécessaires à Émérance Dubas pour rendre compte de cette maltraitance répandue dans certaines maisons de correction françaises. L’étincelle du projet provient de sa rencontre avec l’historienne Véronique Blanchard. Sa thèse de doctorat Mauvaises filles : portraits de la déviance féminine juvénile (1945-1958) publiée en 2019 sous le titre Vagabondes, voleuses, vicieuses est la source de ce projet de longue haleine.

Émérance Dubas a commencé son travail de recherche avec l’envie de mettre en lumière ces victimes de l’ombre. Un film pour capter sur grand écran la souffrance du passé et que rien ne soit oublié. Une lutte contre l’indifférence historique dont la cinéaste est familière. Émérance Dubas a en effet grandi à Angers où se trouve la maison-mère de la congrégation mise en cause dans le documentaire. Pourtant, elle n’avait jamais entendu parler des mauvais traitements qui se déroulaient au sein de l’institution religieuse.

Au-delà de la libération de la parole pour chaque femme concernée, Mauvaises filles vient briser le tabou collectif d’un secret bien gardé. Ou plutôt soigneusement occulté. Une dissimulation encouragée par le poids de l’institution religieuse et la complaisance d’une société qui renvoie la honte sur les jeunes victimes, jusqu’à présent bâillonnées.

Mauvaises filles © Les Films de l'Oeil Sauvage - Arizona Distribution

Rentrer dans le désordre

Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur est au cœur du documentaire. Fondée à Angers en 1829 par sœur Marie-Euphrasie Pelletier, la congrégation est agréée en 1835 par le pape Grégoire XVI. Rapidement, la structure connaît un succès phénoménal et d’autres lieux essaiment partout en France mais aussi en Europe et en Amérique. Dans les années 50, la communauté est forte de près de 150 maisons dispersées à travers le monde.

L’institution se donne une mission : accueillir les filles en détresse pour les remettre sur le droit chemin. Celles que l’on qualifie de « filles perdues », de « filles-mères », ou du terme très connoté de « mauvaises filles » y reçoivent un traitement très strict. La réhabilitation échappe à tout contrôle extérieur à l’institution religieuse. Pire, l’État semble bien soulagé de se débarrasser de ces jeunes filles considérées comme ingérables car ne rentrant dans le moule d’une société aux mœurs très figées.

Le Bon Pasteur joue un rôle important à partir de l’ordonnance du 2 février 1945 qui établit la justice des mineurs. Éducation surveillée et administration pénitentiaire sont désormais séparées. Une bonne nouvelle, a priori. Sauf que son application révèle une différence de traitement flagrante entre les filles et les garçons. Alors que les mauvais garçons sont dirigés vers des internats publics, les vilaines filles qui ne correspondent pas à la norme finissent en priorité dans des établissements religieux.

Mauvaises filles © Les Films de l'Oeil Sauvage - Arizona Distribution

Charité bien ordonnée…

Au Bon Pasteur, le programme est de rééduquer ces filles à la morale – chrétienne, évidemment – avec tout ce que cela comporte de jugement moral sur leurs « déviances ». Réelles ou fantasmées. La pression de ce corset moral est telle que le risque d’être condamnée au Bon Pasteur ou à d’autres congrégations religieuses comme le Refuge de la Charité est grand.

Avec le recul, la décision assez aléatoire d’enfermer une jeune fille au sein de l’une de ces structures est l’un des aspects sidérants du documentaire. Certaines s’y retrouvent car elles sont tout simplement abandonnées par leur famille qui se déleste d’un poids avec une simple lettre. L’État n’est pas en reste car beaucoup de jeunes adolescentes échouent au Bon Pasteur après la décision d’un.e juge pour enfants. Et ensuite ? L’isolement.

Devant les documents exhumés par la cinéaste, ces femmes désormais souvent grand-mères se souviennent de la tenue réglementaire, des lieux à l’ambiance carcérale et des sourires de façades. Ces mines réjouies qu’il fallait arborer dans le cas d’une visite venant de l’extérieur. En général plus une visite de courtoisie qu’un contrôle en règle de l’établissement. Après s’être débarrassé de ces filles problématiques auprès de l’institution religieuse, l’État ne se préoccupe pas de leur sort. Cette indifférence résonne comme un écho sinistre avec les autres scandales d’abus couverts en interne par l’Eglise avec l’aide complice d’un État peu regardant.

Mauvaises filles © Les Films de l'Oeil Sauvage - Arizona Distribution

Film d’horreurs

Nourri des témoignages bouleversants de ces anciennes « mauvaises filles », le documentaire joue la carte de l’intime et de la simplicité. Seule une séquence est accompagnée de musique : l’exploration d’un de ces lieux. Le site d’Angers n’ayant – sans surprise – pas donné d’autorisation de tournage, la cinéaste a choisi l’ancien site du Bon Pasteur de Bourges.

Émérance Dubas promène sa caméra dans ce lieu fantomatique laissé à l’abandon pendant près de trente ans. Elle capte les dernières traces d’une histoire destinée à finir en poussière car le lieu sera bientôt rasé. Avant liquidation, Mauvaises filles explore pour la dernière fois ce lieu délabré hanté par les souffrances adolescentes. L’errance de la cinéaste dans les couloirs sombres de l’institution évoque un véritable film d’horreur dont pourrait surgir à tout moment une silhouette appartenant au passé.

L’impression est d’autant plus saisissante que la visite s’effectue en compagnie discrète d’une des victimes du lieu. Placée au Bon Pasteur de Bourges en 1933, Édith ne sera jamais vue à l’écran mais nous guide de sa voix à travers ce qui reste de l’établissement. Une parole de victime qui n’a oublié aucun détail et dont le récit glaçant amplifie l’aspect funeste du lieu. Sur les murs d’un cachot improvisé, des graffitis laissés par les jeunes filles sont des cicatrices à la fois terribles et lumineuses. L’expression d’une souffrance mais aussi la trace d’une entraide qui permet de tenir le coup.

Mauvaises filles © Les Films de l'Oeil Sauvage - Arizona Distribution

Et délivre nous du mal

Au fil des témoignages provenant de différents lieux, c’est bien une organisation systémique de la maltraitance qui se dévoile. L’organisation de ces établissements religieux avaient le même objectif : utiliser la honte, l’humiliation et l’enfermement pour contrôler les corps féminins. Le parcours de ces « mauvaises filles »  en dit long sur le destin de celles qui ne répondaient pas aux normes de genre de l’époque, à commencer par la sexualité.

À travers cette rééducation des « déviances », c’est bien l’ombre d’une société patriarcale qui pèse sur leurs épaules. Une situation d’autant plus indigne que l’État est non seulement incapable de les protéger – certaines se tournent vers la prostitution dès leur sortie de l’établissement – mais se déleste de ses responsabilités sur l’institution religieuse.

En parallèle du mouvement #MeToo, le témoignage tardif de ces femmes au courage admirable s’avère porteur d’espoir. Même s’il est parfois difficile, Mauvaises filles est soutenu par l’élan salvateur d’une parole enfin entendue. L’ultime bravade de ces « filles perdues » face à une institution qui n’aura cette fois-ci pas le dernier mot.

> Mauvaises filles, réalisé par Émérance Dubas, France, 2022 (1h11)

Mauvaises filles

Date de sortie
23 novembre 2022
Durée
1h11
Réalisé par
Émérance Dubas
Avec
Édith, Michèle, Éveline, Fabienne
Pays
France