Dans la campagne anglaise de l’époque victorienne, Bathsheba Everdeene (Carey Mulligan) hérite de la ferme de son oncle qu’elle décide de diriger elle-même. Indépendante, la jeune femme souhaite s’assumer seule et ne compte pas se marier, à moins d’être vraiment amoureuse.
Pourtant les prétendants ne manquent pas autour de la belle héritière : le berger Gabriel Oake (Matthias Schoenaerts), le riche voisin William Boldwood (Michael Sheen) et le sergent Francis Troy (Tom Sturridge) espèrent tous conquérir son cœur et l’amener devant l’autel. Tiraillée entre les promesses de bonheur de ces trois hommes, Bathsheba est confrontée au choix d’un mari qui pourrait signifier la fin de sa liberté.
Gracieuse adaptation
Nouvelle version au cinéma du roman éponyme de Thomas Hardy publié en 1874, Loin de la foule déchaînée impressionne tout d’abord par la beauté de sa photographie et séduit par la grâce de sa mise en scène. En optant pour un film qui n’excède pas les deux heures, Thomas Vinterberg s’éloigne du format de la grande fresque, choix retenu en 1967 par le réalisateur John Schlesinger pour la précédente adaptation du roman au cinéma de près de trois heures. Plus concise dans son traitement, cette nouvelle adaptation du grand classique britannique n’en reste pas moins fidèle à l’esprit du roman.
Carey Mulligan est touchante dans le rôle de cette jeune femme rebelle en lutte avec les préjugés de son temps et nous offre – comme dans la sulfureux Shame (2011) – une charmante chanson à en donner des frissons. Les prestations de ses prétendants sont également à la hauteur, du berger discret Matthias Schoenaerts au sergent téméraire Tom Sturridge – dans un rôle bien différent de Carl, jeune puceau de Good Morning England (2009) –, sans oublier Michael Sheen, attendrissant en riche propriétaire terrien prêt à tout pour conquérir sa charmante voisine.
Girl power à l’époque victorienne
Le destin d’une jeune héritière à la fin du XIXème siècle peut paraître un choix plutôt exotique de la part du réalisateur danois, célébré à Cannes en 1998 pour Festen, film « familial » sur fond de viol incestueux et qui, plus récemment, proposait La Chasse, un drame implacable sur un professeur accusé à tord de pédophilie. Compte tenu de sa filmographie, le souhait d’adapter le mélo sentimental de Thomas Hardy pourrait sembler plutôt incongru mais, en y regardant de plus près, il n’est pas si étonnant que cette histoire ait charmé le cinéaste.
Loin d’être un banal roman à l’eau de rose, Loin de la foule déchaînée est en effet parcouru de tensions qui remettent en cause les rapports « naturels » de domination – de sexe et de classe – de l’époque. Autonome, Bathsheba Everdeene remet en cause le fonctionnement d’une société patriarcale en rechignant à se marier avec l’un de ses prétendants. Elle défend vigoureusement sa liberté et s’oppose ainsi à une vision de la femme qui doit obligatoirement s’associer à un homme pour exister dans la société. Le statut social joue également dans la compétition entre les trois hommes, issus de milieux très différents.
En proposant à Bathsheba de subvenir à ses besoins si elle le choisit, le riche voisin Mr Boldwood démontre à quel point l’idée d’union est liée à celle du simple confort matériel, passant les sentiments au second plan. La défiance de la jeune femme envers ses trois aspirants, très inhabituelle pour l’époque, prend une tournure dramatique quand celle-ci, guidée par ses sentiments puis forcée par les circonstances, prend de mauvaises décisions qui vont affaiblir son indépendance.
Avec Loin de la foule déchaînée, Thomas Vinterberg réussit une adaptation séduisante qui, derrière le voile des peines de cœur, en dit long sur les règles implicites de la société victorienne. Un bel hymne à la parité et à la liberté qui permet de constater le chemin parcouru, et qui reste à parcourir.
> Loin de la foule déchaînée (Far from the Madding Crowd), réalisé par Thomas Vinterberg, Royaume Uni – États-Unis, 2015 (1h59)