« Little Zombies », les aventuriers des larmes perdues

« Little Zombies », les aventuriers des larmes perdues

« Little Zombies », les aventuriers des larmes perdues

« Little Zombies », les aventuriers des larmes perdues

Au cinéma le 23 juin 2021

Orphelins depuis peu, Hikari, Ikuko, Ishi et Yuki semblent insensibles à la mort de leurs parents. Au lieu de se morfondre, les quatre adolescents montent un groupe de rock explosif ! Objet cinématographique non identifiable, Little Zombies détonne autant sur le fond que sur la forme. Avec son esthétique influencée par l'univers geek et sa bande son entêtante, le premier film de Makoto Nagahisa est un trip résolument punk porté par une énergie nihiliste qui fait des étincelles.

Hikari (Keita Ninomiya), Ikuko (Sena Nakajima), Ishi (Satoshi Mizuno) et Yuki (Mondo Okumura) ont un point commun : leurs parents sont décédés récemment. Les quatre adolescents devraient être tristes, pourtant ils ne pleurent pas.

Pour reconnecter avec des émotions qui semblent les avoir quittés, les orphelins fondent les Little Zombies, un groupe de rock chiptune qui décoiffe. Alors que la tonitruante formation attire l’attention sur elle, les quatre adolescents immunisés contre le chagrin trouvent une nouvelle voie à travers la musique.

Little Zombies © Robot Inc.

Sans famille, sans peine

En 2017, Makoto Nagahisa se fait remarquer au Festival de Sundance avec And so we put goldfish in the pool (2017). Le court métrage visible sur Vimeo reçoit alors le Prix Spécial du Jury. Pour ce premier long métrage complètement barré, le cinéaste de 37 ans s’est inspiré de son congé paternité.

Alors qu’il s’occupe de sa fille, Makoto Nagahisa à l’idée d’un film qui pourrait « réjouir les enfants » mais, au même moment, un sujet diffusé à la télé évoque un suicide collectif de jeunes. L’association contre nature de la mort et de la jeunesse s’immisce dans l’esprit du réalisateur.

Souvent seul lorsqu’il était enfant, Makoto Nagahisa imagine l’histoire de quatre orphelins livrés à eux-mêmes qui s’accommodent de la disparition de leurs parents. Pas de larmes, pas de drame. Ce sentiment de résignation ambiguë face à la mort survole le film comme un mystère.

Comme le Rémi du dessin animé, Hikari, Ikuko, Ishi et Yuki se retrouvent sans famille mais cela ne les perturbent pas plus que cela. Au lieu de s’entourer d’un vieux saltimbanque et d’une ménagerie variée, les quatre orphelins préfèrent les sensations fortes du rock pour renouer avec leurs émotions.

Little Zombies © Robot Inc.

The Kids Aren’t Alright

Pour renforcer l’apathie des adolescents face au sort qui s’abat sur eux, le cinéaste a encouragé les jeunes acteurs à déclamer leurs répliques de la façon la plus plate possible. Un jeu à minima qui renforce cette atmosphère étrange qui plane sur le film, les Little Zombies évoluent en marge de la société et des sentiments.

En les privant du chagrin le plus élémentaire, Makoto Nagahisa fait de ses orphelins des zombies émotionnels, au vide affectif aussi surprenant que dérangeant. Une impassibilité qui tranche avec l’énergie foutraque de leur musique.

Pour incarner ces petits morts-vivants sans sentiments, le cinéaste a réuni un casting vivifiant avec notamment Keita Ninomiya, jeune acteur remarqué en 2013 dans Tel père, tel fils (2013) de Hirokazu Kore-Eda. Malgré un jeu volontairement « froid », l’alchimie fonctionne entre les jeunes acteurs et l’énergie du groupe emporte tout sur son passage.

Little Zombies © Robot Inc.

L’incohérence du fun

Makoto Nagahisa vient du monde de la publicité et cela se voit. Little Zombies est une aventure totalement déroutante mais le rythme soutenu du film permet de ne pas décrocher. Au propos intriguant répond une esthétique qui ne l’est pas moins.

Le réalisateur assume un monde « pas spécialement cohérent mais fun ». Fortement imprégné de la culture geek, Little Zombies explore les possibilités et les audaces, jusqu’à présenter une scène pixelisée qui rappelle les jeux vidéo.

Le film est un patchwork assumé de scènes qui détonnent parfois entre elles. Un risque qui est minimisé par le rythme et la musique omniprésente, liant ces expérimentations visuelles.

Little Zombies © Robot Inc.

Hi, phone

Symbole de la liberté que s’autorise le réalisateur, la scène de la première représentation du groupe est tournée avec un Iphone en une seule prise. Makoto Nagahisa a été inspiré par l’ouverture de La La Land (2016) — lire notre critique — pour sa vitalité.

Avec une image plus brute et nerveuse, ces trois minutes ajoutent à l’éventail des scènes détonantes qui électrisent le film. L’esthétique 8-bit très colorée s’appuie sur une bande son foisonnante qui s’avère très efficace.

Little Zombies © Robot Inc.

Profusion de sons

Pas moins de 90 morceaux aux styles variés pour 2h de film ! S’il ne peut être classé dans le genre de la comédie musicale, Little Zombies est un film résolument musical. Les scènes sont construites sur la musique qui donne la colonne vertébrale aux aventures des jeunes héros.

Totalement investi dans cette partie du projet, Makoto Nagahisa a écrit les paroles des chansons originales du groupe avec Love Spread, formation originaire de Brooklyn. Le son de ce groupe de « bit pop expérimental » provient de Playstation customisés et de consoles Konami.

Cette chiptune music propre aux puces audio des consoles de jeu et sons synthétisés par ordinateur colle parfaitement avec l’esthétique geek qui parcourt le film. Le tout baigné dans une énergie résolument punk.

Little Zombies © Robot Inc.

Emotional rescue

Le son du groupe incarne parfaitement l’esprit punk qui parcourt Little Zombies. Scène après scène, Makoto Nagahisa brouille les pistes et semble refuser de donner un sens à cet étrange trip musical. Alors que le groupe gagne en notoriété, les quatre adolescents se méfient de cette gloire.

No parents, no future. La musique des Little Zombies se suffit à elle-même. Pour les jeunes musiciens, ce défouloir émotionnel ne peut devenir une entreprise commerciale. Le rapport au succès du groupe renvoie à ce sentiment nihiliste, joyeux et bordélique, qui parcourt leurs aventures.

Pour entrer dans l’univers des Little Zombies il faut accepter de lâcher prise. À l’instar d’une scène à tiroirs dans le film qui joue avec le spectateur. Comme dans un jeu vidéo, chaque séquence est une partie possible. Et les vies sont multiples. Comme pour conjurer la mort, le terme « game over » n’est jamais définitif.

Avec son énergie brute se substituant au désespoir apathique, Little Zombies est un joyeux pêle-mêle visuel qui assume son côté foutraque. Point de message ici à part une célébration nihiliste et colorée de l’absurdité du monde. Face à la mort, les attachants orphelins optent pour un cri primal musical qui vaut bien toutes les larmes du monde.

> Little Zombies (Wî â Ritoru Zonbîzu), réalisé par Makoto Nagahisa, Japon, 2019 (2h00)

Little Zombies (Wî â Ritoru Zonbîzu)

Date de sortie
23 juin 2021
Durée
2h00
Réalisé par
Makoto Nagahisa
Avec
Keita Ninomiya, Mondo Okumura, Satoshi Mizuno, Sena Nakajima, Kuranosuke Sasaki, Rinko Kikuchi, Masatoshi Nagase
Pays
Japon