« L’Énergie positive des dieux », rock vraiment alternatif

« L’Énergie positive des dieux », rock vraiment alternatif

« L’Énergie positive des dieux », rock vraiment alternatif

« L’Énergie positive des dieux », rock vraiment alternatif

Au cinéma le 14 septembre 2022

Impossible de rester de marbre face au rock indomptable du groupe Astéréotypie. Composée de quatre musiciens accompagnant de jeunes chanteurs autistes, la formation atypique impose des textes à la poésie sauvage qui bousculent nos perceptions. Documentaire aussi fougueux que son sujet, L'Énergie positive des dieux capte avec justesse l'essence fragile et explosive de ce groupe fondamentalement punk.

Stanislas, Yohann, Aurélien et Kevin sont de jeunes autistes. Ils sont également les paroliers et interprètes du groupe Astéréotypie qu’ils forment avec quatre musiciens. Sur scène, la formation est une véritable déferlante. Le lyrisme décomplexé des textes, entre intime et surréalisme, s’y retrouve incarné par des interprétations survoltées. Immersion au cœur du groupe, L’Énergie positive des dieux dresse un portrait brut et attachant de cette formation détonante qui pulvérise joyeusement le validisme à coups de décibels.

L'Énergie positive des dieux © Les films du Bilboquet - La Vingt-Cinquième Heure Distribution

Deus ex machina

Pour Laetitia Møller, le choc s’est produit en mars 2015 à Sonic Protest, un festival consacré à la musique expérimentale. Le premier concert du groupe Astéréotypie auquel assiste la journaliste et réalisatrice remet en cause toutes ses représentations de l’autisme. Sur scène, Stanislas, Kevin, Aurélien et Yohann se succèdent pour chanter, parfois hurler, des textes qui donnent accès à leur univers.

Captivée par la puissance et la poésie désarmante de la performance, Laetitia Møller décide de capturer le quotidien du groupe, du processus de création à la scène. Sa caméra se fait discrète pour ne pas troubler un équilibre toujours fragile. Au fil des jours, elle capte les séances d’écriture, les répétitions parfois conflictuelles et les prestations publiques explosives. Documentaire en prise directe avec son sujet, L’Énergie positive des dieux – qui emprunte son titre au premier album du groupe – réussit à capter l’âme d’une formation qui a su s’extraire du carcan médical.

L'Énergie positive des dieux © Les films du Bilboquet - La Vingt-Cinquième Heure Distribution

Poésie qui dénote

L’aventure Astéréotypie a pourtant bien débuté en 2010 dans un cadre médical, au sein de l’institut médico-éducatif Alternance de Bourg-la-Reine accueillant des adolescents autistes. Étincelle à l’origine du projet, Christophe, jeune éducateur et musicien, met en place un projet éducatif avec des jeunes de l’institut. Au départ, l’atelier d’écriture devait leur apprendre les règles de la poésie : les rimes, les vers…

Mais le projet prend une tournure décisive lorsque le procédé est inversé. Au lieu d’imposer les règles rigides de la poésie aux participants, il est décidé de partir de leur utilisation du langage. Progressivement, l’atelier se transforme en processus d’écriture d’art brut et les jeunes laissent libre court à un lyrisme indompté.

Avec le temps, la façon de déclamer leurs textes inspire Christophe qui commence à composer de la musique pour l’accompagner. En 2015, le collectif est rejoint par le bassiste Arthur B. Gillette et le batteur Eric Taffany, tous deux membres du groupe Moriarty. Astéréotypie prend sa forme définitive de quatre chanteurs et quatre musiciens. Le groupe prend son envol et fait voler en éclats au passage le plafond de verre médical.

L'Énergie positive des dieux © Les films du Bilboquet - La Vingt-Cinquième Heure Distribution

Cacher les cachets

De façon délibérée, L’Énergie positive des dieux fait l’impasse sur l’aspect médical de l’autisme. Loin d’être un choix pudique, ce parti pris assumé par Laetitia Møller est en phase avec l’essence du projet. Le groupe n’a en effet jamais été envisagé comme un projet de musicothérapie. Astéréotypie n’est pas un projet d’autistes faisant de la musique mais un groupe de rock dont certains membres sont autistes. Et la différence est primordiale.

Les troubles de l’autisme ne sont pas occultés dans le documentaire, ils planent évidemment sur le quotidien du groupe mais le récit est avant tout celui d’un groupe de musique. Cette mise à distance réussie de l’aspect purement médical pour éviter de parasiter la proposition musicale est certainement la plus grande victoire d’Astéréotypie et du documentaire.

La caméra de Laetitia Møller épouse cette vision en filmant les coulisses de la création d’une façon très directe. Le trouble de l’autisme est latent : il se devine dans les colères ou les blocages dus à des répétitions trop longues ou des événements imprévus. La maladie est aussi évoquée directement dans les textes à travers les moqueries subies ou les médicaments à prendre qui ne font clairement pas l’unanimité. Mais cette réalité ne prend jamais le dessus sur l’incroyable puissance artistique que dégage le groupe.

L'Énergie positive des dieux © Les films du Bilboquet - La Vingt-Cinquième Heure Distribution

Simple et punky

Composé de plusieurs auteurs/interprètes, Astéréotypie propose des morceaux hétéroclites où chacun développe son propre univers. Tous partagent cependant la même rage de s’exprimer sans filtre, une immédiateté qui explique l’impatience de certains lorsqu’il faut répéter. Répéter, quelle drôle d’idée… La poésie du groupe est plus saisissante lorsqu’elle exulte sur scène. L’intérêt des textes du groupe réside notamment dans cette absence totale de calcul, une naïveté qui sublime les mots en leur donnant toute leur force.

En laissant le traitement à la porte du studio d’enregistrement, L’Énergie positive des dieux opte pour une approche technique volontairement minimaliste et résolument punk pour capter cette immédiateté. Tournant le dos aux règles de la captation de concert qui multiplie habituellement les caméras pour ne rien rater de la prestation, Laetitia Møller filme les prestations du groupe avec un seul objectif. Un seul regard qui parfois décroche de l’action et perd de vue l’interprète emporté par l’enthousiasme.

Avec une prise de son en conséquence, il faut parfois tendre l’oreille pour bien comprendre les paroles parfois déconcertantes des morceaux nerveux. Mais cet effort est récompensé par une captation qui rend hommage à l’énergie folle des prestations. Nerveuse, la captation épouse la fébrilité sur scène. Le résultat est saisissant et fragile, à l’image des textes soigneusement collectés par Christophe, l’éducateur au cœur de la machine.

L'Énergie positive des dieux © Les films du Bilboquet - La Vingt-Cinquième Heure Distribution

Cœur de rocker

En respectant l’impératif de mettre la musique en avant, L’Énergie positive des dieux est en phase avec la vision de Christophe, l’initiateur du projet. Le rôle de l’éducateur musicien avec Stanislas, Yohann, Aurélien et Kevin est celui d’un accompagnateur et d’un facilitateur. Avec une sensibilité à fleur de peau, Christophe capte les signaux précurseurs des malaises. Il arrive à décrypter des situations de blocages qui peuvent être incompréhensibles pour l’extérieur.

Son expertise mais surtout son regard entre bienveillance et exigence met sa relation privilégiée avec les jeunes autistes au cœur du film. Sa conception du groupe permet d’établir une égalité réelle entre les membres de la formation qui transparaît magnifiquement dans le documentaire. Une écoute attentive et égalitaire qui fait la force du groupe à la cohésion sans cesse renouvelée.

L'Énergie positive des dieux © Les films du Bilboquet - La Vingt-Cinquième Heure Distribution

Aliens nation

Loin d’être un film sur l’autisme ou sur la différence, L’Énergie positive des dieux surprend par son aspect curieusement familier. Même lorsque les textes des jeunes autistes font référence à leur expérience, leur poésie naïve résonne en nous. Derrière des associations de mots parfois étonnantes, l’idée sous-jacente se fraie un chemin. Avec ses textes parfois rageux, Astéréotypie évoque nos angoisses dissimulées et une aliénation qui peut prendre diverses formes : maladie, médicaments, travail, pression sociale, solitude…

Mais le rock de la formation n’est pas que sombre, loin de là. Pour preuve, Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme, leur troisième album qui mérite amplement le prix du meilleur titre de l’année. Pour l’occasion, le groupe accueille Claire, nouvelle recrue que l’on voit vers la fin du documentaire. Une présence féminine qui vient équilibrer le taux de testostérone du groupe.

Avec un son post-punk, cet album plus radical dévoile l’étendue de l’univers poétique du groupe. Entre rage sociale, surréalisme délicat et humour décalé, ce troisième opus invite à porter un regard différent sur notre monde. Une distorsion rock pleine de lyrisme qui charme autant qu’elle trouble pour ce qu’elle fait résonner en nous.

L'Énergie positive des dieux © Les films du Bilboquet - La Vingt-Cinquième Heure Distribution

Parfaitement en phase avec son sujet, L’Énergie positive des dieux dévoile sur grand écran la puissance d’un groupe de rock véritablement alternatif et résolument punk. Une bouffée d’air frais détonante qui fait découvrir le lyrisme inspiré d’Astéréotypie et donne envie de se frotter à leur divine énergie sur scène.

> L’Énergie positive des dieux, réalisé par Laetitia Møller, France, 2022 (1h10)

L'Énergie positive des dieux

Date de sortie
14 septembre 2022
Durée
1h10
Réalisé par
Laetitia Møller
Avec
Stanislas Carmont, Claire Ottaway, Yohann Goetzman, Aurélien Lobjoit, Christophe L'huillier, Benoit Guivarch, Arthur Gillette, Eric Dubessay
Pays
France