« Les poings desserrés », enjeu demain

« Les poings desserrés », enjeu demain

« Les poings desserrés », enjeu demain

« Les poings desserrés », enjeu demain

Au cinéma le 23 février 2022

Dans une ancienne ville minière en Ossétie du Nord, Ada tente d'échapper au carcan oppressant de sa famille qu'elle rejette autant qu'elle l'aime. Lauréat du Prix Un Certain Regard au dernier Festival de Cannes, Les poings desserrés décrit avec subtilité l'ambiguïté d'une cellule familiale à la fois prison et refuge naturel. Pour se libérer, sa jeune héroïne va devoir résoudre ce dilemme en affrontant de son regard perçant une mémoire paralysante.

Après des évènements tragiques, Zaur (Alik Karaev) a déménagé sa famille à Mizur, une petite ville minière d’Ossétie du Nord coincée entre des falaises abruptes. Père intransigeant, il élève ses deux fils et une fille en brouillant les frontières entre soutien paternel et surprotection.

Pour échapper à son emprise, Akim (Soslan Khugaev), le fils aîné, s’est déjà enfui vers la grande ville la plus proche de Rostov pour travailler. Le plus jeune, Dakko (Khetag Bibilov), n’éprouve pas encore ce désir de liberté qui étreint sa sœur Ada (Milana Aguzarova). Alors qu’une visite d’Akim est imminente, la jeune femme espère saisir l’occasion pour s’échapper.

Les poings desserrés © ARP selection

Culture ciné

Née à la toute fin des années 80, Kira Kovalenko a découvert le cinéma un peu par hasard. Alors qu’elle se destinait à une formation dans le webdesign après le lycée, la jeune femme a décidé d’intégrer les cours d’Aleksandr Sokurov en 2010. Ce qui devait être une façon de se forger une culture générale s’est transformée en un vif intérêt pour la réalisation. Après cinq années d’études, Kira Kovalenko réalise Sofichka (2016), un premier film adapté du dernier roman éponyme de Fazil Iskander.

Comme pour Sofichka, la cinéaste a tourné Les poings desserrés dans une langue qu’elle ne parle pas. Après la langue abkhaze dans son premier film, Ada et ses proches parlent en ossète par souci de réalisme. Cette volonté d’authenticité se retrouve également dans le casting éclectique réunit pour l’occasion.

Si Milana Agouzarova qui incarne Ada étudiait la comédie lors du casting et Lik Karaev qui joue son père est un acteur en théâtre équestre, tous les autres personnages sont des non-professionnels. Un choix qui a complexifié le tournage mais sert au final le film qui baigne dans une ambiance électrique. Ce drame familial est traversé par une tension latente entre les membres de la famille que l’on imagine, à raison, dangereuse.

Les poings desserrés © ARP selection

Liberté romanesque

Pour ce second long métrage, Kira Kovalenko a de nouveau trouvé l’inspiration dans une œuvre littéraire. En lisant le roman L’intrus de William Faulkner, la cinéaste  est interpellée par cette phrase : « La plupart des gens ne peuvent supporter l’esclavage, mais aucun homme ne peut manifestement assumer la liberté. »

Cette réflexion sur une liberté supposée dévorante et inatteignable, Kira Kovalenko l’a mêlée à sa propre expérience et à la notion de mémoire. Pour la réalisatrice russe, cette soif de liberté est en effet intimement liée à la question d’un passé qui doit être assumé pour pouvoir avancer.

Les poings desserrés © ARP selection

Mémoire libre

Dans ce film très personnel, la vraie liberté ne serait atteignable qu’à condition de survivre à une mémoire douloureuse. Le personnage d’Ada hérite ainsi d’un fardeau que la cinéaste traîne depuis longtemps. Un événement qui l’a « fracturée et traumatisée » et a bouleversé la vie de son entourage.

À l’instar de son héroïne qui fuit la confrontation avec son passé, Les poings desserrés lève très progressivement le voile sur le secret de la jeune femme. Ce drame mystérieux qui l’a marqué dans sa chair finit par expliquer pourquoi elle considère sa famille comme un frein à sa liberté tout en ayant besoin d’elle pour avancer.

Subtil, le film de Kira Kovalenko ne cherche pas à diaboliser ce père oppressant. Le père d’Ada et ses frères ont également vu leur vie bouleversée et chacun réagit à sa façon, comme il le peut. Au-delà d’un environnement à la surprotection asphyxiante, Ada est également victime de son incapacité à faire face à son traumatisme originel.

Les poings desserrés © ARP selection

Trauma Police

Pour être libre, Ada a besoin de l’accord d’un père qui pense que son devoir est de la protéger, encore et toujours. Quitte à l’étouffer. Au sein de cette famille à l’amour paralysant, la jeune femme est invitée à oublier son traumatisme. Une injonction à une normalité de façade qui génère une violence toute particulière, motivée par de bons sentiments mais dévastatrice.

Mizur, ville entourée par des montagnes, est à l’image de la jeune femme coincée au sein de cette famille. Le soutien ne s’y obtient que par la soumission aux désirs de son père et de ses frères. Un statu quo devenu insupportable pour Ada qui rêve de changer d’air. Pour conserver l’équilibre du foyer, Ada doit se fondre dans cette unité familiale, tendre monstre dévorant son individualité et ignorant son mal être.

Les poings desserrés © ARP selection

Quête d’une délivrance salvatrice, Les poings desserrés est parcouru par cette violence insidieuse d’autant plus cruelle que chacun est persuadé d’agir pour de bonnes raisons. Alors que la tension monte inévitablement, la révolution de la jeune femme se focalise vers un nouveau traumatisme, une violence réelle et hautement symbolique.

Drame familial interrogeant les conditions de la liberté, Les poings desserrés gagne progressivement en intensité pour s’harmoniser avec le regard déterminé de son héroïne qui reflète un impérieux désir de s’évader. Même s’il faut pour cela faire imploser la cellule familiale qui la retient. Ce cocon aimant à la fois rassurant et liberticide.

> Les poings desserrés (Razzhimaya kulaki), réalisé par Kira Kovalenko, Russie, 2021 (1h37)

Les poings desserrés (Razzhimaya kulaki)

Date de sortie
23 février 2022
Durée
1h37
Réalisé par
Kira Kovalenko
Avec
Milana Aguzarova, Alik Karaev, Soslan Khugaev, Khetag Bibilov, Arsen Khetagurov, Milana Pagieva
Pays
Russie