Réunis par le destin à un arrêt de bus d’Helsinki, Ansa (Alma Pöysti), caissière dans un supermarché et salariée d’une entreprise de traitement du plastique, et Holappa (Jussi Vatanen), agent de sécurité, engagent la conversation. Ils se découvrent rapidement un point commun désespérant mais fédérateur : ils sont seuls et insatisfaits de leur vie. Et si cette rencontre fortuite leur permettait de trouver enfin l’amour véritable ?

Leur quête sentimentale va cependant être rendue difficile par une succession de malentendus et d’obstacles imprévus. À commencer par la perte d’un numéro de téléphone et l’alcoolisme de Holappa. Dans ce monde imparfait, l’absolu s’avère une récompense difficilement atteignable.

Et de quatre !

Avec Les feuilles mortes, Aki Kaurismäki ajoute une pièce inattendue à sa trilogie dite prolétaire composée des films Ombres au paradis (1986), Ariel (1988) et La fille aux allumettes (1990). Un ajout surprise qui raconte avec un humour décalé et beaucoup de tendresse le rapprochement contrarié de deux âmes sœurs qui ont du mal à joindre les deux bouts. Comme à son habitude, le cinéaste finlandais évite dans cette tragi-comédie sentimentale l’apitoiement et le voyeurisme en s’amusant des méandres d’une histoire d’amour tourmentée mais sincère.

Ce nouvel opus dans la filmographie de Kaurismäki lui permet de faire des clins d’œil à ses « divinités domestiques » : Bresson, Ozu et Chaplin. Des hommages qui se concrétisent à travers des affiches d’époque comme celle du film L’argent (1983) de Robert Bresson que l’on aperçoit sur la devanture du cinéma où Ansa et Holappa aiment se rendre pour échapper à leur morne quotidien. Ce choix d’affiches vintage renforce cette sensation d’un récit hors du temps.

Quelle époque ?

Aki Kaurismäki se plaît à mettre en scène son histoire dans une réalité un brin désuète, à la frontière de l’anachronisme. Dans ce Helsinki rétro, les affiches de cinéma n’annoncent pas de films récents ou des ressorties dans une rutilante restauration 4K. Dans cet univers figé, les traces de modernité – téléphone portable, électroménager moderne… – se font rares.

Prix du Jury au Festival de Cannes 2023, Les feuilles mortes baigne dans la même atmosphère volontairement surannée que Le Havre (2011), certainement le film le plus connu du cinéaste en France. Le film partage également avec son prédécesseur l’utilisation de la radio pour faire surgir la modernité dans ce quotidien dont on a du mal à définir l’époque. Si dans Le Havre la radio alerte sur l’obsolescence programmée de l’électroménager – sujet ô combien moderne -, le poste installé chez Ansa fait entrer dans son appartement vieillot une actualité bien plus terrible.

De guerre lasse

Cette dure réalité qui s’invite dans le salon de la discrète Ansa égrène les horreurs de la guerre en Ukraine. Une façon d’ancrer son récit dans une temporalité très contemporaine pour le cinéaste et d’exprimer pleinement son « angoisse face à des guerres vaines et criminelles ». La menace de cette énième guerre qui plane sur le film appuie le sentiment d’absurdité de ce monde et renforce la solitude de nos deux âmes dérivant dans une ville peu chaleureuse.

Pour Aki Kaurismäki, Les feuilles mortes est une réponse directe à ces guerres éternelles. Pour se consoler, le cinéaste se réfugie dans l’utopie d’un récit qui pourrait « offrir un avenir à l’humanité : le désir d’amour, la solidarité, le respect et l’espoir en l’autre, en la nature et dans tout ce qui est vivant ou mort et qui le mérite. » Un vaste programme dans lequel on retrouve cette entraide qui inspire le cinéaste sans jamais pour autant tomber dans la mièvrerie.

Drôle de rencontre

Car l’histoire d’amour entre Ansa et Holappa est romantique, certes, mais n’est pas de tout repos. Rien n’est simple dans Les feuilles mortes. À peine ont-ils fait connaissance que les deux amants qui n’ont échangé ni nom ni adresse se retrouvent séparés. Holappa a en effet égaré le numéro de téléphone confié par Ansa. Une maladresse qui entraîne un premier malentendu bientôt rejoint par des blocages plus problématiques.

Avec son habituel humour pince-sans-rire, Aki Kaurismäki prend un malin plaisir à mettre des embûches sur la route sinueuse de cet amour inespéré. À commencer par l’addiction à l’alcool de Holappa qui horrifie Ansa. Parcours du combattant à travers des situations absurdes et une communication parfois compliquée, cet jeu de piste sentimental dans un Helsinki sombre et froid réchauffe cependant les cœurs grâce à sa grande humanité et sa foi en l’entraide.

Pour adoucir une existence tragi-comique, le cinéaste impose l’espoir d’une humanité généreuse en amour et en amitié qui fait la beauté de ses films. Face à l’adversité et au délitement du monde moderne, Les feuilles mortes plaide pour un rapprochement capable d’injecter une sève régénératrice dans n’importe quel cœur.

> Les feuilles mortes (Kuolleet lehdet), réalisé par Aki Kaurismäki, Finlande – Allemagne, 2023 (1h21)