Après vingt ans de vie commune et deux enfants, Karine (Virginie Efira) et Jimmy (Arieh Worthalter) forment un couple toujours très uni. Elle travaille à l’usine tandis que lui, chauffeur routier, s’acharne à faire grandir sa petite entreprise lorsqu’il n’est pas sur la route. Dès qu’ils le peuvent, ils se retrouvent pour retaper leur maison.
Quand surgit le mouvement des Gilets Jaunes, Karine s’enthousiasme pour cette contestation qui fleurit sur les rond-points. Emportée par la force du collectif, elle s’implique dans le mouvement avec toute sa colère et surtout l’espoir d’un changement concret pour ses enfants. Mais à mesure que son engagement grandit, la situation se détériore et l’équilibre du couple vacille.
Gilets jaunes
Si le documentaire Un pays qui se tient sage (2020) – lire notre critique – traite de la mobilisation des Gilets Jaunes par le biais des violences policières, le sujet de ce mouvement social inédit dans l’histoire moderne de la France reste peu traité par la fiction. Probablement parce que le sujet est assez inflammable tant il est complexe de résumer les revendications multiples et situer des citoyens qui se sont exprimés en dehors de tout cadre, syndical ou politique. Même si certains ont évidemment essayé de récupérer à leur compte la colère exprimée à des fins militante ou électorale.
Avec le recul, la faute politique du pouvoir est flagrante. Comme d’autres avant lui, le gouvernement a misé sur un pourrissement de la situation avec un mépris qui a fini par caractériser la façon de gouverner d’Emmanuel Macron jusqu’au déni de démocratie post dissolution. D’un mouvement né de la hausse de la taxe sur le carburant dont la contestation aurait pu être éteinte rapidement et à moindres frais dès le stade des rond-points occupés, la colère a grandi et les revendications se sont multipliées jusqu’aux images de destruction dans la capitale et le scandale des violences policières associées.
Formation mobilisation
Mais le regard que pose Les braises sur l’embrasement du pays par le mouvement des Gilets Jaunes n’est pas d’ordre sociologique, ni politique, du moyen au sens de de l’engagement politique encadré par un parti. Écrit après des rencontres avec des Gilets Jaunes dont certains jouent leur rôle dans le film, Les braises se veut respectueux de leur engagement mais ne cherche pas à refléter la complexité du mouvement. Ce qui intéresse le cinéaste ici est la spontanéité d’un mouvement qui a initié des milliers de citoyens au militantisme politique, hors de tout cadre habituel.
De la politique « vie de la cité », au sens premier du terme, qui prend les traits de Karine, impeccablement incarnée par Virginie Efira, mère de famille qui décide de se joindre à la colère qui explose un peu partout en France. En suivant son parcours, Les braises montre comment l’engagement dans la lutte peut devenir très prenant, au grand dam de son mari qui juge la contestation inutile voire dangereuse.
Jimmy n’a pas tort sur l’aspect violent de se lancer subitement dans une lutte sans organisation et sans préparation. Mais Karine n’est pas dans ce calcul bénéfices – risques, elle lutte en pensant qu’elle pourra tout concilier : le travail, les enfants, le quotidien… et son couple. C’est sur ce point que le film propose une vision intéressante d’un équilibre très fragile.
Politique du couple
Les ressorts intimes de l’engagement, Thomas Kruithof et son co-scénariste les ont déjà exploré dans Les promesses (2021) mais Isabelle Huppert et Reda Kateb y incarnent des professionnels de la politique. Avec Les braises, la question concerne un couple de citoyens lambdas ce qui renvoie la grande histoire collective du conflit social à l’intime d’un engagement qui se découvre lui-même. La tension entre Karine et Jimmy provient de cette vision du militantisme. Si Karine pense qu’il est nécessaire, et même vital, de lutter, Jimmy n’y voit que des coups à prendre pour un débouché qui reste obscur et préfère protéger sa famille en priorité.
En parallèle d’un mouvement dont l’issue – ou plutôt l’impasse relative – est connue, le suspens porte sur la solidité du couple face à ces prises de position divergentes. La croyance un brin idéaliste de Karine étonne dans un premier temps puis inquiète Jimmy. Le passage en procès de Karine devant une justice expéditive ne fait que renforcer sa conviction d’autant plus qu’il doit gérer en parallèle son entreprise chancelante, difficulté qu’il cache à sa femme. Peut-on encore s’aimer en portant un regard si différent sur l’avenir ?
Drame familial sur fond de contestation sociale historique, Les braises réussit à capter l’énergie mais aussi le coût d’un engagement qui vient se superposer au quotidien et risque de tout faire voler en éclats. Ces braises sont le symbole d’une colère sociale toujours latente prête à s’embraser à nouveau autant que la faible lueur qui maintient en vie un amour vacillant.
> Les braises, réalisé par Thomas Kruithof, France – Belgique, 2025 (1h42)