L’art traverse la rue

L’art traverse la rue

L’art traverse la rue

L’art traverse la rue

17 novembre 2010

Since, une galerie engagée autant pour les artistes que pour le public. Dans ce lieu, on ne se contente pas d'accrocher des œuvres aux murs, on les sort dans la rue. Pied de nez au politiquement correct de l'institution artistique ?

Il est rare de se promener dans un quartier dit "populaire" et d’y trouver de l’art autre que des tags ou du street art. On est plutôt habitués à voir des restaurants turcs, des épiceries, des cafés, des magasins de fringues de mauvaise qualité. L’installation de la galerie Since, au 211 rue Saint-Maur dans le Xe arrondissement de Paris, a donc suscité de vives réactions parmi les habitants du quartier.

Une galerie

Laurent Carioli et Alexandre Brachet ne sont pas de ceux qui attendent que les projets viennent à eux. Ils les provoquent et les créent. Associés depuis dix ans dans une société de production artistique nommée Upian, ils connaissent bien le milieu et les artistes. « Ce projet se situait dans la continuité de notre travail, c’était naturel », déclare Laurent Carioli, cofondateur de Rojo, un magazine d’art contemporain diffusé en Espagne, au Brésil, en Italie et en France. A eux deux, ils possédaient le carnet d’adresses, les moyens et la volonté de donner l’occasion à des artistes de venir exposer leur travail. Manquait le lieu. « Il n’était pas question pour nous de changer de quartier, de nous installer dans le Marais au milieu de toutes ces galeries. Ce n’est pas pour nous. » Ils mettent enfin la main sur un local. « C’était l’ancien siège de l’UMP, quasiment laissé à l’abandon. Il a fallu batailler pour l’avoir. » En juin 2009, la galerie Since peut enfin ouvrir ses portes.

Un mur

Six mois et plusieurs expositions plus tard, Laurent, gardien du lieu, remarque ce mur vierge, le mur de l’école publique Saint-Maur. Une idée germe petit à petit : pourquoi ne pas offrir une œuvre extérieure de grand format qui fasse écho à l’exposition de la galerie ? Contrairement au street art qui s’approprie le plus souvent illégalement ses supports, les galeristes préfèrent agir à la régulière. La mairie du Xe, séduite par le projet, leur cède l’utilisation du mur. Bien sûr, tous les artistes n’ont pas l’habitude de travailler sur ce type de format. Laurent leur propose et ils disposent. D’autre part, tous les sujets artistiques ne lui semblent pas propices à s’exhiber dans la rue : « il faut que l’œuvre habille le quartier et qu’elle véhicule du positif ». Lorsque ce projet est né, l’idée de la démocratisation de l’art ne leur était pas apparue immédiatement. Ils furent agréablement surpris par l’impact et le questionnement que ces propositions artistiques suscitaient. « Les gens du quartier venaient à la galerie et nous interrogeaient sur l’artiste et nous remerciaient », se réjouit Laurent.

Des artistes

Sur les douze artistes qui se sont succédé à la galerie, deux ont fait le mur ! Le dernier en date, Philippe Baudelocque, a sévi au mois d’octobre. Il vient du graffiti. « J’ai l’habitude de dessiner sur des grands formats », reconnaît-il. Il y a environ deux ans, il découvre ce qui sera son domaine de prédilection, qu’il résume en un mot : « fusion ». Il s’intéresse au mécanisme de la vie brute, à la nature fragile. Ses dessins sont constitués par un ensemble de petits éléments, le microcosme, qui forment un animal, le macrocosme : c’est un tout. Ses dessins sont réalisés avec des pastels à l’huile, une matière tout aussi fragile que la nature. Tout est donc lié : la technique, le thème, les lieux. Il n’y a que le support qui évolue. De la toile, au mur, en passant par le bâtiment et pourquoi pas le land art [fn]Le land art est une tendance de l’art contemporain, apparue aux Etats-Unis à la fin des années 1960, qui se caractérise par un traitement artistique du paysage.[/fn], il y pense.

La démarche de Since s’avérait être en totale adéquation avec celle de Philippe Baudelocque. « Dans la rue, la réaction est immédiate. J’aime les lieux empreints d’humanité mais je veux avoir le temps de bien faire mon dessin, d’où l’importance d’avoir les autorisations. »
Il profite du festival Nuit Blanche 2010, le 2 octobre dernier, pour prendre le temps d’habiller le mur. La nature s’est alors immiscée dans l’urbain. Cette rencontre lui donne l’occasion, pour la première fois, d’exposer et de vendre dans une galerie qui lui correspond.

Et l’art se promène

Une initiative en amène une autre. La mairie, l’école Saint-Maur, la galerie et Philippe Baudelocque s’associent pour offrir un dessin extérieur, dans un lieu où l’art est peu présent. Philippe Baudelocque se voit confier le mur de la cour de récréation de l’école pour y dessiner un de ses animaux. L’intérêt et les commentaires des enfants sont immédiats : « on dirait un tigre ou un lion », déclare l’un d’eux. « Il est trop mignon, j’aimerais le ramener à la maison », s’attendrit un autre. Monsieur Noury, professeur d’art plastique, peut alors appuyer son enseignement sur du concret. « Rien de tel que d’avoir l’artiste en chair et en os en face de soi. De plus, le thème parle aux enfants ! » Les questions fusent. « C’est fragile ? »,  « Comment tu fais ? », « C’est beau, mais ça va rester longtemps ? ».

Philippe Baudelocque répond, explique et fait le parallèle entre la fragilité de la nature, des animaux et le dessin auquel on doit faire attention sinon, « il va s’abîmer ». Inconsciemment, un message simple se profile : la nature est précieuse, il faut la préserver. Le bouche à oreille opère, plusieurs écoles sont intéressées par le projet. Et lorsque la création ne peut venir dans l’école, ce sont les enfants qui viennent dessiner à la galerie. L’interaction fonctionne. Certains enfants, tous du quartier, ont remarqué le dessin dans la rue. « C’est un peu pareil mais c’est un renard et dans la vitrine, j’ai montré à maman l’hippopotame. » Les créations se baladent et le lien entre les lieux s’établit petit à petit.

De la galerie, à l’école en passant par le mur, la pastel chemine dans des lieux divers. Une galerie présente, certes, des créations cotées, destinées à être vendues à des collectionneurs ou des amateurs qui ont des moyens financiers. Déplacer ces créations à l’extérieur, dans le quartier, génère alors un nouveau public. Des sérigraphies à moindre coût sont également proposées à ceux qui aiment mais ne peuvent s’acheter un tableau. La galerie crée interrogations et engouements. « Certaines personnes sont venues ici grâce à leurs enfants et certains jeunes qui "zonent" dans le quartier sont venus nous parler grâce au mur », s’enorgueillit Laurent Carioli. Cette initiative a davantage de conséquences que veulent bien le dire les différents protagonistes. L’art est là, dans la rue. Chacun s’y confronte et en jouit, même si tous ne poussent pas la porte de la galerie.

 

Philippe Baudelocque chez Since.Upian