L’armée des plantes

L’armée des plantes

L’armée des plantes

L’armée des plantes

20 septembre 2011

Les guérilleros guardening sont des jardiniers militants et activistes. Ils sortent des jardins et font pousser des arbres et des fleurs dans les faiblesses du béton urbain. L'objectif ? Revégétaliser la ville et repenser ses aménagements. Citazine a rencontré cette armée des plantes.

Des jardinières abandonnées, des failles dans les trottoirs, un trou dans le bitume, des pieds d’immeubles en friche. Les guérilleros gardening sont à l’affût de l’interstice urbain, la faille dans l’océan de bitume. Détournées, ces faiblesses du goudron deviennent terres d’accueil pour les graines semées par ces jardiniers militants. Fleurs, plantes, légumes poussent dans ces espaces auparavant sans fonction ni utilité.

Sur une place de parking

Nous les avons rencontrés le 17 septembre, à l’occasion de Parking Day, événement durant lequel des artistes, associations, ONG…, s’approprient une place de parking, la rendent conviviale pour y accueillir le public. À la place d’une voiture, des jardins hors-sol, dans des pneus, des bidets, une guitare, un plot… Plus de feuilles et de vert sur 3 m² que les Parisiens n’ont l’habitude d’en voir sur 1 km². À disposition des passants les plus curieux, des graines, de l’argile et du terreau. Les gamins ont les mains dans la terre, confectionnent des petites boules qu’ils placent ensuite où ils le veulent, dans l’espace urbain qui les entoure.

Le mouvement date de 1973, lorsque Liz Christy lance à New York ses premières Bomb seeds, bombes de graines, dans les terrains vagues, les friches et partout ailleurs. En même temps que les actes militants, elle fonde la green guerilla. Les guérilleros gardening parisiens se réclament de ce mouvement initial. Pourquoi ce nom guerrier ? « Il fallait marquer les esprits. Et puis ça sonne plus actif que « les coquelicots dans la ville » ! On se bat contre le bitume, la froideur de la ville », commente Gabeu, figure du groupe parisien et habitué à signer « guérilleusement » à la fin de ses mails.

Tous les espaces sont verts

En effet, le propos n’est pas simplement : « planter des fleurs sous vos fenêtres et la nature vous le rendra ». Non, les guérilleros gardening revendiquent le développement des cultures vivrières en ville, la réappropriation de l’espace urbain par les plantes, et plus simplement le droit d’y jardiner. « Il existe les jardins partagés. Mais il y en a trop peu et les listes d’attente sont très longues. Et ces jardins devraient être collectifs et non partagés. Ils sont très enfermants. » Le terme consacré d’espace vert agit sur eux comme du poil à gratter. « Un espace est vert et celui d’à côté est gris ? On ne peut rien y planter ? Nous n’aimons pas ce concept qui délimite les lieux où les plantes ont le droit de pousser. Même autour d’un espace vert, on peut végétaliser », assène Gabeu.

Voilà pourquoi, il est question de guérilla verte. Il s’agit de repenser l’aménagement de nos villes, l’accès à la terre et ce qu’elle peut offrir à l’homme, créer des sociétés fondées sur la permaculture[fn]La permaculture est une science de conception de cultures, de lieux de vie, et de systèmes agricoles humains utilisant des principes d’écologie et le savoir des sociétés traditionnelles pour reproduire la diversité, la stabilité et la résilience des écosystèmes naturels (définition permaculture.fr).[/fn].

Un peu oublié dans les années 90, le mouvement a été relancé en 2004 par un Britannique, Richard Reynolds, fondateur de l’organisation The guerillera gardening. Figure emblématique, l’homme chapeaute le réseau international et entretient les liens entre les différents groupes, à Los Angeles, Berlin ou encore Paris. Entre eux, via Internet, ils échangent des techniques de jardinage, se soutiennent et parfois, se rencontrent.

Des interventions partout dans la ville

En deux ans d’existence, les jardiniers parisiens ont eu le temps de laisser leur empreinte un peu partout dans la ville. En témoigne la carte de leurs interventions, un joli palmarès.

Après avoir repéré un lieu propice, les guérilléros passent à l’action. « La première étape est de semer à la volée. On commence avec des plantes résistantes qui nécessitent peu d’entretien. On revient régulièrement, on explique aux riverains ce qu’on fait. Au fur et à mesure, on plante encore plus de choses, les gens nous apportent des graines, et on finit par avoir des tomates en bas des immeubles ! »


Semer à la volée, une première fois, permet également d’en apprendre davantage sur les propriétés de la terre, et de planter en conséquence. Pratiques et pragmatiques, les guérilleros gardening mettent au point des techniques pour s’adapter à la ville, son mobilier et son paysage. Le message est également écologique, éthique et responsable. Autrement dit le Roundup est un ennemi, de même que la graine qui a traversé la planète en avion.

En contact avec les riverains

En deux ans d’activisme, ils sont allés partout et pourtant, il reste toujours des espaces à végétaliser. Laquelle des réappropriations végétales rend Gabeu le plus fier ? « Je suis très content de participer à la Ferme du bonheur à Nanterre. C’est un vrai jardin collectif. On ne l’a pas divisé en parcelles. Les gens peuvent venir cueillir un légume même si c’est moi qui l’ai planté. Mais c’est très difficile de répondre, parce que je peux tout simplement être fier de voir un tournesol de deux mètres qui a poussé dans un tout petit trou ! »


Les plantes laissées derrière eux ne sont pratiquement jamais arrachées. Pourtant, l’action est illégale, c’est bien d’endommagement de l’espace public dont il s’agit. Cependant, les guérilleros n’agissent pas dans l’ombre et laissent souvent derrière eux un signe de leur passage. Ainsi, les riverains savent qu’à cet endroit, il s’est passé quelque chose. Leur signature de prédilection, les graffitis en mousse. « Un clin d’œil. Ils participent au côté poétique et artistique de notre mouvement. »

Et côté riverains ? Certains sont tout de suite conquis. Parfois, d’autres jugent l’action inutile. Toujours, les guérilleros expliquent leur démarche, à court terme pour le lopin de terre transformé, à plus long terme pour la vision verte de la ville.

On quitte les guérilleros, assis sur des cagettes recyclées, une odeur de terre mouillée autour d’eux. Un dernier regard vers le trottoir que longe la place de parking qu’ils occupent : le gamin a collé le mélange de terre, graine, argile dans chaque interstice du trottoir. Bientôt une forêt ?