« La nuit des rois », l’histoire sans fin

« La nuit des rois », l’histoire sans fin

« La nuit des rois », l’histoire sans fin

« La nuit des rois », l’histoire sans fin

Au cinéma le 8 septembre 2021

Dans la MACA, prison surpeuplée d'Abidjan, un détenu est obligé de raconter des histoires durant toute une nuit pour échapper à la mort. Film de prison s'inscrivant dans la tradition orale africaine, La nuit des rois entremêle réel et fantastique. Une œuvre originale et poétique qui rend hommage au pouvoir de la parole face à la violence et à la nécessité - ici vitale - de captiver son audience.

Dangereusement surpeuplée, la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan, surnommée la MACA, est une micro société à part entière. Avec ses règles et ses traditions teintées de superstition. Vieillissant et malade, le caïd Barbe Noire (Steve Tientcheu) est de plus en plus contesté au sein de la prison.

Pour conserver son emprise sur les autres détenus, le roi affaibli renoue avec le rituel de « Roman ». Cette tradition se déroule lors des nuits de lune rouge, un phénomène qui tombe au bon moment pour Barbe Noire. Désigné comme Roman par le caïd, un jeune prisonnier (Bakary Koné) qui vient de rejoindre la MACA doit raconter des histoires jusqu’au petit matin. S’il échoue, il sera tué.

La nuit des rois - photo © Carole Bethuel

La cour pénitentiaire

Pour son second long métrage, Philippe Lacôte propose une plongée saisissante dans la MACA, l’unique prison d’Abidjan et l’un des établissements pénitentiaires les plus surpeuplés de l’Afrique de l’ouest. Un choix de sujet très personnel pour le cinéaste franco-ivoirien.

Enfant, Philippe Lacôte a en effet visité à plusieurs reprises le MACA pour rendre visite à sa mère, emprisonnée pendant une année comme opposante politique par le régime de Félix Houphouët-Boigny. À ces souvenirs d’enfance se sont greffés des expériences plus récentes : d’autres incarcérations de proches et l’animation de ciné-clubs dans des prisons en tant que réalisateur.

De ces multiples observations en milieu carcéral, le cinéaste recréé au sein de son film au titre d’inspiration shakespearienne une société à part entière. Il dépeint le microcosme de la MACA comme la cour d’un ancien royaume, avec ses traditions et ses croyances. Des superstitions que Barbe Noire, souverain en danger, utilise à ses fins pour renforcer un pouvoir vacillant.

La nuit des rois - photo © Carole Bethuel

Véritable légende

Dans La nuit des rois, la légende côtoie l’histoire. Cette dualité troublante entre le réel et la fiction plane sur l’ensemble du film, aussi bien sur le fond que la forme. Cette tradition de forcer un prisonnier à raconter des histoires toute la nuit existe bien au sein de la MACA. Mais, contrairement au Roman du film, le conteur n’est pas menacé de mort s’il ne remplit pas sa mission.

Le récit de Roman s’inspire largement de la réalité ivoirienne. Zama King présent dans son histoire est un personnage qui a réellement existé. Chef d’un gang composé de jeunes de 8 à 17 ans dit des « microbes », Zama a été lynché et brûlé en 2015 par la population pour venger ses méfaits.

La nuit des rois - photo © Carole Bethuel

Mais l’histoire que Roman développe au fil des heures en espérant pouvoir contempler l’aurore prend également la tournure d’un conte, où les images d’archives côtoient des combats légendaires. À travers le récit de Roman, le cinéaste dresse le portrait d’un pays instable en crise politique et sociale depuis 20 ans.

Cette violence sous-jacente dans la société ivoirienne a fini par rattraper le réalisateur, victime d’une attaque à la machette de la part d’un gang de « microbes » durant la postproduction du film. Comme si la fiction s’était échappée de cette MACA fantasmée pour le retrouver dans la réalité. Une coïncidence qui fait sens pour un film qui joue autant du rapport entre réel et imaginaire.

La nuit des rois - photo © Carole Bethuel

Tout conte fait

En insufflant une dose de légende dans l’histoire racontée par Roman, Philippe Lacôte célèbre la tradition orale africaine incarnée par le griot. Un personnage à la fois conteur, historien, chanteur de louanges… Dans le cadre carcéral, cette histoire salvatrice symbolise le pouvoir des mots face à la violence : tant qu’il a une histoire à raconter, Roman est épargné.

La mise en scène du combat oral mené par le jeune prisonnier met en lumière la poésie qui se dégage de la situation, par ailleurs explosive. Pour troubler un peu plus le rapport à la réalité du film, Bakary Koné qui incarne le conteur malgré lui n’est pas un acteur professionnel.

La nuit des rois - photo © Carole Bethuel

À l’instar de son personnage qui doit développer son histoire au fur et à mesure, Bakary Koné naît en tant qu’acteur devant la caméra de Philippe Lacôte au fur et à mesure du film. Tous ces éléments mélangeant réel et fiction donnent au film une ambiance éthérée où l’évocation de l’imaginaire poétique s’oppose à une violence bien concrète.

En accueillant un récit hybride en son sein, La nuit des rois célèbre la spécificité de la culture orale africaine, entre faits historiques et légendes. Il en résulte une ode séduisante à cet art salvateur du récit qui inspire et captive son audience, au point d’en oublier la fatalité.

> La nuit des rois réalisé par Philippe Lacôte, France – Côte d’Ivoire – Canada – Sénégal, 2020 (1h33)

La nuit des rois

Date de sortie
8 septembre 2021
Durée
1h33
Réalisé par
Philippe Lacôte
Avec
Bakary Koné, Steve Tientcheu, Rasmané Ouédraogo, Issaka Sawadogo, Jean Cyrille Digbeu, Abdoul Karim Konaté, Macel Anzian, Laetitia Ky, Denis Lavant
Pays
France - Côte d'Ivoire - Canada - Sénégal