Lorsque la faillite menace sa ferme, Virginie (Suliane Brahim), mère célibataire de deux adolescents Gaston (Raphael Romand) et Laura (Marie Narbonne), décide de se lancer dans le commerce des insectes comestibles. Pour cela, l’agricultrice installe sur son terrain une grande serre contenant des sauterelles qu’elle espère revendre à bon prix.

Mais, quand les sauterelles commencent à se reproduire à une vitesse impressionnante, les enfants de Virginie s’inquiètent. Ils ne reconnaissent plus leur mère, de plus en plus obsédée par ces insectes devant très envahissants.

L’entomoculture du futur ?

Avec ses sauterelles — qui sont en réalité des criquets migrateurs à l’écran —, le premier film de Just Philippot met en avant l’entomoculture comme solution possible aux défis écologiques et sanitaires de demain. Malheureusement pour Virginie, son expérience avec les insectes ne va pas se passer comme prévu.

L’élevage des insectes comestibles peut nous paraître étrange voire peu ragoûtant mais il s’agit d’une réalité bien ancrée au niveau mondial. En effet, deux milliards de personnes en consomment déjà dans des repas traditionnels à travers le monde.

Avec 100 fois moins de gaz à effet de serre produit et 50 fois moins d’eau nécessaire que pour le bétail, l’entomoculture a de sérieux arguments écologiques. Virginie est persuadée que cette « novel food » hyper protéinée peut changer les choses. Un engagement pour la planète mais aussi un espoir pour améliorer sa situation personnelle.

Nécessitant peu d’investissement et de ressources, la culture des sauterelles semble être la solution parfaite. Un moyen de subvenir aux besoins de sa famille tout en œuvrant pour une révolution alimentaire inéluctable. Mais l’effet combiné de la pression sur les épaules de l’agricultrice et l’appétit vorace des insectes orthoptères vont anéantir ses espoirs.

La folie des grandeurs

Assez rapidement, Virginie doit se rendre à l’évidence : pour que son élevage soit rentable, elle doit produire plus. Ironiquement, La Nuée reproduit au niveau de l’entomoculture censée être bénéfique à tous niveaux les pressions que subissent tous les agriculteurs.trices.

Produire toujours plus, plus vite… Cette spirale de la consommation de masse entraîne les agriculteurs.rices dans une fuite en avant sans issue. Alors que l’élevage intensif et l’usage de produits chimiques les isolent d’une société qui consomme sans limite mais exige dans le même temps une alimentation saine et respectueuse de l’environnement.

Virginie se retrouve dans cet engrenage insensé qui fait rapidement évoluer son élevage vers une entreprise ingérable. Et le prix à payer est énorme car ces sauterelles sont particulièrement gourmandes. L’agricultrice découvre qu’elle doit donner plus que son temps pour satisfaire ses engagements. Pour proliférer, les sauterelles exigent du sang.

Fantastique réaliste

Ces insectes vampires, allégorie d’un système infernal, font naturellement basculer le film vers le fantastique. Mais La Nuée prend garde à ne jamais en faire trop. Ses effets spéciaux sont savamment dosés et les plus réalistes possibles.

Cette volonté d’un récit le plus crédible possible est assumée par Jérôme Genevray et Franck Victor, les deux scénaristes, qui citent volontiers Les dents de la mer (1975) de Steven Spielberg ou encore Les Oiseaux (1963) d’Alfred Hitchcock comme sources d’inspiration. L’intriguant Phase IV (1974) de Saul Bass plane également au-dessus de cette histoire qui échange les fourmis par une menaçante nuée de sauterelles.

Ces effets au plus proche du réel permettent au cinéaste de classer son film dans l’anticipation plutôt que la science-fiction pure. Mis à part ce sang qui dope les sauterelles, le principe du « produire toujours plus » dénoncé est à l’image de ce qui se passe dans les élevages intensifs. Et les suicides des agriculteurs.trices la marque de cette pression insoutenable.

Plein les pattes !

Avec ses effets spéciaux volontairement discrets mais efficaces, La Nuée rend probable et d’autant plus inquiétant cet appétit soudain des insectes pour le sang. Cette utilisation parcimonieuse des effets numériques permet de s’immerger totalement dans cet univers pas si éloigné du réel, à quelques mandibules voraces près.

L’efficacité de ce cauchemar pour entomophobes réside dans cette volonté de garder les pieds sur terre, proche des réelles difficultés du monde agricole. Film de genre assurément, La Nuée est avant tout un drame familial. Derrière cette nuée d’insectes, se cache une charge mentale ô combien réaliste que Virginie doit assumer sur tous les plans, intimes comme professionnels.

Cette pression insoutenable symbolisée par les sauterelles voraces draine littéralement l’énergie de l’agricultrice, laissant ses enfants livrés à eux-même. Doublement victimes, Gaston et Laura doivent affronter les insectes mais également les défis à venir d’un monde déréglé. Ce qui devait consolider la famille finit par la menacer. Comme s’il était déjà trop tard pour changer le système.

Avec cet élevage cauchemardesque, La Nuée confronte le spectateur à l’impasse d’une agriculture littéralement mortifère à qui l’on demande de nourrir toujours plus de monde sans détruire l’environnement. Ces sauterelles assoiffées de sang sont d’autant plus terrifiantes que leur appétit serait assouvi si elles existaient. Question de rentabilité.

> La Nuée, réalisé par Just Philippot, France, 2020 (1h40)