« Kika », coup de fouet bienveillant

« Kika », coup de fouet bienveillant

« Kika », coup de fouet bienveillant

« Kika », coup de fouet bienveillant

Au cinéma le 12 novembre 2025

Alors qu'elle est enceinte de son second enfant, Kika perd brutalement son compagnon. Complètement fauchée, elle se lance dans l'activité surprenante de dominatrice. Déconcertant à plus d'un titre, Kika livre un portrait de femme attachant, d'une liberté stimulante. Un drame subtile qui dévoile le milieu sadomasochiste avec empathie et une humanité lumineuse, loin d'un voyeurisme glauque ou moqueur. Un coup de fouet à la bienveillance salutaire.

Assistante sociale en couple et mère d’une jeune Louison (Suzanne Elbaz), Kika (Manon Clavel) n’est pas prête pour le coup de foudre qui la percute lorsque David (Makita Samba), réparateur de vélo, débarque dans sa vie. Après le temps des rencontres clandestines dans un hôtel de passe, Kika et David s’installent ensemble officiellement. Mais le destin est parfois cruel. Alors que le bonheur est à son comble, David meurt subitement.

Enceinte de son second enfant, Kika peine à surmonter le choc et doit trouver rapidement de l’argent. Bornée, elle ne peut se résoudre à demander l’aide sociale à laquelle elle a droit comme l’y encourage sa collègue Mary (Ethelle Gonzalez Lardued). Contrainte de retourner vivre chez ses parents avec sa fille, elle se souvient alors d’une allocataire qui vendait ses culottes pour se faire de l’argent. Ainsi débute le parcours de Kika, à la découverte progressive du métier déconcertant de dominatrice et plus largement du milieu de la prostitution.

Kika © Wrong Men - Kidam - Condor Distribution

Chamboule tout

Réalisatrice de documentaires principalement, Alexe Poukine pose sa caméra où ça fait mal pour y capter parfois une lumière inattendue. C’est le cas avec Sans frapper (2019), documentaire choral glaçant sur ces viols entre conjoints qui passent encore trop inaperçus – lire notre critique. Plus récemment, Sauve qui peut (2024) montre la violence institutionnelle sidérante qui se cache dans les murs de l’hôpital. L’intimité d’un foyer, l’hôpital… Des lieux censés être protecteurs où la maltraitance se terre en silence. Une opposition illogique qui n’est pas étrangère à ce second film de fiction pour la cinéaste dont l’héroïne n’est pas assistance sociale par hasard.

Avec son sujet sensible de la prostitution, Kika a trouvé plus facilement des financements pour se concrétiser en Belgique qu’en France ou le débat penche plus aisément vers l’abolitionnisme. Cette plongée dans le monde de la domination dont Kika apprend tant bien que mal les ficelles – les cordes et tout ce qui va avec – porte cependant moins un discours sur la prostitution qu’une réflexion sur ce qu’une mère en galère est prête à faire pour s’en sortir, sans préjugé. Pour réussir à établir cette proximité avec son héroïne, le film prend son temps, quitte à nous mener sur une fausse piste.

Kika débute en effet comme une comédie romantique. Puis le spectre d’un drame familial sur le thème de l’adultère est vite évacué – la rupture n’est pas montrée – et le film bascule, et nous avec, dans cette découverte du monde méconnu de la domination. À l’instar de Vera Miles qui disparaît au début du film dans Psychose (1960), les cartes sont rebattues brutalement. Mais, attaché à Kika, le spectateur ne peut plus la réduire à un cliché de mère courage uniquement ou à une figure victimaire. La vraie exploration, sans idée reçue, peut débuter.

Kika © Wrong Men - Kidam - Condor Distribution

Le mal qui fait du bien

Pour cette histoire a priori improbable d’une mère qui endosse le rôle de dominatrice pour s’en sortir, Alexe Poukine s’est inspirée d’un ami qui est dominateur et assistant social. Ce combo étonnant a passionné la cinéaste qui insuffle dans le film cette dualité du soin apporté aux gens : dans un cas, en leur faisant du bien en s’occupant de leur galères – Kika aurait pu également être infirmière ou médecin – et, dans l’autre, en leur faisant du mal physiquement. En tant qu’assistante sociale ou dominatrice dans l’hôtel de passe où elle officie, Kika est confrontée à la même demande : prendre en compte et réduire la souffrance de ses « clients ».

Pour préparer le film, la cinéaste s’est concentrée sur la Belgique où elle vit et où le travail du sexe est décriminalisé. En contact avec des associations, elle a mené des entretiens avec des travailleuses du sexe aux pratiques et conditions de travail très différentes. Il en ressort un regard d’une précision documentaire et une conception du sadomasochisme très éloigné des clichés amusés voire amusants. Kika va découvrir au fur et à mesure que cette activité de dominatrice n’est au final pas si éloignée de son activité d’assistante sociale.

Kika © Wrong Men - Kidam - Condor Distribution

Sado maso dodo

Kika nous prend par la main pour nous amener progressivement dans ce monde de la domination, dans un premier temps avec la distance de l’humour. La scène où Kika vend une de ses culottes à un inconnu dans un bar vient dédramatiser avec un sourire cette entrée en matière. Lorsqu’elle le retrouve pour qu’il lui lèche les pieds, Kika, hésitante, ne sait pas encore sur quel pied danser et enchaîne les répliques drolatiques, perdue entre ordres et excuses de peur d’avoir été trop impolie. L’ambiance change lorsque le client, puisqu’il reste du temps dans son créneau, lui parle de son métier : vétérinaire. Le soumis fétichiste de culottes et des pieds serait-il un être humain comme les autres ?

Le regard porté sur cette activité de BDSM dans laquelle se lance Kika, épaulée par les prostituées qui fréquentent l’hôtel et Rasha (Anaël Snoek), une dominatrice expérimentée, est l’un des points forts du film. Kika est dans un premier temps amusée et interloquée par cette pratique de domination/soumission que le spectateur découvre à ses côtés. Mais l’exploration ne dérive pas vers un catalogue exhaustif des pratiques BDSM qui chercherait le sensationnalisme à tout prix. De la cravache au gode ceinture, les clients défilent tous avec une histoire, un parcours qui résonne avec des failles. Ces fragilités, Kika les prend peu à peu en compte dans sa pratique.

Kika montre les séances sans voyeurisme et surtout avec un respect qui n’humilie jamais les clients, au-delà de la soumission à laquelle ils ont consenti, évidemment. Sur le fil entre décalage comique et surprise, le parcours de Kika évite résolument le ridicule moqueur. Dans la session la plus dérangeante du film, un homme portant une couche cherche à se faire cajoler par Kika et Rasha dans sa demeure fastueuse. Situation qui porte à rire jusqu’au moment où la portée réparatrice de la pratique émerge et l’ambiance bascule totalement. Une séquence particulièrement déroutante et bouleversante qui fait le lien entre la pratique BDSM et le soin et, dans ce cas précis, sa substitution parfois à un suivi psychologique.

Kika © Wrong Men - Kidam - Condor Distribution

Boys will not be boys

Porté par Manon Clavel, parfaite dans la palette d’émotions allant de la découverte amusée à la compréhension empathique, Kika refuse de se vautrer dans le glauque et revendique un regard différent sur la masculinité. De l’aveu même de la cinéaste, elle a souhaité mettre en scène à travers ces soumis aux pratiques diverses une alternative aux normes de genre masculines hétérosexuelles. Les clients de Kika sont en effet à mille lieux de la figure du macho conventionnel mais ce qui fascine le plus est l’éventail des désirs exprimés, et parfois réprimés par ailleurs, qui vient faire mentir la pulsion de désir masculin conventionnelle.

Inversion du rapport de domination, Kika subvertit joyeusement les normes patriarcales pour les remettre en question. Cette réflexion qui plane sur le film fait presque oublier le deuil que Kika ne peut se résoudre à faire. Car la jeune mère, trop occupée à prendre soin de sa progéniture et des autres, ne prend pas le temps de pleurer la disparition de son amour. Une peine devant l’injustice de la mort qui finira par exploser d’une façon aussi belle qu’inattendue nous rappelant que sous les coups de cravache ou dans des bras réconfortants, tout est une question d’empathie et de lâcher prise.

> Kika, réalisé par Alexe Poukine, France – Belgique, 2025 (1h50)

Kika

Date de sortie
12 novembre 2025
Durée
1h50
Réalisé par
Alexe Poukine
Avec
Manon Clavel, Makita Samba, Ethelle Gonzalez Lardued, Suzanne Elbaz, Anaël Snoek, Thomas Coumans
Pays
France - Belgique