Pris en otages par un pouvoir sourd à toute contestation, trois habitants de Beyrouth tentent de survivre au quotidien. Il sont les symboles de trois générations qui semblent maudites : Georges, vétéran de la guerre hanté par le passé, Joumana, militante candidate à la députation, et Perla Joe, une jeune artiste engagée qui mise sur une révolution citoyenne pour renverser le gouvernement.
En les suivant avec sa caméra pendant trois ans, la réalisatrice Myriam El Hajj capte leur appétence pour la liberté mais aussi leur désespoir face au blocage permanent d’un pays qui fait du surplace lorsqu’il ne se retrouve pas enseveli de façon dramatique sous les gravats d’une gestion hasardeuse.
Capter l’espoir
Dans Trêve (2015), son premier long métrage documentaire, Myriam El Hajj tentait déjà de capturer une partie de l’âme du Liban en suivant son oncle et ses amis, tous anciens miliciens de la guerre civile libanaise qui a déchiré le pays de 1975 à 1990. Trois ans plus tard, elle se sent impuissante face aux événements qui bousculent alors le Liban. Elle décide alors de suivre trois de ses concitoyens, miroirs de sa propre colère et de son indignation face aux événements.
Georges Moufarej fait écho à son film précédent et pose la question d’un héritage guerrier mais Journal intime du Liban se tourne également vers la nouvelle génération avec Joumana Haddad et Perla Joe Maalouli. Les ambitions politiques de la première et la révolte artistique de la seconde symbolisent des engagements qui souhaitent bousculer la société. Dès 2018, Myriam El Hajj décide de suivre Joumana, candidate issue de la société civile aux élections législatives qui se présente pour la première fois, pour capter cette vague de renouveau qui souffle alors sur le pays. L’espoir est immense, proportionnel à l’inertie d’un pouvoir détenu depuis 40 ans par les mêmes hommes politiques.
Mais le parcours politique de la candidate illustre l’ampleur de la corruption au Liban et la mainmise d’un système inamovible depuis la fin de la guerre civile. Les chiffres des élections législatives du 22 mai 2022 sont sans appel : parmi 128 députés élus, seulement 9 sont issus de la révolution captée par la caméra de la cinéaste. Ce plafond de verre auquel se heurtent les espérances démocratiques plane sur le documentaire comme un constat sans appel, particulièrement étouffant.
Intime politique
Journal intime du Liban se place au niveau de la société civile en entremêlant le quotidien de trois citoyens, sans donner de contexte aux évènements qu’ils vivent. Une captation brute des faits qui peut désorienter mais permet une réelle proximité avec des libanais aussi désorientés que le spectateur face aux convulsions politiques et sociales de l’histoire de leur pays.
Les trois parcours illustrent, chacun à leur manière, un pays totalement bloqué. Georges incarne les combattants de la guerre civile, une histoire mal racontée selon la cinéaste et toujours porteuse de non-dits et de secrets. L’ancien combattant amputé d’une jambe ressasse un rêve de gloire qu’il n’a jamais acquis qui se noie dans ses contradictions.
Miroir de l’engagement de Georges, la jeune Perla Joe tente elle aussi de faire entendre sa voix et devient une figure importante de la révolution d’octobre 2019. Elle n’a pour cela pas choisi les armes mais l’art et la manifestation. Dans les rues, Perla Joe cherche à s’émanciper de sa famille comme d’un pouvoir castrateur. Joumama, avec son engagement politique, est une autre itération de cette volonté de faire concrètement changer les choses. Tous se heurtent à un mur des réalités bien cruel dans un pays où un drame étourdissant vient sanctionner la mauvaise gestion du pays.
L’optimisme malgré tout
Le Liban est secoué pendant ces trois années de nombreuses promesses de changements radicaux. En 2018, les élections législatives marquent l’espoir de l’arrivée d’acteurs de la société civile au pouvoir. Après cet espoir déçu, un vaste soulèvement populaire déferle dans les rues le 17 octobre 2019. La jeunesse s’oppose frontalement à la décision du gouvernement de taxer les appels Whatsapp. Une raison qui pourrait sembler plutôt futile mais qui démontre l’état de tension dans le pays.
Puis, entre 2019 et 2020, une violente crise économique frappe de plein fouet les Libanais. La caméra de Myriam El Hajj capte les angoisses de ces très nombreux citoyens qui se ruent dans les banques pour retirer leur argent alors que la livre libanaise perd 98% de sa valeur. Comme un coup de grâce, le 4 août 2020, une explosion au port de Beyrouth sidère le pays et le monde entier. Le stockage non protégé de 2750 tonnes de nitrate d’ammonium fait plus de 200 morts et 6000 blessés.
Devant une telle densité d’évènements, Myriam El Hajj a mis du temps à digérer les images qu’elle a tournées. Son regard apporté lors du montage permet de compléter ce kaléidoscope de récits qui livre un portrait intime et vivant d’un pays qui depuis a été impliqué en 2024 dans la guerre Israélo-Libanaise dite des 44 jours. Un conflit dont les soubresauts continuent alors que ces lignes sont écrites.
Quelle porte de sortie pour cette revendication de liberté sans cesse reniée ? Difficile de le dire mais la cinéaste choisit une conclusion optimiste pour l’avenir : le chant de Perla Joe qui chante sur un toit de Beyrouth ses craintes et ses espoirs. La capacité à se projeter comme nécessité vitale.
> Journal intime du Liban (Diaries from Lebanon), réalisé par Myriam El Hajj, Liban, France, Qatar, Arabie Saoudite, 2024 (1h50)