« Hot Milk », voyage au bord de l’amer

« Hot Milk », voyage au bord de l’amer

« Hot Milk », voyage au bord de l’amer

« Hot Milk », voyage au bord de l’amer

Au cinéma le 28 mai 2025

Sofia accompagne sa mère Rose à Almeria dans l'espoir de trouver un traitement pour la maladie qui la cloue dans un fauteuil roulant. Sur place, Sofia tombe sous le charme de l'intrigante Ingrid et rêve de fuir une emprise maternelle oppressante. Portrait acerbe d'une relation mère-fille ambiguë, Hot Milk détourne insidieusement la quête émancipatrice d'une jeune aidante et enfonce le clou avec sa conclusion troublante qui vient rebattre les cartes d'un jeu pervers d'interdépendances.

Malgré le soleil généreux qui rayonne sur la station balnéaire espagnole, Rose (Fiona Shaw) et sa fille Sofia (Emma Mackey) ne sont pas à Almeria pour des vacances. Atteinte d’un mal qui laisse les médecins désemparés, Rose est clouée dans un fauteuil roulant dont elle n’arrive à s’extraire qu’une fois par an. Pleine d’espoir, elle vient consulter l’énigmatique docteur Gómez (Vincent Perez) qui lui promet de la soigner contre une importante somme d’argent.

Entre deux consultations, Sofia s’échappe de cette atmosphère médicale pesante pour découvrir les plages locales. Libérée temporairement d’une mère possessive, elle fait la rencontre d’Ingrid (Vicky Krieps), baroudeuse au charme magnétique. Mais, au fur et à mesure que Sofia s’émancipe, les vieilles rancœurs qui l’opposent à sa mère se ravivent.

Hot milk © photo Metropolitan Filmexport - Mubi - Hanway Films - Film4

Girls band

Du roman original à sa production, Hot Milk est une œuvre résolument féminine. Basé sur le livre de l’autrice Deborah Levy publié en 2016, le film est produit par deux femmes : Christine Langan et Kate Glover. Il est également réalisé par Rebecca Lenkiewicz qui signe son premier long-métrage avec déjà une belle carrière de scénariste dans ses bagages.

Rebecca Lenkiewicz a en effet notamment écrit pour Désobéissance (2017), Colette (2018) et She Said (2022), un retour sur les faits qui ont engendré la vague mondiale #MeToo. Cette histoire considérée comme déjà très cinématographique dans le roman par les productrices entremêle habilement rapport de domination maternel et quête de liberté. Le tout porté par un regard féminin qui épouse la vision de Sofia, incarnée par la jeune Emma Mackey, révélation de la série Sex Education (2019 – 2023).

Hot milk © photo Metropolitan Filmexport - Mubi - Hanway Films - Film4

Corps accord

Qui dit station balnéaire dit corps peu vêtus alanguis sur le sable. Ajoutez à cet environnement une relation lesbienne, voici deux excuses faciles pour une objectivation toute « naturelle » des corps, féminins évidemment. C’est sans compter sur la vigilance de la réalisatrice qui met un point d’honneur à ne pas voir ses personnages via un point de vue masculin. La représentation des corps est en effet « très loin d’Alerte à Malibu ! » pour reprendre les mots de la cinéaste.

À travers les yeux de Sofia, sa relation avec Ingrid est marquée par un female gaze où le désir de la jeune femme se suffit à lui-même, sans chercher l’approbation d’un tiers ou du spectateur. Exemple parmi d’autres de ce regard qui refuse l’interaction d’un point de vue extérieur : une scène dans laquelle Sofia fait soigner des brûlures de méduse sur son bras par un secouriste. Elle découvre lors d’un mouvement de caméra accompagnant son regard qu’un téton s’est échappé de son maillot. Amusée, elle remet le sein récalcitrant à sa place, sans que le point de vue potentiellement voyeur de l’homme qui la soigne ne soit montré.

Hot milk © photo Metropolitan Filmexport - Mubi - Hanway Films - Film4

De la même façon, Ingrid apparaît à l’écran en contre plongée alors que Sofia est allongée sur le sable. Éblouie par le soleil, elle aperçoit Ingrid à cheval qui s’approche d’elle. Centauresse moderne, l’inconnue domine Sofia, prémisse visuelle d’une relation d’admiration mais déjà symbole d’une émancipation fragile. Cette représentation du corps féminin sans érotisation forcée, malgré un environnement qui s’y prête volontiers, permet de se concentrer sur le ressenti de Sofia et ce désir qui fait écho à son besoin de s’échapper. Une envie d’autant plus forte que tout est immobile autour d’elle, à commencer évidemment par sa mère malade.

Sur place ou à emporter

La crainte de ce statu quo imposé plane sur Hot Milk. Plus qu’une peur, cette idée de faire du sur place est vécue comme la plus grande des tragédies par Sofia. Un concept évidemment incarné très concrètement à son corps défendant par Rose. Clouée sur son fauteuil roulant, elle est prête à débourser beaucoup d’argent pour que le docteur Gómez trouve la clé de cette étrange maladie dont elle arrive à s’échapper pour se lever une fois par an. Un miracle annuel qui évoque une cause psychosomatique que Rose refuse de l’admettre.

Hot milk © photo Metropolitan Filmexport - Mubi - Hanway Films - Film4

Victime collatérale de la maladie, Sofia souffre d’être l’aidante qui doit se dévouer aux besoins de sa mère, quitte à oublier les siens. Hot Milk est une quête de liberté troublée par les rapports ambigus entre la fille et sa mère. Car, au-delà de la dépendance liée au handicap, le relation mère-fille se révèle complexe avec des histoires de famille qui refont surface. Une raison de plus pour Sofia d’échapper à la pression ambiante dans les bras d’Ingrid, symbole d’une liberté qui n’a de comptes à rendre à personne.

Fausse route

Lors de la parution du livre Hot Milk en 2016, Deborah Levy a été comparée à Virginia Woolf. Une filiation qui relève la quête d’indépendance de l’autrice qui, dans la lignée de Woolf, plaide pour un lieu « à soi ». Loin de sa mère étouffante, c’est ce lieu fantasmé réconfortant que Sofia vient chercher dans les bras de la rafraîchissante Ingrid. Quel meilleur symbôle de liberté que cette femme à la bisexualité assumée surgie de nulle part ? Sofia s’accroche à Ingrid comme à une bouée de sauvetage censée l’emmener loin de ces flots familiaux tumultueux.

Hot milk © photo Metropolitan Filmexport - Mubi - Hanway Films - Film4

Mais, à l’instar des trains, une dépendance peut en cacher une autre. Cette désinvolture tant admirée chez Ingrid ne paraît plus si attirante à Sofia lorsqu’elle réalise qu’elle signifie accepter de partager Indrig avec ses autres amant.e.s. Un brin sadique, Hot Milk profite des limitations physiques et psychologiques de ses personnages pour faire miroiter une sortie de secours miraculeuse qui ressemble de plus près à une porte condamnée.

La conclusion déroutante du film est à l’image de cette émancipation contrariée. La réception de cette fin ouverte et troublante renvoie in fine le spectateur à sa propre relation avec sa mère. Une façon de mettre en lumière avec impertinence les sentiments contradictoires ressentis face à une histoire ou l’héritage familial s’impose comme incontournable, pour le meilleur et pour le pire.

> Hot Milk réalisé par Rebecca Lenkiewicz, Royaume-Uni, 2025 (1h32)

 

Hot Milk

Date de sortie
28 mai 2025
Durée
1h32
Réalisé par
Rebecca Lenkiewicz
Avec
Emma Mackey, Fiona Shaw, Vicky Krieps, Vincent Perez, Patsy Ferran
Pays
Royaume-Uni