Harry Potter voix double

Harry Potter voix double

Harry Potter voix double

Harry Potter voix double

Au cinéma le

Jenny Gérard est une institution dans le monde du doublage. Elle a signé la direction artistique de plus de 300 films dont Invictus et Gran Torino, les derniers Clint Eastwood. Les versions françaises de La liste de Schindler, Retour vers le futur ou, plus récemment, la saga Harry Potter, c'est aussi elle. Rencontre avec une femme discrète mais passionnée. En attendant le doublage du dernier Batman.

Quel est votre rôle sur un plateau d’enregistrement de doublage ?

Je suis en quelque sorte un chef d’orchestre. L’objectif est de réaliser la version française d’un film étranger, projeté sur grand écran sur lequel défile une bande avec les dialogues. Je dirige les comédiens que j’ai préalablement choisis. Je les guide lorsqu’ils jouent leur texte. Je veille à leur ton, leur prononciation, à l’interprétation mais aussi l’approche du personnage à qui ils prêtent leur voix. La plupart du temps, ils n’ont pas vu le film avant le doublage. Moi, j’ai visionné la version originale à deux ou trois reprises.

Vous collaborez surtout avec la Warner, une compagnie américaine. Etes-vous totalement libre dans votre manière de travailler ou vous impose-t-elle ses choix ?

Aujourd’hui, avec la Warner, j’ai la chance d’avoir une interlocutrice (Lori Rault, directrice technique, NDLR) avec qui je partage les mêmes idées. Elle me permet d’essayer de nouveaux comédiens, si besoin, elle ne m’impose pas forcément ceux de la production. Si je lui explique que j’ai un comédien que je vois bien dans un personnage précis, elle me fait confiance.
Cela n’a pas toujours été le cas. J’ai déjà travaillé avec une personne qui ne parlait pas français. Elle supervisait les versions européennes des films de Steven Spielberg. Elle surveillait tout, sans connaître le métier. C’était incroyable. Pendant quatorze ans, elle a imposé sa vision des choses. Aucune discussion n’était possible. Elle écoutait ce que j’appelle "la musique américaine" de la VO et voulait y coller "la musique française" des comédiens. Souvent, les superviseurs veulent une imitation dans le doublage pour retrouver l’intonation américaine. Alors que ça n’a rien à voir. L’accent tonique de l’anglais n’existe pas en français, mais comme les superviseurs ont les pleins pouvoirs… Je ne me cache pas pour affirmer qu’il était difficile de faire du bon travail !

Avez-vous gardé de mauvais souvenirs liés à ces différences de point de vue ?

J’ai en tête le film éducatif L’Histoire du chameau qui pleure, sorti en 2004, qui raconte la vie d’une famille nomade en Mongolie. Pour le doublage, mon client voulait des comédiens mongols pour garder la justesse du ton. Mais à Paris, difficile d’en trouver. J’ai eu l’idée d’aller à l’ambassade de Mongolie. A défaut de trouver des comédiens, j’ai choisi de faire jouer la femme, le fils et le secrétaire de l’ambassadeur. C’était extraordinaire. Mais le distributeur n’a pas souhaité garder ces voix et nous avons refait le doublage avec des acteurs français. C’est vrai, à certains moments, ils "parlaient faux", le ton n’était pas parfait. Mais il était authentique. Pour moi, ce n’était pas grave, l’émotion était là! Ce n’est pas un mauvais souvenir, mais une déception. J’ai trouvé ça tellement dommage.

 

Comment votre profession a-t-elle évolué ?

En vingt-cinq ans, les conditions de travail se sont dégradées. Nous devons aujourd’hui avoir terminé le doublage dans un délai très court. Il faut faire le même travail de qualité, en moins de temps. Quand j’ai débuté, nous avions le film en VO au moins un mois à l’avance. Nous avions le temps de faire le doublage tranquillement, de réfléchir, de choisir les comédiens plus sereinement. Aujourd’hui, il faut aller très vite. C’est très fatiguant et stressant. Il y a beaucoup de pression. Tout cela me désole. J’aimerais pouvoir soigner davantage certaines choses notamment le jeu des comédiens.
Tout se fait à la dernière minute, car il y a également la peur du piratage, surtout chez les distributeurs américains. Je travaille beaucoup avec la Warner et nous recevons les films au dernier moment pour éviter toute fuite. Certaines sociétés vont jusqu’à nous fournir des copies en mauvais état. Parfois, c’est monstrueux : on ne voit que les bouches des acteurs, et pas le cadre général. Pour faire le doublage ce n’est pas l’idéal…
J’ai été confrontée à la peur du piratage dès 1993, avec Jurassic Park. La compagnie américaine nous avait imposé un maître chien pour que la copie ne soit pas volée. Jour et nuit, le chien protégeait la bobine. C’était la première fois que je voyais ça.

Avez-vous changé de manière de travailler ?

Oui, complètement. Il a fallu s’adapter à ce rythme. J’ai eu de la chance d’avoir trois semaines quand j’ai enregistré le doublage du Titanic et quatre semaines pour le doublage de JFK. En moyenne, le doublage d’un film d’1h30, en dehors des grosses productions, dure cinq à six jours. Des films comme L’Etrange histoire de Benjamin Button, Harry Potter ou Zodiac, eux, demandent plutôt douze ou treize jours de travail.
C’est à nous de nous adapter : on nous fixe un délai, on ne doit pas le dépasser. Il faut donc travailler plus rapidement, mais veiller à ce que ça ne soit pas au détriment de la qualité. J’essaie donc de gagner du temps sur les choses plus faciles. Mais ce n’est pas à la première prise qu’on peut faire de la qualité. Heureusement, je travaille depuis dix ans avec Richard Badey, l’ingénieur du son, qui a un rôle très important dans le doublage. Nous sommes complémentaires, donc rapides et efficaces. On s’appuie l’un sur l’autre.

Qu’est-ce qu’une bonne version doublée ?

C’est simple : quand les spectateurs ne se rendent pas compte que le film est doublé (rire). Il faut de très bons dialogues, synchrones et fidèles à l’esprit des textes originaux, sans en être la traduction littérale. Une adaptation, en quelque sorte. Il faut également un casting soigné dans lequel les acteurs sont synchro et intériorisent leur personnage. Evidemment, ce n’est pas réalisable sans une bonne directrice artistique, un bon ingénieur son, un bon monteur : en somme, de techniciens compétents dans tous les domaines !
Par exemple, je trouve que la version française de la série Dr House est très bonne. La qualité du doublage est exceptionnelle. Ce n’est pas moi qui l’ai faite, je peux donc en parler sans réserve. C’est un beau travail, aussi bien pour l’adaptation des textes, que la direction artistique et les comédiens.

Qu’est-ce que vous recherchez en priorité chez un comédien qui fait du doublage ?

Les cours de théâtre sont la meilleure approche. Je recherche parmi ces comédiens, celui qui joue juste, qui a du talent. La jolie voix, on s’en moque un peu, ce n’est pas la priorité. Même s’il faut évidemment que la voix corresponde au personnage doublé. C’est le jeu avant la voix. Je passe beaucoup de temps avec les comédiens.
Je n’impose pas de méthodes de jeu à l’acteur. Il faut le laisser s’exprimer puis le guider pour le remettre dans le bon chemin par rapport à l’image. L’acteur doit être capable de jouer la comédie, d’être synchro, et aussi de s’oublier pour incarner l’acteur qui est à l’écran. Il faut être humble.
Je suis réputée pour avoir une bonne oreille et le sens de la comédie. J’écoute si le comédien est calme, gentil, doux, ou névrosé ! J’accorde beaucoup d’importance à leur nature, leur personnalité. Il faut aussi que celui qui double ait de la sensibilité. Je le vois dans sa manière de jouer et à sa façon de se comporter dans la vie. Un bon comédien dans un doublage, c’est aussi quelqu’un qui parle juste, qui sait articuler. C’est évident.
Par exemple, Le Royaume de Ga’Hoole a une bonne VF, avec de bons acteurs français. On n’a pas besoin de prendre des célébrités pour faire un bon doublage, même si c’est à la mode en ce moment.

Quels sont vos meilleurs souvenirs ?

Il y en a beaucoup ! Je me rappelle, par exemple, de la présence de John Frankenheimer, dans le studio d’enregistrement, pour Ronin, en 1998. Il parlait bien français, était très grand, et moi, j’étais morte de peur… Lorsqu’il a visionné une des scènes doublées, avec Jacques Frantz pour la voix de Robert De Niro, il m’a dit : "ça ne va pas, ça ne me plaît pas du tout". Je lui ai répondu que, s’il le voulait, on allait changer de comédien pour le doublage. Il m’a alors demandé d’envoyer une autre scène avec De Niro. Là, il a écouté un peu plus longuement. Il s’est retourné, avec sa carrure imposante, en me disant : "Je m’excuse, je me suis trompé. Il est très bien. Je suis content, je m’en vais. Je vous laisse faire, je vous fais confiance". Je me suis effondrée et mise à pleurer. Ce fut bref, mais intense.

Avec cette pression et des délais de plus en plus courts, après quarante ans de carrière, n’avez-vous pas envie de prendre du recul ?

Je ne peux pas. Tout simplement parce que j’adore mon métier, les comédiens et le contact que j’ai avec eux. Je le fais toujours avec autant de passion. J’aime le cinéma. Et même si les manières de travailler ont beaucoup changé, je n’imagine pas arrêter. Je n’y pense pas. Je prendrai ma retraite dans vingt ou trente ans. Je ne fais pas de complexe avec mon âge, je suis bien dans ma peau !

Vous avez réalisé le doublage de tous les épisodes d’Harry Potter. L’avant-dernier volet, Les Reliques de la mort, sort ces jours-ci. La dernière partie est programmée pour juillet 2011. Ensuite, ce sera terminé…
Potter [comme elle l’appelle] est un projet très important dans ma carrière. Tous les épisodes ont marché très fort. Nous venons de terminer, début novembre, la première partie du dernier épisode : ce fut encore une fois passionnant. Mais je sais déjà que je vais avoir de la peine quand nous allons terminer l’ultime doublage, l’année prochaine. Nous nous connaissons par cœur puisque, depuis 2001, ce sont les mêmes comédiens qui doublent. C’est une petite équipe, mais une équipe soudée. Nous avons partagé de grands moments de plaisir et de rire. J’étais un peu leur maîtresse d’école. Maîtresse à l’école des Sorciers, bien sûr !

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