Au fil de la narration d’Asia Argento, le documentaire Frida. Viva la vida dévoile la vie de Frida Khalo selon deux représentations aux frontières poreuses. D’un côté, l’artiste révolutionnaire, pionnière du féminisme contemporain; de l’autre, une femme victime d’un corps brisé et d’une relation tumultueuse avec le peintre Diego Rivera.
Pour tenter de percer le mystère de l’artiste, Frida. Viva la vida exhume de ses lettres, journaux intimes et confessions privées la parole de la peintre. Pour mettre en perspective ses archives personnelles, sa voix est associée à des entretiens de contemporains enrichis de documents inédits.
Au fil du voyage dans l’intimité de l’artiste, Giovanni Troilo dépeint une femme plus complexe que sa représentation devenue iconique, apanage des légendes qui a tendance à simplifier les paradoxe d’une vie.
Les deux Fridas
Sur son tableau Les Deux Fridas peint en 1939, Frida Khalo se représente en double, une Frida tenant la main de l’autre, unies par un vaisseau sanguin reliant leurs deux cœurs exposés. Il y aura donc deux Fridas. Le documentaire de Giovanni Troilo exploite cette représentation de l’artiste en mettant en avant deux facettes de l’artiste mexicaine devenue incontournable.
Cette dualité peut se résumer entre la figure de la femme révolutionnaire, éprise de liberté, et l’être humain dont le corps brisé lui rappelle cruellement sa finitude. En 1925, alors qu’elle n’a que 18 ans, la douleur s’invite brutalement dans la vie de Frida.
Victime d’un grave accident de tramway qui percute un bus dans lequel elle était, son abdomen et sa cavité pelvienne sont transpercés par une barre en fer. Sa colonne vertébrale brisée, elle doit être opérée. Frida commence à peindre durant sa longue convalescence, l’accident qui la révèle peintre aura des répercussions tout au long de sa vie.
Omniprésente, la douleur est au cœur de nombreuses des œuvres de l’artiste. Mais elle n’y est pas seule. Le documentaire démontre, œuvres à l’appui, que l’univers de Frida Khalo joue sur cette dualité douleur et plaisir. La mort y est présente au sein de la vie… Des antagonismes qui renvoient à la force d’une artiste libre malgré ses contraintes physiques.
Voix off and on
Pour nous guider à travers les méandres de la vie de Frida Khalo, Giovanni Troilo a fait appel à l’actrice et réalisatrice Asia Argento. Sa voix donne vie aux propres mots de Frida qui selon elle s’analysait beaucoup, notamment à travers ses autoportraits. Un courage que l’actrice salue.
Le documentaire livre ainsi sa lecture des messages intimes à extraire des ses œuvres pour mieux comprendre l’histoire de Frida Khalo, pleine de contradictions. Analytique, le documentaire laisse à distance l’émotion pour laisser libre l’interprétation.
Une retenue qui laisse une grande place aux œuvres mais peut paraître contradictoire avec le choix de faire apparaître Asia Argento à l’écran. En mettant en scène la voix off, Frida. Viva la vida trouble un peu la distance qu’il s’impose par ailleurs.
Reconstituer l’intimité
Une partie de l’œuvre de Frida Khalo est un accès direct à l’artiste, à condition de savoir l’interpréter. Comme elle le confiait : « Je me peins parce que je passe beaucoup de temps toute seule et parce que je suis le motif que je connais le mieux. » Il existe donc une multitude de Fridas à déchiffrer à travers ses différents tableaux.
Une quête que le documentaire mène en analysant la façon dont elle se mettait en scène. Mais il propose également ce qui touche à l’intime, des éléments extérieurs à l’œuvre pas ou peu vu. Cet aspect voyeuriste permet de plonger dans le quotidien de l’artiste.
Frida. Viva la vida montre ainsi pour la première fois des photographies et des objets appartenant à la peintre, soigneusement conservés dans les archives du Musée Frida Kahlo. Les clichés originaux de Graciela Iturbide qui a photographié la salle de bain de Frida en 2004, lieu symbolique de l’intimité, y sont notamment dévoilés.
Ces objets du passé, associés à des interviews d’experts et d’artistes, sont autant de pièces d’un puzzle que le documentaire invite à reconstituer. Au-delà de la curiosité pour ces nouveaux éléments, l’intérêt du documentaire est d’offrir, pour les adeptes de l’artiste comme pour les novices découvrant son œuvre, une vision nuancée de Frida Khalo.
Fascinante complexité
La caractère révolutionnaire de ses positions politiques, sa vie sexuelle, son œuvre… Frida Khalo était une femme libre, assurément. Ce caractère n’a pas manqué d’en faire un modèle féministe, rejoignant les icônes d’une lutte d’une actualité brûlante. Une vision qui est nuancée dans le documentaire par un témoignage rappelant la relation compliquée entre Frida et Diego Rivera, déjà peintre renommé lors de leur rencontre.
Les deux artistes entretenaient en effet une relation complexe dans laquelle Frida Khalo a longtemps été soumise. Artiste libre mais femme sous emprise amoureuse ? La réponse est probablement à l’image de l’œuvre léguée par l’artiste mexicaine : elle se cache dans les nuances, quelque part entre la lune et le soleil. Symboles d’une dualité qui fait toute la complexité et la richesse d’un individu.
Riches en documents et témoignages inédits, Frida. Viva la vida part en quête de la vérité d’une femme derrière l’artiste iconique. Si le documentaire de Giovanni Troilo ne fait pas de grande révélation, cette exploration de la vie de l’artiste guidée par Asia Argento a l’avantage de poser un regard nuancé sur cette artiste à la liberté flamboyante malgré une souffrance physique aliénante.
> Frida Viva la vida, réalisé par Giovanni Troilo, Italie, 2019 (1h30)