France-Soir : offline

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24 juillet 2012

France Soir, 100% numérique, c'est terminé. Le tribunal de commerce de Paris a annoncé lundi 23 juillet, en fin d'après-midi, la mise en liquidation du quotidien lancé en 1944 par Pierre Lazareff. Un titre emblématique de l'histoire de la presse française dont le tirage papier a été définitivement stoppé par son propriétaire Alexandre Pougatchev en décembre 2011. C'était la fin de 67 ans de présence en kiosque. Restaient les 49 salariés, dont 42 journalistes, chargés d'assurer la pérennité de France Soir, en ligne uniquement. Endetté, francesoir.fr n'aura pas survécu, aucune offre de reprise n'aura été retenue. Retour sur les grands moments qui ont fait l'histoire de ce titre. Un journal populaire qui a vendu plus d'un million d'exemplaires quotidiennement, pendant plus de quinze ans.


Cet article a été initialement publié le 16 décembre 2011 sous le titre, "France-Soir, papier chiffonné". 

 

8 novembre 1944 : Défense de la France devient France-Soir

Naissance du quotidien France-Soir. Le titre est lancé sur les fondations de la feuille clandestine issue de la Résistance, Défense de la France. Pierre Lazareff, qui a dirigé Paris-Soir, constitue son équipe et s’installe tranquillement à la tête du titre. Un mois après son lancement, France-Soir affiche un tirage de 264 000 exemplaires.
Mais Lazareff a besoin d’argent pour se donner les moyens de ses ambitions. Il se tourne alors vers la maison Hachette – qui rachète le journal – et il devient, dès 1949, le seul maître à bord. L’aventure du journal de "Pierrot les Bretelles" peut débuter.

 

3 juin 1953 : le million, le million !

Le 3 juin de cette année est une date symbolique dans l’histoire du quotidien installé au 100 rue Réaumur (IIe arrondissement). Pour la première fois, France-Soir franchit la barre du million d’exemplaires vendus. Et ce, grâce à la couverture d’un événement international : le couronnement d’Élisabeth II. Pour l’occasion, le quotidien n’a pas lésiné sur les moyens : Françoise Giroud et de nombreux envoyés spéciaux sont de l’autre côté de la Manche.
A partir de cette date, France-Soir ne descendra pas en dessous du million d’exemplaires… jusqu’en 1969 ! Et se permettra donc d’inscrire sur sa manchette « Le seul quotidien français vendant plus d’un million ».

 

1953 – 1969 : France-Soir n’a pas de rival en kiosque

A cette période, France-Soir, c’est le rouleau compresseur : jusqu’à huit éditions par jour, vingt bureaux à l’étranger, plus de 400 journalistes (parmi lesquels l’expérimenté Joseph Kessel et le plus jeune Philippe Labro, mais aussi Lucien Bodard et ses reportages sur l’Indochine). Pierre Lazareff a réussi à faire un savant mélange avec des reportages à l’international (avec ses grandes plumes), des scoops, des faits divers à gogo, des chroniques mondaines (les « Potins de la Commère » de Carmen Tessier), des courses hippiques, de la bande dessinée. Sans oublier d’accorder une place très importante à la photo… et aux titres accrocheurs. Allier proximité et réactivité face à l’actualité. Résultat ? Sans concurrent direct, France-Soir est le fleuron de la presse populaire.

 

Novembre 1970 : des records, mais déjà, le déclin

Le 11 novembre 1970, le quotidien de Pierre Lazareff titre sobrement « De Gaulle est mort ». Avec le décès du Général, France-Soir voit ses ventes exploser. Elles atteindront même le record du journal : 2,2 millions d’exemplaires ! (la mort de John Fitzgerald Kennedy, en novembre 1963, a aussi eu son petit effet, avec 2 millions d’exemplaires).
Ces chiffres étourdissants cachent pourtant la réalité des choses. France-Soir n’est plus aussi resplendissant que les années passées. Déjà, depuis décembre 1963, il subit l’arrivée de la Deuxième chaîne de télévision. Sans réellement lutter ni changer ses méthodes. Son créateur souffre d’un cancer, il est fatigué. France-Soir est tout autant éprouvé. L’information est désormais beaucoup plus présente à la télévision et à la radio. Le lectorat populaire se tourne peu à peu vers le poste. De nombreux journalistes quittent le navire et se dirigent vers la concurrence. En avril 1972, Pierre Lazareff s’éteint, mais son bébé avait déjà commencé à boire la tasse. Et ne s’en relèvera plus. 

 

Août 1976 : première cession, Hersant s’empare du journal

Depuis la mort de Pierre Lazareff, Henri Amouroux est aux commandes. En quatre ans, le titre a perdu 200 000 ventes. Hachette décide de se séparer de France-Soir et le vend en août 1976. Le quotidien vend alors 600 000 exemplaires. C’est Robert Hersant qui rachète le titre, via la Socpresse. Début de la descente aux enfers : chute de la diffusion, accumulation des dettes, pertes colossales. Le quotidien connaît des grèves à répétition, conséquence de l’écrémage lancé par Hersant. Entre 1973 et 1983, France-Soir perd 40 % de son lectorat (422 000 en 1979, 400 000 en 1983, 255 000 en 1989, 170 000 en 1996).
Les propriétaires vont se succéder, les directeurs de la direction aussi (Philippe Bouvard sera de la partie entre 1987 et 2003). Comme si on se refilait la patate chaude après avoir cru, un instant, pouvoir surfer sur la marque France-Soir et faire redémarrer le titre. Le lectorat, lui, continue à déserter. Ne comprenant ni les nouvelles formules qui s’accumulent, ni le ton inconstant et encore moins les lignes éditoriales successives.

 

 

21 décembre 2000 : vous avez bien une pièce d’un franc qui traîne ?

Peu avant Noël, France-Soir, en grande difficulté financière, est cédé pour un franc symbolique au groupe de presse italien Poligrafici Editoriale (115 000 exemplaires sont alors vendus). Il avait connu pareille situation, juste un an plus tôt, avec le rachat – pour la même somme – à la Socpresse de Georges Ghosn, sulfureux homme d’affaires.
Le groupe italien a de grandes ambitions, même si les pertes s’élèvent, à ce moment-là, à 3 millions de francs… par mois ! Les ressources publicitaires augmentent mais les ventes ne suivent pas. Patatra. France-Soir, qui a connu des ventes régulières à plus d’un million d’exemplaires, doit désormais se contenter de moins de 100 000.

2006 : le duo Brunois – Rey à la baguette (rigide)

En 2005, France-Soir est déclaré en cessation de paiement. Le journal évite la mise en liquidation et le tribunal de commerce Lille doit trancher parmi les repreneurs. La candidature de Vincent Lalu, propriétaire et directeur de La Vie du Rail, semble se dégager, avec un projet axé sur un journal payant le matin, couplé avec un gratuit le soir, pour une version actualisée. Faute de financement, Vincent Lalu se retire finalement de la course. Et c’est l’association du promoteur immobilier Jean-Pierre Brunois et du journaliste Olivier Rey qui s’empare de France-Soir, pour en faire « un tabloïd à la française ». Sauf que le projet initial des deux hommes prévoit de ne reprendre que 23 salariés sur les 118 d’alors. Les choses sont déjà mal engagées avec la rédaction… Les grèves se multiplient.
Les ventes se redressent pourtant un peu (40 000 exemplaires vendus en kiosque en octobre 2006) mais le titre vivote. Et passe même sous la barre des 25 000 exemplaires, trois ans plus tard ! Un naufrage ?

 

2009 : Alexandre, 25 ans, Russe, voudrait un siège sur les Champs-Élysées

Quand Alexandre Pougatchev débarque en janvier 2009, et devient propriétaire de France-Soir, il n’a même pas encore 25 ans. Dans ses poches ? 70 millions d’euros pour relancer le titre (ah oui, petite précision, c’est le fils de l’oligarque russe Sergueï Pougatchev). Pourquoi un tel attrait pour un journal moribond (22 722 exemplaires en 2009) ? La question reste aujourd’hui sans réponse. Quoi qu’il en soit, dès le mois de juin, France-Soir déménage et s’installe sur les Champs-Élysées. Est-ce vraiment ce qui manquait à un quotidien français luttant pour reconquérir ses lecteurs ?
Le nouveau propriétaire sort le (très) grand jeu un an plus tard, en mars 2010, à l’occasion du lancement d’une nouvelle formule. Et hop, une campagne publicitaire avoisinant les 10 millions d’euros. Inondation totale : stations de métro, gares, kiosques, affichages urbains, télévision. Tout y passe. J’oubliais l’essentiel : une soirée d’inauguration au Centre Georges-Pompidou. Et le recours à des chroniqueurs de premier plan : Patrick Poivre d’Arvor, Laurent Cabrol et même Thierry Roland. L’objectif de Pougatchev ? « Créer un quotidien populaire de qualité, un tabloïd populaire mais sérieux. »
Les ventes se redressent (60 000 exemplaires en juillet 2011), mais on est bien loin du chiffre avancé par Pougatchev lors de son arrivée (200 000).

 

13 décembre 2011 : rideau pour la version papier

Cette date résonne comme le clap de fin pour ce qui est de France-Soir sur papier. Déjà, dès mi-octobre, le jeune Pougatchev avait annoncé son intention de supprimer l’édition papier. Pour devenir un journal 100 % web. Et au passage, se débarrasser d’un bon paquet de journalistes, son projet prévoyant une rédaction composée de 32 journalistes (soit 89 suppressions de postes sur 127 salariés) ! Le basculement vers le tout-numérique devait avoir lieu le jeudi 15 décembre. Oui mais voilà, mardi 13, tout s’accélère avec l’occupation des locaux par des militants de la CGT (qui souhaitaient empêcher la tenue du comité d’entreprise). Conséquence directe, le journal ne pourra pas paraître le lendemain. Dans la foulée, la direction (comprenez Pougatchev) considère que « les conditions ne sont pas réunies pour réaliser sereinement, aujourd’hui [mercredi], une édition papier de qualité, dans les conditions éditoriales requises ». Expéditif.
Les salariés ne verront donc même pas de numéro collector daté du 15 décembre 2011, le dernier, avant l’ère du numérique. France-Soir version papier s’arrête donc après 67 ans d’existence et 20 911 numéros.

 

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