Coller, voici ce qui l’anime depuis des années ! Franck Duval est un artiste collagiste. Son nom de scène : FKDL, premières et dernières lettres de ses prénoms et noms. Une carrière atypique pour cet artiste urbain – mais pas que – qui n’a connu la rue qu’en 2006. Depuis cinq ans, ce Parisien pure souche de 48 ans colle des œuvres sur les murs de la ville : Paris, Barcelone, New York, etc. Un fond coloré, les nappes en papier des restaurants, une silhouette noire, dessinée à la peinture et une collection de vêtements, à chaque fois différents, pour habiller ses personnages. Les vêtements sont constitués de coupures de vieux magazines et revues. « C’est un collage dans le collage. Mon travail contient deux niveaux de lecture. Le personnage d’abord et, pour celui qui s’approche, les photos et lignes de texte choisis pour les vêtements. » A la manière d’une mise en abîme. Dans sa galerie, s’égaille une trentaine de résidents qui constitue « une famille ». Franck Duval a le souci du détail et choisit le papier avec soin.
Plus qu’un collectionneur, c’est un accumulateur des revues des années 20 à 70, et ce, depuis son adolescence. Il n’utilise qu’elles et voit la photocopie et la reproduction d’un œil mauvais. FKDL offre une seconde vie à ces papiers fatigués. « Pour moi, c’est un moyen de les recycler et aussi de faire perdurer ces iconographies. »
D’ailleurs, il a bien failli habiller les femmes de chair et de sang. A 19 ans, passionné de dessin, le bac en poche, il débute une école de dessin de mode. « Je ne savais pas quoi faire d’autre et j’avais toujours dessiné ». S’il rencontre le succès auprès des filles de sa promo, force est de constater que ses dessins surannés jurent avec la mode décomplexée des années 80. Changement de cap, le jeune Duval intègre alors l’école de cirque Annie Fratellini, où il restera durant quasiment deux ans. On retrouve également l’univers circassien dans son travail. Ses silhouettes sont toutes des corps en mouvements, captés dans l’impulsion et la mobilité, très aériennes, et parfois bâtis dans le roc.
Un voleur de couleur
Coller dans la rue est une véritable drogue pour lui. « Il ne se passe pas une semaine sans que je colle. C’est une passion, une liberté. Je décide de ce que je colle et où je le colle. » Comment se fait-il que cet artiste, qui a d’abord travaillé l’acrylique, se retrouve aujourd’hui dans la rue, la besace pleine d’affiches, prêtes à être collées ? Il faut remonter à l’année 2000 pour comprendre. Un jour, tout à fait par hasard, alors qu’il s’intéresse de près au collage traditionnel, il découvre la « technique de collage au ruban adhésif transparent ». Au Scotch ? C’est bien ça, mais c’est une marque déposée. La pratique est également appelée « l’art scotch ». La méthode : ouvrir une revue, choisir le morceau, coller l’adhésif et l’arracher. Réitérer l’action. « Je peins avec du papier maintenant. Une palette infinie de couleurs, de matières, de formes et de textes. Je suis un voleur de couleur avec mes collages et arrachages de scotch ! » Il dépose sa marque, FKDL, et la technique à l’INPI, l’Institut national de la propriété intellectuelle, mais insiste sur un point : « Je n’en suis pas l’inventeur. C’est Gil Joseph Wolman qui a été le premier à pratiquer l’art scotch ».
En 2005 se tient sa première exposition consacrée au ruban adhésif. S’en suivent des expositions collectives. Avec son scotch, Franck Duval est associé aux pochoiristes, collagistes, les Miss.tic, Mosko et Mesnager… Des artistes urbains qui ont commencé dans la rue, parce qu’il faut bien montrer ses œuvres quelque part. L’énergie de la ville, libre, sauvage, épidermique l’attrape et l’agrippe. Lui aussi veut y goûter. Il n’est pas habitué. Ses premiers collages sont timides et hésitants, mais il prend rapidement ses marques sur le bitume et son travail est reconnu par les célèbres habitués du plein air. « Maintenant, je me sens dans mon élément. Je colle en pleine journée pour prendre ma photo. Je suis aussi à l’aise que si je mangeais un sandwich, sauf que je colle. »
Partage et transmission
Mode, cirque, artiste peintre qui découvre tardivement les joies de la rue. Quoi d’autre ? Comédien ! Durant plusieurs années, il tourne dans des pubs, des clips. Il ne fait pas « carrière ». « Je n’étais pas assez égocentrique pour ce milieu. » Et il a choisi d’avoir des enfants, trois, aujourd’hui âgés de 18 à 24 ans. Un homme, un père, qui s’est essayé à beaucoup d’activités. L’une d’elle ne l’a, par contre, jamais lâché : la création artistique. Pourtant, rien ne l’y prédestinait, pas d’artiste dans la famille, ni de parents qui rêvaient de peinture pour leur gamin.
Quatre lettres dans un cercle : FKDL. Depuis 2009, la griffe est accompagnée sur les murs d’un flashcode qui emmène vers ses œuvres numérisées. Nouvelle technologie et vieux papiers cohabitent parce que Franck Duval n’aime pas les cloisons. Et pourtant, il n’emmène pas, ou très peu, son art-scotch dans la rue. « C’est mon bébé. Pour moi il est plus intimiste et je préfère le garder pour le partage, la transmission. » Des valeurs très importantes pour lui, qui lâche : « J’en ai marre de cette société où tout le monde est égoïste, planqué derrière des écrans ». On apprend alors qu’avec son ruban adhésif, il fait des interventions dans les écoles, auprès des personnes âgées et de SDF. Il explique la méthode et démontre par l’exemple, comme il l’a fait en nous dédicaçant son bouquin, FKDL Figures, paru en 2008. C’est un enfoiré des restos du cœur, un type sympa et généreux qui parle en agitant les mains.
Installé au siège parisien de la société Upian, propriétaire de la galerie Since, il a balisé le quartier autour de son atelier. Il nous emmène à la découverte de ses silhouettes, bien en vue sur les murs du Xe arrondissement, ou cachées derrière des barricades. Tout ou long du parcours, il raconte combien il aime la ville.
FKDL participe actuellement à une opération caritative pour la construction d’une école de brousse et expose jusqu’au 31 mars à la New Heart City Gallery.
FKDL, Franck Duval, coll. Opus Délits, Critères éditions, 2010.