Si son nom est moins connu du grand public que celui de son compère Hayao Miyazaki avec qui il a créé le Studio Ghibli, Isao Takahata, décédé en 2018, est un pilier incontournable du dessin animé contemporain. Avec cette première exposition entièrement consacrée au maître en France, la Maison de la culture du Japon à Paris propose une excursion dans cette œuvre exigeante et poétique dont le dernier film confirme son aspect profondément novateur. Un hommage célébrant un regard humaniste, porté par un sens du récit inné, à travers les archives d’une vie très animée à jamais gravés dans nos mémoires de cinéphiles.
Débuts en séries
Né en 1935 dans le département de Mie, Isao Takahata sort diplômé du département de littérature française de l’université de Tôkyô en 1959. La même année, il entre chez Tôei Animation pour devenir réalisateur de dessin animé. Il réalise ses premiers pas de mise en scène avec la série télévisée Ken l’enfant-loup (1963-1965). En 1968, il réalise son premier long métrage destiné aux salles de cinéma : La Grande aventure de Hols, prince du Soleil, distribué en France sous le titre Horus, prince du Soleil. Au générique, Hayao Miyazaki, son futur allié de Ghibli, joue le rôle d’animateur-clé et réalise la conception scénique pour ce film qui marque un temps fort de l’animation japonaise.
L’exposition revient sur ce baptême du feu pour Isao Takahata à travers de nombreux documents de production qui dévoilent sa méthode pour travailler en équipe et sa capacité à construire un univers narratif complexe. Après cette première expérience de long métrage, le cinéaste quitte Tôei Animation pour rejoindre le studio A Production en 1971. Une nouvelle période s’ouvre dans sa vie avec un retour à la réalisation de séries télévisées dont l’exposition dévoile les coulisses à travers storyboards, layouts et décors.
En 1974, Isao Takahata réalise les 52 épisodes de Heidi, série adaptée du classique de la littérature jeunesse dont Hayao Miyazaki assure le layout (la composition du cadre). Ce « système du layout » conçu par Takahata marque un tournant car il permet de refléter efficacement les intentions de mise en scène à l’image finale. Il a eu une influence majeure sur la manière de produire les dessins animés. Pour dépeindre de manière réaliste les décors de la jeune Heidi dont l’action se déroule dans les Alpes suisses et à Francfort, une partie de l’équipe est allée faire des repérages sur place, une première pour un dessin animé diffusé à la télévision. Suivront Marco (1976) et Anne la maison aux pignons verts (1979), deux séries elles aussi basées sur des romans pour enfants.
Acte fondateur
En 1981, Isao Takahata réalise le long métrage Kié la petite peste puis le moins connu Gauche le violoncelliste l’année suivante. En 1984, Nausicaä de la Vallée du Vent de Miyazaki sort en salles avec Takahata à la production. L’année suivante, il fonde avec Hayao Miyazaki et Toshio Suzuki le célèbre Studio Ghibli et se spécialise dans des films qui explorent l’histoire contemporaine au Japon et interrogent la tradition et la mémoire collective de l’archipel.
Œuvre la plus connue du cinéaste, et résolument l’une des plus émouvantes de l’histoire de l’animation, Le Tombeau des lucioles (1988), adaptation de la nouvelle éponyme d’Akiyuki Nosaka, relate le destin tragique de Seita et Setsuko, un jeune garçon et sa petite sœur, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Un film historique mais qui termine en lien avec notre monde contemporain, les deux fantômes des enfants contemplant notre monde actuel.
Après Souvenirs, goutte à goutte (1991), le cinéaste réalise Pompoko (1994), une œuvre où des tanuki (sorte de raton-laveurs) espiègles tentent de sauver leur habitat dans la banlieue de Tôkyô. Une façon pour Takahata d’explorer le satoyama, ces zones tampons entre la nature sauvage et l’habitat humain, ici conflictuelles. De nombreux dessins préparatoires permettent d’explorer l’esprit frondeur et malicieux de ces animaux qui maîtrisent l’art de la métamorphose pour tenter de déloger les humains destructeurs.
L’expérimentation à coups de crayon
La dernière partie de l’exposition est consacrée à l’expérimentation de Takahata qui s’exprime dès 1999 avec Mes Voisins les Yamada. Adapté de la série de strips en quatre cases du même nom de Hisaichi Ishii, le film dépeint sous la forme d’un long métrage le quotidien simple et ordinaire des Yamada. Si le sujet, traité avec humour, est banal, sa mise en images l’est beaucoup moins. Takahata souhaite en effet préserver le trait propre au manga original. Le dessin aux tracés simples est mis en couleur à l’aquarelle, en évitant de peindre les décors dans les moindres détails. Le rendu n’est pas obtenu sur cellulo mais grâce à une colorisation informatique.
Cette approche innovante et minimaliste tourne le dos au réalisme croissant pour laisser toute sa place à l’imagination du spectateur. Son ultime chef-d’œuvre, Le conte de la princesse Kaguya (2013) – lire notre critique – reprend cette logique avec une animation qui semble composée de croquis dessinés à la main sous nos yeux. Le projet inspiré des emakimono, anciens rouleaux peints, a connu une gestation de huit ans et adapte à l’écran le plus ancien texte littéraire japonais, Le Conte du coupeur de bambous.
Un dernier opus dans l’œuvre du maître qui démontre une utilisation étonnante et magistrale de la technologie numérique pour représenter un dessin proche de l’aquarelle aux traits de crayon d’une grande vivacité. Un ultime coup de maître pour un pionnier qui aura su marier à la perfection modernité et tradition, les deux souffles qui animent l’ensemble de son œuvre.
En complément de l’exposition, la Maison du Japon à Paris propose une rétrospective Isao Takahata du mardi 21 au vendredi 31 octobre 2025, puis du mardi 3 au samedi 7 février 2026. L’occasion de voir sur grand écran tous ses longs-métrages, des épisodes de séries télévisées et des documentaires, dont des œuvres inédites en France.
L’exposition continuera ensuite sa route pour être présentée au mudac – Musée cantonal de design et d’arts appliqués contemporains de Lausanne du 24 avril au 27 septembre 2026.
Infos pratiques :
Exposition Isao Takahata – Pionnier du dessin animé contemporain, de l’après-guerre au Studio Ghibli
Du 15 octobre 2025 au 24 janvier 2026
Maison de la culture du Japon à Paris
101 bis Quai Jacques Chirac
75015 Paris
Plein tarif : 15 €
Tarif réduit : 7 €
Horaires
Du mardi au samedi : 11h-19h














