Le conte de la princesse Kaguya est basé sur le Conte du Coupeur de Bambou, une légende folklorique japonaise datant du Xe siècle considérée comme le plus vieux texte narratif japonais. Ce récit met en scène Kaguya, une enfant de la taille d’un pouce, découverte dans la tige d’un bambou étrangement brillant par un vieil homme nommé Taketori. Adopté par ce coupeur de bambous et sa femme, l’être surnaturel grandit très rapidement pour devenir une magnifique femme.
Peu après, Taketori trouve dans d’autres bambous des vêtements luxueux et une grande quantité d’or. Le couple y voit le signe que l’être qu’ils ont recueilli est une princesse, ils décident d’utiliser cet argent pour quitter la montagne et s’installer avec Kaguya dans un palais en ville.
Mais la jeune femme a bien du mal à s’habituer aux règles qui régissent la vie d’une princesse et se méfie des riches prétendants attirés par sa beauté, qu’elle ne cesse de repousser. Ce rejet des obligations qui lui incombent prend tout son sens quand Kaguya révèle le mystère de son origine, causant stupéfaction et désarroi dans son entourage.
Un conte surnaturel réaliste
La vie est parfois injuste. Ainsi quand le mythique studio Ghibli est évoqué, le nom du génial et prolifique Hayao Miyazaki est sur toutes les lèvres au point d’éclipser l’autre co-fondateur du studio, Isao Takahata. Celui-ci a pourtant fait preuve de ses grands talents de réalisateur au sein du studio avec Le Tombeau des Lucioles (1988), sublime adaptation du roman d’Akiyuki Nosaka, sa fable écologique Pompoko (1994) ou encore le récit de la vie d’une famille déjantée dans Mes Voisins les Yamada (1999).
Pour ce nouveau long métrage, après une pause de quatorze ans, Isao Takahata adapte un mythe connu de tous au Japon mais très original pour le public occidental tant l’intrigue diffère du schéma narratif classique de nos contes, notamment par son dénouement. Très attaché au réalisme, le réalisateur raconte le destin de Kaguya comme celui d’une femme banale, en opposition avec l’aspect surnaturel du récit.
Une fois passée sa croissance exceptionnellement rapide, la princesse est dépeinte comme une jeune femme se battant contre les codes imposés par la société et la volonté de ses parents adoptifs qui pensent sincèrement agir pour son bonheur. Cette mise à l’écart du fantastique ne rend que plus saisissant le combat de Kaguya pour trouver sa place dans ce monde : une aventure pleine d’humour mais également très touchante.
Un dessin immédiat
Isao Takahata prouve une nouvelle fois qu’il change de style graphique selon ses projets. Pour ce nouveau film, l’auteur propose un style magnifique proche de l’esquisse qui rappelle les rouleaux traditionnels, en rupture totale avec le souci du détail habituel dans l’animation japonaise. L’objectif était d’atteindre « l’immédiateté du trait » selon le terme de l’auteur, un pari réussi tant le dessin semble être tracé sous nos yeux.
S’inspirant notamment du peintre Cézanne, cette animation minimaliste se concentre sur l’action et les personnages : de grands espaces vierges d’une blancheur immaculée occupent ainsi régulièrement toute une zone de l’écran, une technique audacieuse déjà utilisée par le réalisateur dans des séquences de son film Souvenirs, goutte à goutte (1991).
Le style adopté par Takahata fascine par la simplicité et la beauté du trait, notamment lors de séquences oniriques – comme celle de la fuite nocturne de Kugaya, seule sous la lune – où le dessin s’étire et se déforme pour devenir quasiment abstrait sans jamais perdre sa force évocatrice.
Avec cette adaptation de la légende de la princesse Kaguya, Isao Takahata signe un chef-d’œuvre délicat, en parfait équilibre entre humour et émotion, surnaturel et réalisme. Une œuvre forte dont la beauté des images et l’étonnante conclusion restent gravées à l’esprit, pour longtemps.
> Le conte de la princesse Kaguya (Kaguya-hime no monogatari), réalisé par Isao Takahata, Japon, 2013 (2h17)