Technicienne roadie spécialiste de la guitare, Beth (Lily Sullivan) n’a pas vu sa grande sœur Ellie (Alyssa Sutherland) depuis longtemps. Elle profite de son passage à Los Angeles pour lui rendre une visite impromptue et découvre qu’elle élève désormais seule ses trois enfants : Bridget (Gabrielle Echols), Danny (Morgan Davies) et Kassie (Nell Fisher). Mais Beth ne va pas profiter longtemps des retrouvailles familiales.
Lorsqu’un tremblement de terre secoue violemment l’immeuble voué à une démolition imminente, les enfants découvrent un étrange livre dans son sous-sol. Difficile d’imaginer que prononcer les mots qu’il contient libère des démons qui prennent possession des vivants. Et pourtant… La nuit s’annonce éprouvante et particulièrement sanglante pour la petite famille.
Rise from the Evil Dead
En quatre décennies, la franchise Evil Dead a vécu plusieurs vies, semant dans son sillon drôlement gore une quantité impressionnante d’êtres possédés. À commencer évidemment par la trilogie originelle de 1981 à 1992, portée à bout de bras, dont l’un parfois garni d’une tronçonneuse, par l’infatigable Bruce Campbell. En 2013, Evil Dead tente un remake du premier opus, visuellement efficace mais sans surprise. Comme très souvent lors d’un remake, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un film culte, le supplément d’âme est absent et le film n’a rien de mémorable.
Beaucoup plus réjouissante, la série Ash vs Evil Dead (2015-2018) renoue avec la farce sanglante et offre à Bruce Campbell, bien obligé d’y retourner malgré le temps qui passe, un retour fracassant et particulièrement jouissif. Sorti en 1981 aux États-Unis, le premier Evil Dead n’a été projeté en France qu’au cours de l’été 1983. C’est donc près de 40 ans après que ce nouvel opus de la saga tente de relancer la franchise aux nombreux fans. La pression – sanguine – est au max.
Ce nouvel opus de la franchise, Sam Raimi, réalisateur des trois premiers films, l’envisage depuis 2018. Associé avec le fidèle Bruce Campbell en tant que producteur exécutif et le non moins incontournable producteur Rob Tapert, Sam Raimi s’apprête à faire ressurgir les morts du lugubre Necronomicon. Mais, cette fois-ci, les codes de la licence doivent basculer dans un environnement totalement différent. Une tâche confiée au réalisateur irlandais Lee Cronin, un adepte de la saga qui n’a jamais caché son envie de faire un jour partie de l’univers Evil Dead.
Ramener la découpe à la maison
Lee Cronin s’est fait remarquer dans le domaine de l’horreur avec The Hole in the Ground (2019) sorti en France sous le nom de The Only Child en 2021. Toujours ce mystère des titres de films traduits… en anglais pour leur sortie en France ! Dans ce film visuellement maîtrisé à l’ambiance pesante, une mère célibataire se demande si son fils n’a pas été remplacé par une autre entité. Une thématique de la maternité en proie au doute bien menée mais qui souffre de la comparaison avec le saisissant Mister Babadook sorti cinq ans plus tôt.
C’est en revenant de Sundance en 2019 où il a présenté son film que Lee Cronin est contacté par Sam Raimi qui lui demande de proposer sa vision d’un nouvel opus pour la franchise. Premier virage par rapport au canon de la saga, les démons libérés par le livre maudit débarquent dans un appartement de Los Angeles. Oubliée la petite cabane au fond des bois, Evil Dead Rise est résolument urbain. Les couloirs de l’appartement délabré occupé par Ellie et sa progéniture remplacent habilement les rangées d’arbres d’une forêt menaçante.
Voué à être démoli d’ici un mois, l’immeuble donne le ton d’un environnement en pleine déliquescence. Il annonce l’horreur qui va surgir au sein de cette famille qui traverse une période de transition et de doute. Pour Ellie et ses enfants, un déménagement à la destination encore incertaine, pour Beth un changement radical dans sa vie. Encore faut-il pour cela survivre à la violence surnaturelle qui s’apprête à se déchaîner.
Mamma mia
Autre chamboulement, la présence de personnages féminins avec les deux sœurs Beth et Ellie qui viennent contrebalancer l’ambiance très masculine de la saga. Pour le meilleur et surtout pour le pire, Evil Dead Rise est aussi une histoire familiale. Les sœurs qui ont emprunté des trajectoires de vie très différentes se retrouvent autour de la notion de la maternité ici bien malmenée.
À l’instar de The Hole in the Ground, Lee Cronin interroge le statut de mère célibataire. De la mère aimante et protectrice à celle qui devient maltraitante pour cause de possession démoniaque, le grand écart entre les deux facettes de la figure maternelle est total. Il plane également au-dessus du film le doute face à la réalité du fameux instinct maternel.
Cet aspect psychologique est toutefois expédié assez rapidement et sans trop de nuances. Il faut reconnaître que l’ambiance apocalyptique propre au retour à la vie de corps possédés n’est pas propice à une séance de confidences freudiennes tranquillement installé sur un canapé. Et, admettons le, ce n’est de toute façon pas vraiment ce que l’on attend d’un film de la franchise. Ce sous-texte permet cependant de donner l’épaisseur nécessaire aux personnages pour que l’on frissonne devant leurs déboires trash.
Gore enfantin
Et, sur ce point, la mécanique du gore fonctionne parfaitement grâce à un casting attachant que l’on observe se faire démembrer avec un sentiment mêlé de regret et de frisson. La possession de la mère Ellie, Alyssa Sutherland parfaite en démone flippante, crée ce rapport ambigu avec ses enfants qui espèrent évidemment que maman démone puisse être soignée. De son côté, Beth endosse le rôle de mère de substitution et se révèle du mieux qu’elle le peut dans le chaos ambiant.
La présence d’enfants pris dans la tourmente démoniaque est la nouveauté et l’une des réussites de ce nouvel opus. Evil Dead Rise met en scène avec une certaine gourmandise ces enfants « deadites », comprendre pour les non initiés des enfants possédés par des démons parasites. Et ceux-ci ne sont pas ménagés par rapport à leurs aînés. Marque de fabrique de la franchise, le gore assumé des scènes se retrouve amplifié par la jeunesse des victimes possédées et la thématique d’une famille qui se déchire – littéralement.
Les enfants de cette famille sont particulièrement attachants. Bridget est une militante révoltée aux combats multiples, Danny mixe dans sa chambre un morceau live de LCD Soundsystem sur vinyle – les fans du groupe apprécieront – et la cadette Kassie décapite l’une de ses poupées, signe annonciateur du chaos à venir. Nell Fisher qui l’incarne et dont c’est le premier rôle au cinéma est d’ailleurs l’adorable surprise du film. Mais tout cela est évidemment voué à partir en vrille.
Basic instincts
À force d’élargir la franchise, pas toujours évident de s’y retrouver. Si le film de 2013 est un remake – certains parlent plutôt de requel, où se situe Evil Dead Rise dans la chronologie de la saga ? Le terme « rise » peut donner l’impression qu’il s’agit d’un préquel expliquant comment le Necronomicon a été découvert avant les horreurs du premier film. Mais la modernité de l’environnement ne colle pas. Bruce Campbell livre une explication dans une interview pour Collider – article en anglais.
Comme le révèle L’armée des ténèbres – Evil Dead III (1992), le Livre des Morts existe en trois exemplaires. Cela permet d’imaginer que des curieux puissent vivre l’expérience malheureuse de sa découverte sans trop chercher de logique dans la continuité temporelle et géographique entre les films. Une sorte de multivers horrifique bien pratique. Relocalisé en milieu urbain, Evil Dead Rise n’est donc pas un préquel. Il s’autorise toutefois de multiples clins d’œil à la saga, notamment à la trilogie d’origine.
Ainsi l’introduction plutôt maline rend hommage avec dérision au célèbre plan d’une force démoniaque parcourant une lugubre forêt. Source de tous les malheurs, le Necronomicon rédigé avec du sang est évidemment présent avec un aspect repensé. Dans l’esprit de ses créateurs, il a été fait à partir d’une victime frappée par la foudre et sa reliure effrayante est en peau séchée de chat momifié. Tout un programme ! La célèbre tronçonneuse emblématique de la saga fait également une apparition remarquée.
No fun
Un aspect de la trilogie d’origine et de la série est cependant absent de ce nouvel opus : l’état d’esprit loufoque qui accompagne Ash joué par Bruce Campbell dans son combat contre le mal absolu. À l’instar du remake de 2013, Evil Dead Rise prend en effet l’horreur très au sérieux. Si de rares répliques peuvent provoquer un sourire complice, le film éprouvant inspire plutôt les rires nerveux devant le gore assumé.
Viscères, membres arrachés et autres scènes malaisantes, Lee Cronin n’est pas là pour amuser la galerie mais bien pour terrifier l’audience. Objectif atteint avec l’aide d’effets visuels très convaincants et de nombreux litres de sang. Au total, 6 500 litres de sang (à priori du faux) ont été nécessaires lors du tournage. De quoi se permettre un clin d’œil cinéphile au Shining (1980) de Stanley Kubrick au passage.
Certains adeptes de la franchise vont peut-être regretter l’absence du décalage loufoque habituellement présent dans les films mettant en scène Ash. Mais il faut reconnaître à ce nouvel opus son efficacité horrifique. D’ailleurs, le côté divertissant de la saga est-il possible sans le personnage de Ash ? Un opus qui se risquerait à recréer cette ambiance sans le personnage culte ne déclencherait-il pas l’ire de fans déçus ?
Reprenant très sérieusement les basiques sanguinolents de la saga, Evil Dead Rise s’impose comme une bonne surprise au gore décomplexé et parfaitement incarné – ou plutôt possédé. Selon le studio, le film initialement destiné à une plateforme sort en salle grâce à l’enthousiasme du public lors d’une projection test. Une raison supplémentaire pour découvrir ce nouveau chapitre dans l’obscurité d’une salle de cinéma. En famille ou non.
> Evil Dead Rise, réalisé par Lee Cronin, Nouvelle-Zélande – États-Unis – Irlande, 2023 (1h37)