« On est sorti des ponchos péruviens »

« On est sorti des ponchos péruviens »

« On est sorti des ponchos péruviens »

« On est sorti des ponchos péruviens »

2 septembre 2011

La huitième édition de l'Ethical Fashion Show a ouvert ses portes jeudi au carrousel du Louvre. L'occasion de faire le point sur ce que sont, aujourd'hui, les enjeux de la mode éthique. Entretien avec Régine Tandavarayen, codirectrice du salon et fondatrice en 2010 de l'Ethical Trade Place.

Le 1er septembre s’est ouvert, au carrousel du Louvre, la huitième édition de l’Ethical Fashion Show, le salon de la mode éthique à Paris. Elle fait parler d’elle au début des années 2000 et est aujourd’hui une tendance durable. En témoigne la belle santé de l’Ethical Fashion Show. Une centaine de créateurs venus de tous les continents pour montrer leur travail aux professionnels de la filière, mais aussi au grand public. Il est en effet invité dimanche à pousser les portes du salon.
Citazine a voulu connaître les enjeux actuels de cette mode qui se veut responsable, pour les créateurs, les distributeurs, les consommateurs, les acteurs de la filière. Régine Tandavarayen, codirectrice du salon et fondatrice en 2010 de l’Ethical Trade Place, répond à nos questions.

Pouvez-vous nous donner une définition de la mode éthique ?

C’est une mode qui a du sens et qui existe en faveur du développement. Elle s’investit à la fois dans la protection de l’homme et de l’environnement. C’est également une mode qui contribue à valoriser des savoir-faire locaux traditionnels. Elle travaille avec des ateliers de réinsertion, des coopératives. Les créateurs officient soit dans des matières de recyclage, soit dans des matières naturelles ou biologiques.

Existe-t-il des règles précises pour être ou non estampillé "créateur de mode éthique" ?

Il n’existe pas de normes strictes. Depuis huit ans que nous organisons ce salon, nous avons mis en place un questionnaire que doit remplir chaque créateur souhaitant y exposer. Il doit nous expliquer en quoi il est éthique, d’un point de vue environnemental et social. A partir de ce questionnaire, nous avons créé des pictogrammes qui regroupent tous les aspects de la mode éthique : commerce équitable, utilisation de matière recyclée, naturelle, biologique, l’implication dans les programmes sociaux, la valorisation des savoir-faire, etc. Grâce à cette schématisation, distributeurs et consommateurs s’y retrouvent.

« La mode éthique, c’est d’abord de la mode »

Qu’est-ce qui peut vous empêcher d’accepter un créateur candidat à une participation à l’Ethical Fashion Show ?

On n’attend évidemment pas que tout le monde soit parfait sinon on ne ferait pas grand-chose. Par contre, on attend beaucoup au travers de ce questionnaire. Celui-ci demande un vrai effort de réflexion, il faut prendre le temps de le remplir avec sérieux et engagement. Il est impératif qu’il soit réellement et sincèrement investi dans la démarche. On ne leur demande pas obligatoirement d’utiliser des matières certifiées ou d’être eux-mêmes certifiées. On sait que ça coûte cher et pour les jeunes, c’est un investissement qu’ils ne peuvent pas tout de suite se payer. Mais ils commencent à utiliser des matières naturelles, recyclées. Et il faut, à travers le cheminement de leur création, qu’on sente qu’ils donnent un sens à leur démarche créative. L’aspect mode est évidemment très important. Parce que la mode éthique, c’est d’abord de la mode. On a vraiment à cœur de le montrer. On est sorti du macramé, des ponchos péruviens, etc. La mode éthique, c’est aussi du prêt-à-porter, des choses qu’on peut toutes et tous porter. Ce n’est pas de la mode ethnique, on les mélange encore trop souvent. On veut des gens de mode, qui créent, qui ont un vrai style et qui, en plus, le font avec du sens.

Au début, on était surtout dans des gammes sportswear. Est-ce qu’aujourd’hui les créateurs se tournent davantage vers le haut de gamme ?

On arrive à monter en gamme. Ces dernières années, ça s’est beaucoup élargi. Et puisque notre démarche est internationale, on accueille des créateurs européens, africains, indiens, américains, asiatiques. On jouit d’une mixité dans les créations grâce à laquelle on parvient à monter en gamme. On a des pièces très streetwear, du prêt-à-porter et des choses plus coutures, nettement plus créatives.

Le salon se tient à Paris. Sentez-vous la ville réceptive à la mode éthique ?
Paris est une ville réceptive à cette mode parce qu’historiquement, elle est la capitale de la Mode. Mais cela reste un marché émergent qui nécessite beaucoup d’informations, d’explications. Côté distributeurs, il nous reste encore à convaincre, à faire découvrir, à leur prouver qu’ils peuvent tout à fait intégrer ce type de collection parmi des collections plus traditionnelles.

Est-ce pour cette raison que vous avez créé l’Ethical Trade Place ?
Mon idée était de tendre un fil rouge entre les salons qui avaient lieu et ce qui se passe entre ces événements. Maintenir le lien interprofessionnel entre les créateurs qui sont souvent petits, seuls, isolés et le monde de la distribution qui est concentré et en demande d’informations. A partir de l’outil Internet, je voulais rassembler des créateurs du monde entier, forts d’une démarche commune, sous une même bannière. Ainsi les acheteurs ont accès rapidement et simplement à un panel de créateurs sur une même plateforme. Des styles différents mais une démarche commune.

Sentez-vous que ça avance dans le bon sens et à un bon rythme ?
Pour l’instant, je trouve que les choses vont lentement. Mais lorsque nous avons lancé l’Ethical Fashion Show, il y a huit ans, on vivait l’émergence du marché. Et depuis, le salon a grandi et grossi. Nous avons commencé avec une vingtaine de créateurs, on en compte aujourd’hui une centaine. Tous les jours, des créateurs se trouvent une vocation pour la mode éthique et ce n’est pas toujours simple pour eux. C’est difficile de trouver les matières premières et d’aller jusqu’au bout de la démarche. Et en aval, il faut aussi beaucoup communiquer pour y arriver. C’est ce qu’on essaie de faire, de leur venir en aide pour informer suffisamment et mettre en relation.

Rassurer le public et expliquer

Croyez-vous que le public doit encore être informé sur cette mode éthique ?
On est sur un créneau très tendance, mais les gens ne savent pas trop à quoi ça correspond. Voyez votre première question. Tout le monde en a une propre définition. Les gens se posent beaucoup de questions et ont besoin d’informations et de contenus pour mieux comprendre en quoi ça consiste.

Et puis comment être sûr qu’un produit, venu de très loin, est effectivement créé dans les conditions du commerce équitable ?
Au niveau de la traçabilité, ce n’est pas simple. Mais notre questionnaire est très formel et correspond à un vrai engagement de la part du créateur. Il doit nous expliquer avec qui il travaille, comment il travaille, pourquoi il travaille ainsi. J’adorerais faire le tour du monde pour vérifier mais je n’ai malheureusement pas les moyens.
C’est difficile et aussi très lourd à mettre en place pour le créateur de prouver par A + B que tout le cheminement, que toute la chaine, de la matière jusqu’à l’expédition du produit, est vraiment éthique. Mais je crois que ces créateurs qui font la démarche de créer une collection avec du sens, ont toujours une histoire derrière. Ils ont en général à cœur de les raconter. Ce n’est pas qu’un sac, qu’un vêtement, qu’un bijou. C’est en plus l’histoire d’une rencontre avec un pays, avec une communauté, avec une ONG (organisation non gouvernementale, NDLR). Il s’agit d’abord d’une histoire humaine qui impulse la création. Il faut qu’ils diffusent cette information, qu’ils racontent l’histoire aux clients, pour le rassurer.

Internet est-il un outil primordial pour ces créateurs ?
Internet est vraiment un outil indispensable, oui. Ils peuvent communiquer avec la cible la plus large possible dans un minimum de temps. Internet permet de donner une proximité à ces démarches qui sont parfois lointaines (Cambodge, Pérou, Argentine) et est un bon support pour raconter l’histoire de la création.

Qu’est-ce qui est le plus difficile pour un créateur qui aimerait se lancer dans la mode éthique ?
Pour un jeune créateur, le plus compliqué est de trouver les filières et les matières appropriées. Faire de la mode, c’est mélanger les matières, trouver des couleurs et des teintures. Ça a beaucoup évolué ces dernières années mais il y a quelque temps, le nombre de couleurs en teinture végétale était assez limité. Et on ne peut pas faire de la mode qu’en plus blanc que blanc, moins blanc que blanc et noir et coquille d’œuf. Depuis quelques années, des industriels en Inde, même en France, ont commencé à travailler le process de teinture végétale et donc à ouvrir de nouvelles opportunités de couleurs pour les créateurs. C’est vraiment un gros travail de recherches pour trouver les matières, les produits, les process industriels qui correspondent à ce qu’ils ont envie de faire.

Faudrait-il tous les regrouper ?
Oui, c’est ce qu’il faudrait faire. Un site s’est mis en place aux Etats-Unis, réalisé par une marraine de l’Ethical Fashion Show, Summer Rayne. Il s’agit d’une plateforme, comme la mienne, mais en amont. Elle recense tous les fournisseurs de matières premières, teintures, etc. C’est surtout concentré sur le continent nord-américain mais peut vraiment aider les personnes qui veulent se consacrer à la mode éthique.

Ce qui peut aussi faire baisser les prix souvent trop élevés de la mode éthique ?
Jusqu’à présent, la plupart des créateurs en mode éthique sont jeunes et petits. Ils commencent avec des petites collections, ils font de la slow fashion. Et ils ne sont capables de ne faire que des petites quantités. Mais maintenant que des industriels commencent vraiment à réfléchir à ce concept de mode éthique, on pourra avoir des créateurs capables d’assumer des volumes un peu plus importants parce que moins chers. Ce qui fera baisser les prix pour les consommateurs.

Où est-ce que la mode éthique rencontre le plus de succès ?
Elle a beaucoup de résonnance sur le marché anglais. Ça bouge bien aussi aux Etats-Unis sur la côte Ouest. Et bien sûr l’Allemagne, toujours avant-gardiste dans ces domaines, mais il s’agit surtout de styles sportwear, pas couture comme en France ou en Angleterre.

Ne croyez-vous pas que l’engouement pour l’éthique est uniquement un phénomène de mode ?
Je suis convaincue que ce n’est pas un phénomène de mode. Je pense que c’est un mouvement de fond qui évolue lentement parce qu’il fait changer les mentalités, fait réfléchir sur sa garde-robe. "Même si la mode est rose cet été est-ce que je ne peux pas quand même ressortir mon t-shirt violet de l’année dernière". Il s’agit de consommer moins. Mais mieux.