En librairies : des histoires de femmes

En librairies : des histoires de femmes

En librairies : des histoires de femmes

En librairies : des histoires de femmes

13 juin 2025

Coup de coeur pour la primo-romancière Adèle Yon, qui détruit le mythe familial avec son magnifique Mon vrai nom est Elisabeth. Un chouette petit bonbon acidulé : Faire sans, de Marie Maher. Histoires de sororité, des destins de femmes valeureuses en BD, avec Caroline Cohen Ring. La prose hallucinée de Phoebe Hadjimarkos Clarke avec Aliène, Prix du livre Inter.

Mon vrai nom est Elisabeth d'Adèle Yon

Coup de cœur : Mon vrai nom est Elisabeth d’Adèle Yon

Je suis venue la voir avec toute la terreur, toute la colère et toute la honte que m’inspirait sa mémoire. 

Avec ce remarquable premier roman, Adèle Yon règle ses comptes avec les tabous de l’histoire familiale. Elle enquête sur Betsy, son arrière-grand-mère, longtemps désignée comme « folle » et internée dans les années 50. Mi-récit, mi-enquête, le texte se déploie comme une spirale vertigineuse. On part d’un prénom, Élisabeth, qu’on n’osait pas prononcer. On ouvre les archives. On déterre des dossiers. Et on découvre l’engrenage psychiatrique, les diagnostics à l’emporte-pièce, les traitements barbares dont la lobotomie, obsession de l’époque. « (…) le corps apparaît comme une propriété de l’homme (ou de la science, ou de l’institution) sur lequel des expérimentations peuvent librement être conduites ».

Car il s’agit, encore et toujours, de silencier les femmes, d’orchestrer une répression du féminin quand il est sexualité, parole, colère, quand il déborde du cadre social. Il y a du Virginia Woolf et du Annie Ernaux chez la normalienne Adèle Yon dans cette manière de mêler rigueur documentaire, introspection et lucidité féministe. Elle dresse un magnifique portrait, douloureux et dramatique, d’une femme dont la vie a été fracassée par la norme et le joug de l’arbitraire et du patriarcat, rappelant qu’écrire, c’est aussi rendre justice.

Mon vrai nom est Elisabeth, Adèle Yon, Éditions du Sous-sol, 400p, 06/02/2025

Faire sans de Marie Maher

On recommande : Faire sans de Marie Maher

La petite a besoin d’un endroit où vivre, où écrire sa thèse. Ce sera au 37 bis, son endroit secret, dans cet appartement dont elle signera le bail en refusant de visiter, si convaincue qu’elle est d’y être à la juste place. Il y a le chauffe-eau qui chuchote et le gros radiateur en fonte qui rassure quand on enroule ses mains autour des tuyaux, avec son odeur « qui vous fait croire que le monde va bien, qu’on a le temps, que ce n’est pas la peine de courir comme ça ». Il y a aussi Mademoiselle, à l’étage, qui désormais vit seule sous ces toits où autrefois s’épanouissait son si grand amour.

Au bout de la rue, il y a aussi Richard, Gérard de son prénom d’avant, ancien torréfacteur, désormais magasinier de la droguerie où travaille la petite. Car elle a insisté pour se faire employer là, malgré ses six années d’études. Les deux s’entendent à merveille.

Faire sans, de Marie Maher, est un petit roman de la perte, décliné en indolentes et mélancoliques variations du deuil et du retour à la vie. Un roman choral plein de tendresse douce-amère, d’une absurdité un peu poétique, tout en personnages surannés, empreints d’une singulière étrangeté. Un diptyque en quatre saisons, qui se suivent et ne se ressemblent pas. L’hiver sera long et douloureux, l’été court et lumineux. Car le 37 bis est boussole et seconde chance pour ces trois solitudes qui se rencontrent.

Faire sans, Marie Maher, Seuil, 108p, 02/05/2025

Histoires de sororité de Caroline Cohen Ring

Pourquoi pas : la bande dessinée Histoires de sororité de Caroline Cohen Ring

BD de l’émancipation et de l’entraide féminines à travers les âgesHistoires de sororité met en lumière cette solidarité entre femmes souvent éclipsée par les clichés de rivalité. L’autrice et illustratrice, Caroline Cohen Ring, rend un bel hommage graphique à toutes ces femmes, célèbres ou oubliées, qui ont marqué l’histoire par leur courage et leur engagement, et dont les luttes résonnent encore aujourd’hui.

Aux côtés de Cléopâtre, Jeanne d’Arc ou des Amazones, on découvre des reines révoltées comme Boadicée, des guerrières scythes, des poétesses ou écrivaines engagées comme Sappho ou Christine de Pizan, mais aussi des espionnes (Etta Palm d’Aelders) ou des militantes féministes telles que Millicent Fawcett, Emmeline Pankhurst, Huda Shaarawi ou les sept sœurs Nardal.

Le dessin, agréable bien que parfois un peu enfantin, accompagne une narration fluide, organisée de manière chronologique ou thématique. L’ouvrage a une vraie dimension instructive et pédagogique, comme en témoigne la section « Qui porte la culotte », qui explore la symbolique des vêtements féminins : « Jupes, robes, nuisettes : le vêtement féminin est toujours ouvert, en opposition aux tenues des hommes. L’intégralité de la garde-robe de la femme la rend intimement accessible. »

Histoires de sororité, Caroline Cohen Ring, Glénat, 160p, 19/02/2025

Aliène de Phoebe Hadjimarkos Clarke

Pourquoi pas : Aliène, Prix inter 2024, de Phoebe Hadjimarkos Clarke

Ô vous les très-hauts pour qui il est inconcevable de mesurer ce qu’est une vie de crainte, une vie où la peur, tandis qu’elle nous dévore les entrailles, ne doit jamais être dite ni montrée, mais bat dans les veines en tachycardie, glas sans fin, tous les jours que dure une vie, considérez un instant ces existences-là, toutes ces autres existences marquées par l’inquiétude.

Conte métaphysique, fable féministe, récit d’anticipation, enquête sociologique, miroir acéré de notre monde, Aliène est un véritable OVNI littéraire. Une histoire déroutante, presque hallucinante, aux frontières du surréalisme, et c’est sans doute ce qui a valu à Phoebe Hadjimarkos Clarke le prix Inter 2024.

L’œil de Fauvel a été arraché par un tir de LBD lors d’une manifestation de Gilets jaunes. De cette blessure on ne saura presque rien, sinon qu’elle est habitée par une peur qui lui colle aux entrailles.  La peur « dégouline en elle, l’embrase, la berce, la noie. (…) La peur fait puer, la peur empeste. Elle est infamante, elle empêche bien des choses ». Alors Fauvel se met au vert. Seule dans un village initialement perçu comme un refuge face aux violences de la ville, elle est chargée de garder Hannah, la chienne du père d’une amie. Hannah, clonée dans un laboratoire américain et qui côtoie le chien initial, dont l’imposant corps empaillé trône dans le salon. Mais des animaux mutilés sont retrouvés dans la forêt, et d’inquiétants chasseurs, qui affirment avoir été enlevés par des extra-terrestres, ont une dent contre Hannah, la chienne-fauve, herculéenne, imprévisible…

L’écriture de Clarke est poétique, originale, d’une grande richesse lexicale – infundibuliforme, de la forme d’un entonnoir, apprendra-t-on. Le récit, dense, presque hypnotique, brosse une ambiance moite, glauque, crue, à la limite du cauchemar. Pour le lecteur, qui oscille entre malaise et fascination, Aliène est une expérimentation.

Aliène, Phoebe Hadjimarkos Clarke, Éditions du Sous-sol, 288p, 05/01/2024

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