Une journée comme les autres débute à l’auberge Fujiya, nichée au cœur des montagnes japonaises. Mais cette normalité déraille subitement comme le constate Mikoto (Riko Fujitani), une employée de l’auberge. Alors qu’elle se trouve sur la berge de la rivière Kibune qui coule au pied de l’auberge, Mikoto n’a que deux minutes devant elle avant d’être renvoyée à son point de départ.

Au fil de la répétition de ces boucles temporelles, les employés et les clients de l’auberge se font une raison : ils sont bloqués dans une boucle temporelle qui se répète avec une précision diabolique, toutes les 120 secondes. Alors qu’ils prennent tous conscience de cette boucle, ils s’organisent pour tenter de faire repartir le temps dans le bon sens.

Bis repetita

Ce n’est pas la première fois que le réalisateur Junta Yamaguchi joue avec le temps. Il s’est en effet remarqué avec Beyond the Infinite Two Minutes (2020) dans lequel un dirigeant d’un café découvre que la télévision de l’établissement montre des images de ce qui va se passer deux minutes dans le futur. Le succès du film qui a reçu une vingtaine de prix a encouragé le cinéaste à poursuivre dans cette veine de la science-fiction manipulant le temps, au point de conserver ce délai de deux minutes.

Le projet s’est concrétisé avec le producteur du cinéaste et Europe Kikaku, une troupe de théâtre dont il fait partie. Écrit par Makoto Ueda qui a créé la compagnie de théâtre, En boucle s’inscrit dans la désormais longue liste de films où les personnages se retrouvent bloqués dans une temporalité qui se répète à l’infini, à l’instar du malchanceux journaliste Phil dans le classique Un jour sans fin (1993).

Still Looping You

Contrairement à son premier film, Junta Yamaguchi est moins rigide sur la répétition du temps dans En boucle. Les scènes ne durent pas toujours exactement deux minutes pour permettre de faire avancer l’histoire, malgré sa répétition. Il faut reconnaître que le scénariste a imaginé une histoire exigeante : deux minutes, c’est très court pour faire avancer une histoire.

Pour contourner cette contrainte, tous les personnages constatent et se souviennent que le temps bégaie à chaque réinitialisation temporelle. Ainsi Mikoto, notre repère dans toute cette confusion, n’a pas à convaincre son entourage qu’ils sont dans une boucle temporelle contrairement à l’employé d’une agence de publicité dans le sympathique Comme un lundi (2022) – lire notre critique. En boucle respecte, à quelques secondes près, le concept des deux minutes se répétant à l’infini en filmant chaque séquence en une plan séquence. Mais le résultat déroute par sa réalisation qui fait le choix d’accompagner Mikoto dans ses trajets à travers l’auberge tout en essayant de capter toutes les réactions des autres protagonistes face à cette répétition temporelle inconcevable.

Pièces de boulevard

En suivant Mikoto avec une caméra à l’épaule dans chacune des versions de ces deux minutes qui se répètent à l’infini, En boucle ajoute une certaine distance à une situation déjà fantastique. Pour que le film fonctionne, Mikoto doit se trouver à chaque fois où se déroule les éléments permettant de faire avancer l’action pour permettre au spectateur d’en prendre conscience.

Le procédé s’avère de fait assez artificiel, d’autant plus que la caméra à l’épaule trahit sa présence, révélant le procédé cinématographique. On regrette presque que l’actrice ne s’adresse pas directement à la caméra comme à un collègue, ce qui expliquerait son omniprésence. Deux minutes c’est court, d’autant plus lorsqu’il y a autant de personnages. En boucle accumule les courtes scénettes qui peinent à véritablement créer un ensemble crédible, à part lorsque tous se retrouvent réunis pour tenter de résoudre le mystère.

Mais, pour en arriver là, il faut passer par des péripéties assez absurdes. Ainsi un client se promène dans l’auberge avec une serviette autour de la taille car il en a marre de prendre une douche devenue éternelle. Une vision qui choque plus que de raison la gente féminine présente à la pudeur surjouée. L’ensemble fait parfois penser à une pièce de théâtre de boulevard filmée, dans un décor sur plusieurs niveaux.

À en perdre la raison

En boucle souffre d’une forme trahissant son statut cinématographique qui n’aide pas à se projeter dans son univers et, sur le fond, certains choix scénaristiques laissent songeur. Avant que la troupe se rassemble avec le but commun de briser la boucle, chaque personnage prend conscience, plus ou moins rapidement, que le temps se répète.

Et pour certains personnages l’étrangeté de la situation ne semble pas les émouvoir plus que ça. Ainsi Taku (Yûki Torigoe), employé de l’auberge, apprend par Mikoto que le temps se répète toutes les deux minutes alors qu’il s’était isolé pour écouter de la musique. Il a pourtant vécu depuis le début du film une multitude de boucles sans s’alarmer d’écouter toujours la même boucle musicale de cent vingt secondes.

La prise de conscience tardive de certains personnages ou leur flegme étonnant face au fait d’être pris au piège dans une boucle temporelle n’aide pas véritablement à entrer dans l’histoire. L’un des employés de l’auberge se transformant subitement en scientifique pour enquêter sur le phénomène n’est pas plus crédible.

Après quelques fausses pistes sur la raison de cette étrange répétition du temps, En boucle propose un ultime retournement de situation que l’on peut considérer comme paresseux. À moins d’y voir un hommage à une science-fiction un brin désuète, ce qui range le film dans la case d’une farce au concept ambitieux mais à la réalisation bancale. Une prochaine fois, peut-être ?

> En boucle (Ribâ, nagarenaide yo), réalisé par Junta Yamaguchi, Japon, 2023 (1h26)