« Edmond », nez sous une bonne étoile

« Edmond », nez sous une bonne étoile

« Edmond », nez sous une bonne étoile

« Edmond », nez sous une bonne étoile

Au cinéma le 9 janvier 2019

Décembre 1897 à Paris. Le jeune Edmond Rostand travaille sur Cyrano de Bergerac, une pièce à laquelle personne ne croit. Et pourtant... Comédie réjouissante, Edmond dévoile la genèse tortueuse de cet échec annoncé devenu le plus grand succès du théâtre français avec un subtil mélange de rire, d'émotion et de panache.

Alors que l’année 1897 touche à sa fin, Edmond Rostand (Thomas Solivérès), pas encore trente ans mais déjà père de deux enfants, rumine ses angoisses d’écrivain. Malgré son amitié avec la célèbre Sarah Bernhardt (Clémentine Célarié), l’auteur qui s’entête à écrire en vers en faisant fi des critiques peine à se faire un nom dans le microcosme théâtral. Sa dernière pièce, La Princesse lointaine, n’a pas suscité l’enthousiasme escompté. Pire, voilà deux ans que le dramaturge malheureux n’a pas écrit une ligne.

Forçant le destin, il propose une nouvelle pièce à Constant Coquelin (Olivier Gourmet), grand acteur de l’époque. Celui-ci accepte sur le champ et souhaite monter cette comédie héroïque au plus vite pour qu’elle soit jouée pendant les fêtes de fin d’année. Un enthousiasme précipité qui n’arrange pas l’auteur qui n’a pour le moment pas écrit une seule ligne de cette pièce dont il n’a que le titre en tête : Cyrano de Bergerac. De l’écriture à la naissance sur scène de cette œuvre vouée à être un naufrage avant même la première représentation, le jeune écrivain va devoir affronter moult obstacles.

Tiraillé entre les caprices de l’actrice Maria Legault (Mathilde Seigner) incarnant Roxane, les exigences de deux producteurs corses suspects, la jalousie de sa femme — la poétesse Rosemonde Gérard (Alice de Lencquesaing) —, les histoires de cœur de son meilleur ami Léo Volny (Tom Leeb) et le manque d’enthousiasme général, Edmond Rostand va devoir faire preuve de beaucoup de patience et de courage pour mener à terme un projet qui marquera à jamais l’histoire du théâtre français.

Edmond © Légende - Rosemonde Films

Merci Molière !

Imaginé il a plus de quinze ans, Edmond est un projet qui mêle cinéma et théâtre de façon étonnante, au sein même de sa création. En 1999, Alexis Michalik découvre le film Shakespeare In Love (1998), réalisé par John Madden. Il est frappé par cette histoire basée sur des faits réels qui raconte comment le jeune William Shakespeare, alors criblé de dettes, retrouve l’inspiration auprès d’une jolie muse et écrit Roméo et Juliette. Il pense alors à la pièce Cyrano de Bergerac, le plus phénoménal et dernier succès du théâtre français juste avant l’avènement du cinématographe des frères Lumière qui viendra vampiriser une partie importante de son public.

Étonnamment, la genèse de cette pièce devenue mythique n’a jamais été racontée sur grand écran. Alexis Michalik en est certain, il tient là une histoire en or ! Mais l’auteur se voit refuser son scénario, l’aventure est jugée trop onéreuse, trop risquée. C’est donc sur les planches que le projet va voir le jour : Edmond succédant aux pièces précédentes de l’auteur, Le Porteur d’Histoire et Le Cercle des illusionnistes.

Récompensée par 5 Molières, la pièce jouée au Théâtre du Palais Royal attire subitement l’attention de l’industrie cinématographique dont il faut noter au passage la frilosité et la grande hypocrisie. Les fonds nécessaires réunis, le projet peut enfin être porté sur son support initial : le grand écran.

Edmond © Légende - Rosemonde Films

Le cinéma théâtral

Cinéma et théâtre, les deux arts frères ennemis se retrouvent également entremêlés à l’écran. Le réalisateur semble avoir tout fait pour capter la vitalité des planches dans sa comédie. Ne pouvant interrompre les représentations de la pièce qui continue à faire salle comble, Alexis Michalik a réuni un casting différent pour sa version cinématographique mais il a recréé une troupe soudée, comme sur les planches. Un pari réussi tant le bonheur de jouer des acteurs — tous très inspirés — est évident à l’écran.

Dans le complexe rôle mis en abyme d’un acteur qui joue pour la première fois le personnage de Cyrano, Olivier Gourmet — trop rare dans les comédies — assure magnifiquement en tenant à distance respectueuse le poids encombrant du mythe.

Moins expérimentée, Lucie Boujenah — nièce de Michel et jusque là surtout connue pour son rôle dans la série Soda avec Kev Adams — incarne quant à elle avec une grâce charmante Jeanne, une jeune habilleuse faisant tourner la tête d’Edmond et de son meilleur ami. Taquin, Alexis Michalik endosse le costume de George Feydeau, auteur en pleine gloire qui se moque du pauvre Edmond Rostand empêtré dans ses pièces boudées par le public.

Edmond © Légende - Rosemonde Films

Une façon pour le cinéaste de faire un clin d’œil amusé à son propre statut d’auteur à succès. Cette énergie contagieuse dégagée par les acteurs, le réalisateur réussit non seulement à la capter mais également à la servir avec brio. En tournant avec une Steadicam pour accentuer la mobilité des prises de vues, Alexis Michalik ne tombe pas dans le piège du théâtre filmé, même lorsque ses plans séquences montrent simplement des acteurs répétant sur une scène. La réalisation rythmée sert des répliques qui ne manquent pas de panache. Alexis Michalik n’aime pas les temps morts, cette phobie se remarque à l’écran.

Malgré son titre, Edmond n’est pas un biopic sur l’auteur de Cyrano de Bergerac mais bien une comédie fantaisiste au tempo résolument moderne sur la création d’une œuvre immortelle. Et derrière l’hommage à l’auteur et à la célèbre pièce, c’est bien une déclaration d’amour au théâtre, à ses comédiens et à sa magie qui rayonne à l’écran.

L’auteur, sa muse

À l’instar de Cyrano de Bergerac — dont le succès phénoménal vaudra à Edmond Rostand d’être décoré de la Légion d’Honneur et d’être admis à l’Académie française dans la foulée de la première représentation —, Edmond est une œuvre à multiples facettes. La pièce acceptée par Coquelin est censée être une comédie mais le jeune dramaturge a bien du mal à se défaire de son sens du tragique qui se révèle lors du dernier acte.

Edmond © Légende - Rosemonde Films

Comme la pièce dont il propose la genèse, le film d’Alexis Michalik amuse et émeut avec la même sincérité. Comédie pure, comédie romantique ou encore tragi-comédie ? Edmond est un peu tout ça à la fois, à mi-chemin entre le théâtre et le cinéma et ce subtil mélange des genres lui va à ravir. En remettant au goût du jour la pièce, le cinéaste invite à la (re)découvrir mais aussi à se plonger dans la biographie d’Edmond Rostand. Si le réalisateur a admis avoir raccourci la période imposée à l’auteur pour créer son chef-d’œuvre afin d’intensifier l’enjeu, de nombreuses pistes restent inexplorées pour le spectateur curieux.

Comme souvent dans les biopics, la frontière entre la vie de l’auteur et son œuvre est assez floue : le grand public — et encore plus les scénaristes — cherchent toujours à déceler — à tort ou à raison — dans la vie privée d’un artiste les éléments qui préfigurent, expliquent voire excusent les inclinaisons de son œuvre. Quitte à inventer une sorte de répétition générale « réelle » de l’œuvre dans la vie de son créateur avant sa conception, comme si l’inspiration ne pouvait être que autobiographique. Au spectateur alors de tenter de déceler les personnages inventés pour romancer le réel.

Edmond © Légende - Rosemonde Films

Les rapports ambigus — et a priori totalement fantasmés — entre Edmond Rostand et Jeanne, sa muse, restent toutefois touchants pour ce qu’il disent de l’inspiration poétique. Dans le petit monde qu’il a recréé, Alexis Michalik peut se permettre ces écarts scénaristiques car la sincérité de l’hommage à la puissance du théâtre et à ceux qui le font vivre crève l’écran. C’est bien là le cœur de ce film dédié à un art qui, à l’époque, pensait ses jours comptés à cause de l’arrivée du cinématographe, nouvelle sensation attirant les foules.

Et pourtant, plus d’un siècle plus tard, c’est bien le succès théâtral d’une pièce sur la genèse de Cyrano de Bergerac qui a permis à Edmond de se concrétiser au cinéma. Le théâtre classique au secours du cinéma en somme… l’auteur angoissé de Cyrano aurait probablement savouré cette douce ironie.

Profondément ancré dans les planches de la fin du 19ème siècle, Edmond est un vrai film de cinéma au phrasé d’époque mais résolument moderne. Une comédie enlevée et touchante qui rend un bel hommage aux glorieuses dernières heures d’un théâtre bientôt détrôné dans le cœur du public par les images projetées. À vue de nez, succès assuré.

> Edmond, réalisé par Alexis Michalik, France, 2019 (1h49)

Edmond

Date de sortie
9 janvier 2019
Durée
1h49
Réalisé par
Alexis Michalik
Avec
Thomas Solivérès, Olivier Gourmet, Mathilde Seigner, Clémentine Célarié, Alice de Lencquesaing, Tom Leeb
Pays
France