Voilà six ans que Ralph la casse, le grand costaud sensible du jeu vidéo Felix Fixe Jr, et Vanellope von Schweetz, jeune pilote intrépide du jeu Sugar Rush, sont devenus amis. Lorsque la borne dans laquelle vit Vanellope est malencontreusement cassée par une cliente, les deux acolytes décident de partir à la recherche d’une pièce de rechange dans « Internet », ce truc énigmatique que le propriétaire de la salle d’arcade vient d’installer. Le temps est compté, les deux amis doivent faire parvenir la pièce avant que la borne soit mise à la casse ce qui priverait Vanellope de son jeu à tout jamais. Mais dans l’univers infini et fascinant d’Internet, Ralph et Vanellope vont découvrir que leurs projets divergent. Au point de mettre fin à leur amitié ?
LOLternet
Dans Les Mondes de Ralph (2012) [lire notre chronique], l’intrigue était centrée sur la rencontre improbable entre deux personnages de jeu vidéo : Ralph, le méchant détruisant inlassablement un immeuble avec ses énormes mains, et Vanellope, une jeune fille adepte de course automobile dans un univers très sucré et coloré. Sans surprise, le premier opus — rempli de clins d’œil à l’univers des jeux vidéo « vintage » — imposait une leçon que l’on voyait venir de très loin : les méchants peuvent aussi avoir bon fond, il ne faut pas se fier aux apparences. Le résultat était amusant et sympathique mais manquait d’aspérités pour dépasser le statut de film pour enfants.
En propulsant les deux personnages dans le vaste univers du web, Ralph 2.0 s’offre l’occasion de jouer avec les très nombreuses références liées au réseau mondial et ne s’en prive pas. Les insupportables pop-up et leurs messages indésirables, les enchères d’Ebay où Ralph et Vanellope souhaitent remporter la pièce de rechange pour la borne endommagée, le système des « cœurs » sur les contenus et le buzz qui en découle, les inévitables lolcats, les bugs et autres déconnexions intempestives… Nombreux sont ces éléments qui font — pour le meilleur et pour le pire — Internet et que l’on retrouve gentiment moqués dans le film. Le réseau mondial est matérialisé en une mégalopole gigantesque — les sites sont des immeubles dans lesquels se promènent les Cybériens, des petits personnages symbolisant les internautes — et les blagues sont en général très drôles. Il est d’ailleurs conseillé de voir le film en version originale pour les voix mais aussi pour les jeux de mots basés sur les noms de certaines marques qui sont difficilement traduisibles en français.
Moins candide que le premier film, cette suite évoque également le côté obscur du web. C’est assez furtif — cela reste un film pour enfants — mais l’effort de ne pas brosser un portrait trop enchanteur d’Internet mérite d’être souligné. Ralph découvre ainsi le dark web, ce réseau caché dans lequel il est possible de se procurer des choses illicites. Evidemment aucune arme ou drogue dans ce monde souterrain mais un virus — informatique, bien entendu. Mais, plus intéressant encore que l’évocation du dark web, Ralph 2.0 expose son héros costaud aux inconvénients de la notoriété numérique. Alors qu’il fait le buzz avec des vidéos reprenant les codes de ce qui fascine sur le web, Ralph découvre, incrédule, le revers de la médaille : la haine — évidemment anonyme — qui se déverse d’autant plus facilement que son venin est lâchement craché par un internaute confortablement planqué derrière son écran. Une scène courte mais courageuse qui s’éloigne un moment de l’esprit « feel good » propre à Disney pour évoquer avec tact le sujet très actuel de la malveillance en ligne.
Troller Disney
Les exemples d’œuvres moquant ceux qui les financent ou diffusent sont rares. Il faut être une institution comme Les Simpson, par exemple, pour pouvoir se moquer ouvertement et à répétition de la chaîne qui vous diffuse, en l’occurrence la très conservatrice Fox. Dans le monde aseptisé de Disney, le recours à l’autodérision et au second degré est assez rare pour ne pas dire inexistant. Lorsque Vanellope se retrouve contre son gré — elle préfère la dangereuse course infernale Slaughter Race — dans l’univers Disney, la scène permet de prendre conscience du mastodonte qu’est devenu la marque. Au sein du puissant empire Disney elle croise évidemment le nom de Pixar mais aussi ceux de Marvel ou encore Star Wars. Mais le plus intéressant est la confrontation entre la gamine espiègle et les princesses Disney qui se retrouvent réunies dans la même pièce.
Une première image de cette rencontre dévoilée en avant-première avait d’ailleurs suscité la polémique. Des internautes avaient en effet remarqué que le célèbre studio avait blanchi la peau et modifié les traits de deux de ses princesses pour les affiner : l’indienne Pocahontas et Tiana, l’héroïne noire de La Princesse et la Grenouille (2009). Devant le tollé, Disney a revu sa copie et dans le film les deux princesses ont fort heureusement retrouvé leurs traits et leur couleur de peau d’origine. Cette navrante « erreur » corrigée, la scène dans laquelle Vanellope converse avec les princesses — dont un extrait figure dans la bande annonce — est d’une impertinence hilarante. Avec cette confrontation, les deux réalisateurs Rich Moore et Phil Johnston — qui ont travaillé sur le premier film et le très réussi Zootopie (2016) [lire notre chronique] — livrent une charge savoureuse contre la société patriarcale en pointant du doigt tout ce qui ne colle pas dans la représentation de la femme version princesse Disney. Une observation qui est d’autant plus pertinent pour les princesses des films adaptés de contes classiques. Fort heureusement, la jeune Vanellope va aider ces jeunes femmes à adopter une attitude plus moderne vis à vis de la gente masculine et de la société en général. Cette scène moquant les princesses Disney pour ce qu’elles représentent symbolise le virage de cette suite vers plus de décalage et d’impertinence mais elle n’est pas la seule à marquer cette révolution vers une plus grande maturité.
Let it go
Ralph 2.0 est clairement moins dans l’esprit « bisounours » du premier opus et cette mise à jour lui va bien. Non content d’égratigner l’image des princesses du studio qui la produit, cette suite ne ménage pas ses propres personnages. Ainsi Ralph est soumis à l’analyse psychologique — oui, carrément — et le diagnostic n’est pas très agréable pour le sympathique héros : insécure et étouffant pour son amie, rien que ça. Le film offre une vision assez moderne de son intrigue : le danger qui pourrait séparer les deux amis ne provient pas de l’aventure en elle-même. Ce n’est pas le nouveau monde d’Internet qui les menace mais bien leur propre comportement face au changement. Une façon de focaliser l’intrigue sur un questionnement intérieur et de mettre le héros face à un dilemme. Avec sa remise en cause de l’amitié née lors du premier volet, Ralph 2.0 met au cœur de son propos la question du sacrifice et gagne en complexité. Une thématique qui fait d’ailleurs écho au dilemme d’Harold dans Dragons 3 : Le monde caché (2019) [lire notre chronique] sorti en salles une semaine auparavant. Malgré une scène de dénouement — avec une référence « classique » à King Kong — qui aurait pu être plus originale, l’humour et la distance malicieuse de cette suite en font un divertissement très appréciable.
Plus complexe que le premier opus, Ralph 2.0 est une suite qui porte bien son nom. Cette nouvelle version est une mise à jour majeure qui ajoute à son programme un second degré et un esprit taquin qui ravira le public plus adulte. Pour toutes ces améliorations, on clique avec enthousiasme.
> Ralph 2.0 (Ralph Breaks the Internet), réalisé par Phil Johnston et Rich Moore, États-Unis, 2018 (1h51min)