« Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles », à fleur de peau

« Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles », à fleur de peau

« Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles », à fleur de peau

« Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles », à fleur de peau

Au cinéma le 20 août 2025

Dans les années 30 au Québec, le frère Marie-Victorin se lie d'amitié avec son étudiante Marcelle Gauvreau qui devient sa collaboratrice. De leur amour de la nature naît une correspondance qui tente d'explorer les désirs charnels qui leur sont interdits. Entre culte et cul, Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles dévoile le lien charmant et ambigu de deux personnalités méconnues en France. Une mise en image d'une relation épistolaire que la cinéaste bouscule avec un tour de passe-passe méta un brin artificiel qui évite néanmoins l'ennui.

Fondateur du Jardin botanique de Montréal, le frère Marie-Victorin (Alexandre Goyette) sympathise avec son étudiante Marcelle Gauvreau (Mylène Mackay) qui décide de changer de trajectoire pour travailler avec lui. Liés par une fascination commune pour la science, le duo, séparé par les circonstances, garde le contact à travers une relation épistolaire. Dans ces lettres, le religieux et sa jeune collaboratrice tentent de comprendre les mystères de la sexualité humaine, sujet ô combien tabou dans les années 30, au Québec comme ailleurs.

Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles © 2023 photo Marlène Gélineau Payette - Max Films Productions - Destiny Films

Rescapés

Pour le français lambda peu au fait de l’histoire de la botanique mondiale, les noms des deux protagonistes de Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles sont inconnus. Pourtant, le frère des écoles chrétiennes Marie-Victorin, né Conrad Kirouac en 1885, est connu au Québec pour deux grandes réalisations : la publication de Flore Laurentienne, inventaire floristique de la vallée du Saint-Laurent en 1935, et la fondation du Jardin botanique de Montréal qui ouvre ses portes au public en 1937. Disparu en 1944 dans un accident de voiture, le religieux a formé une première génération de chercheurs francophones.

De son côté, Marcelle Gauvreau est moins connue, y compris au Québec. Situation assez commune lorsqu’une femme œuvre auprès d’un homme qui lui fait de l’ombre, d’autant plus à l’époque. La cinéaste Lyne Charlebois – cousine du chanteur Robert Charlebois – reconnaît que le film est aussi un moyen de la sortir de l’anonymat. Étudiante en philosophie, Marcelle Gauvreau a 23 ans lorsqu’elle rencontre le frère Marie-Victorin, âgé de 46 ans. Elle décide alors de rejoindre la faculté des sciences dont elle est aussitôt diplômée en 1932.

Tous les deux rescapés de la tuberculose, les deux passionnés de nature se rapprochent et Marie-Victorin embauche Marcelle à titre de secrétaire et bibliothécaire de l’Institut de botanique de l’université de Montréal qu’il dirige. Le titre du film provient d’une devise du frère Marie-Victorin « Je voudrais savoir pourquoi toutes ces choses sont belles ». Une quête que Marcelle Gauvreau, restée célibataire, a continué jusqu’à sa mort en 1968 avec les élèves de l’école de l’Éveil qu’elle fonde en 1935.

Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles © 2023 photo Marlène Gélineau Payette - Max Films Productions - Destiny Films

Le culte entre deux chaises

Pendant douze ans, l’étonnant duo entretient une relation improbable où leur amour impossible s’exprime à travers des lettres au contenu à faire rougir les personnes pieuses les plus ouvertes d’esprit. Séparés par les circonstances, ils se promettent d’entretenir la flamme de « cette belle et sainte amitié ». Une formule prudente pour définir une relation sur laquelle, ils en sont conscients, pèse le poids du regard sociétal, d’autant plus que le contenu des lettres explore un tabou sulfureux : le mystère du sexe chez leurs congénères.

Persuadés que l’étude de la nature doit s’appliquer à tous les êtres créés par Dieu, sans exception, Marie-Victorin et Marcelle se lancent dans des échanges portant sur la sexualité des femmes et des hommes. Cette correspondance hétéroclite où se mêlent bondieuseries vieillottes, théories charnelles et romantisme touchant n’est pas le matériel le plus évident à mettre en image.

Pour relever le défi de cet échange épistolaire à l’écran, la cinéaste opte pour une forme de réalisation classique avec des plans contemplatifs sur la nature d’un académisme relaxant mais qui flirte avec l’ennui. Heureusement, Lyne Charlebois possède une botte secrète pour dynamiser cette romance interdite et mettre en avant la modernité de sa subversion.

Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles © 2023 photo Marlène Gélineau Payette - Max Films Productions - Destiny Films

Amours impossibles

Le subterfuge de la réalisatrice pour nous sortir de notre torpeur consiste à intégrer un aspect méta au récit. L’amour impossible dévoilé à l’écran est en réalité une reconstitution de cette relation, un film dans le film interrompu par des scènes de tournage et des flash-backs avec Antoine et Roxanne, les deux acteurs qui interprètent le couple impossible. Cet écho relationnel est un peu artificiel mais permet de casser la langueur d’un récit dont l’aspect épistolaire pèse sur le rythme.

En ajoutant cette relation en miroir, Lyne Charlebois projette l’histoire du frère Marie-Victorin et Marcelle dans la modernité, revendiquant qu’il s’agit plus d’un film d’amour traversant les époques qu’un film historique. En écho à l’amour impossible du duo qu’ils interprètent, Antoine – Alexandre Goyette, vu dans Mommy (2014) de Xavier Dolan – lire notre critique – et Roxanne, entretiennent une relation aussi complexe que les personnages qu’ils interprètent. Les deux acteurs se connaissent bien puisqu’ils ont eu une relation furtive lors d’un précédent tournage. En couple, Antoine s’est éloigné de Roxanne après cette communion éphémère des corps. L’actrice profite de leurs retrouvailles pour le questionner sur le sens de leur relation.

Ainsi l’ambiance du tournage et le film dans le film renvoient au rôle du sexe dans une relation. L’amour sans sexe entre un homme et une femme peut-il vraiment exister comme semble l’affirmer le relation du religieux avec Marcelle ? Une questionnement qui fait écho à Slow (2023) – lire notre critique – qui l’évoque via le sujet de l’asexualité. Et, à l’inverse, que vaut le relation entre Antoine et Roxanne, purement charnelle sans promesse d’amour ?

Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles © 2023 photo Marlène Gélineau Payette - Max Films Productions - Destiny Films

La ruée vers l’orgasme

Avec la mise en abîme de cette relation impossible, Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles bouscule la mise en images d’une romance qui, échanges de lettres obligent, aurait pu rester un peu trop sage. Aux plans méditatifs sur la nature répondent les flashbacks de la relation torride entre Antoine et Roxanne, substitut à des actes impossibles entre le frère Marie-Victorin et Marcelle.

Obsédé par l’idée de saisir le mystère de l’orgasme féminin, le frère Marie-Victorin est fasciné par ce que Marcelle peut lui confier sur le sujet, par son expérience personnelle ou provenant de confessions de ses amies. Mais le frère va plus loin, il souhaite constater l’orgasme à la source, comme il observerait une fleur en train d’éclore. Le frère Marie-Victorin se retrouve ainsi avec des prostituées pour assister au plus près à une relation lesbienne et une autre fois à l’intimité d’une masturbation, pour la science.

Image blasphème pour le clergé bien pensant et surréaliste pour le spectateur éberlué que ce religieux assis sur une chaise au bout d’un lit, le regard fixé sur l’intimité d’une prostituée en train de se caresser alors qu’il pose des questions et prend des notes sur son carnet. Une observation purement scientifique qui laisse les prostituées stupéfaites lorsque le religieux refuse l’invitation à se joindre aux ébats. Il faut le comprendre, son cœur est ailleurs, couché sur le papier.

Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles © 2023 photo Marlène Gélineau Payette - Max Films Productions - Destiny Films

Évocation d’une relation épistolaire improbable entre un religieux et sa collaboratrice, Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles évite de sombrer dans l’ennui malgré une correspondance difficile à mettre en images. Avec la mise en abyme, via son opposé, de cet amour impossible sans passage à l’acte sexuel, Lyne Charlebois donne corps à une passion interdite dont l’absence de concrétisation charnelle fait la beauté, tout naturellement.

> Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles, réalisé par Lyne Charlebois, Canada (Québec), 2023 (1h39)

Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles

Date de sortie
20 août 2025
Durée
1h39
Réalisé par
Lyne Charlebois
Avec
Mylène Mackay, Alexandre Goyette, Rachel Graton, Francis Ducharme, Sylvie Moreau, Marianne Farley
Pays
Canada (Québec)