Au tout début du XXème siècle, Dilili (Prunelle Charles-Ambron), une jeune kanake arrivée depuis peu à Paris, rencontre Orel (Enzo Ratsito), un jeune livreur en triporteur. Alors que des petites filles sont régulièrement enlevées par de mystérieux Mâles-Maîtres, les deux amis décident d’enquêter sur ces disparitions. Tout au long de leurs recherches, Dilili va faire la connaissance d’hommes et de femmes extraordinaires qui lui donnent des indices pour découvrir la machination qui s’en prend aux femmes de la capitale.
Métissage culturel et name dropping
Le nouveau film du réalisateur de Kirikou et la sorcière (1998) et Azur et Asmar (2006) débute avec la jeune Dilili en tenue traditionnelle entourée de villageois occupés à la préparation du dîner. Puis, la caméra prend de la distance et le spectateur découvre que cette scène de la vie quotidienne est en réalité une reconstitution fabriquée de toutes pièces. Le village de Dilili est un « village indigène », une enclave qui permet aux parisiens de découvrir des êtres différents venant de très loin.
Intrigué par la fillette, Orel, un jeune livreur parisien, monte sur un arbre pour faire sa connaissance. Avec cette rencontre inédite comme point de départ, le film pourrait emprunter le chemin convenu d’une libération de la fillette par le jeune homme curieux : les deux apprenant peu à peu à se (re)connaître. Mais Michel Ocelot pousse un cran plus loin la lutte contre les préjugés en défiant avec une certaine malice ce scénario attendu.
Orel découvre tout d’abord avec stupéfaction que la petite kanake parle parfaitement français — si ce n’est mieux que lui — et qu’en dehors de cette mise en scène, elle loge chez des gens fortunés et n’est nullement dans le besoin. De plus, Dilili a rusé pour quitter sa Nouvelle-Calédonie natale et venir à Paris : c’était son souhait. Qu’on se le dise : cette fillette n’est pas une victime ! Cette mise au point réalisée dès les premières minutes du film, l’aventure des deux nouveaux amis peut débuter.
La jeune kanake va bien être confrontée au racisme lors du périple mais sans en souffrir car elle a toujours une répartie bien sentie pour contrer les remarques xénophobes. Après tout, comme elle l’explique elle-même : en Nouvelle-Calédonie sa peau était considérée comme pas assez foncée, en France elle l’est trop. La petite métisse a l’habitude de devoir trouver sa place, au milieu de deux mondes qui se connaissaient mal.
Les premiers préjugés passés, l’amitié qui lie tout naturellement Dilili et Orel est l’affirmation d’un humanisme que l’on retrouve dans les productions de Michel Ocelot. Avec la jeune kanake, le réalisateur propose un personnage aussi attachant que son célèbre Kirikou. Dilili n’ayant pas besoin d’être sauvée par qui que ce soit, le récit prend alors une autre tournure : avec Orel, c’est elle qui va libérer les fillettes enlevées. Et pour les aider dans leur enquête, le cinéaste s’est fait plaisir en mettant sur la route des deux Sherlock Holmes en herbe un casting foisonnant avec les « stars » de l’époque.
En se plongeant dans l’histoire du Paris de la Belle Époque, ce sont plus de cent personnalités qui ont été recensées par le cinéaste pour ce film hommage à la ville lumière et à ses talents. Si tous ne sont pas présents physiquement lors de l’aventure, les clins d’œil sont nombreux et la liste des noms évoqués dans ce Paris fantasmé où toutes les célébrités de l’époque se côtoient donne le tournis.
Au cours de leur aventure, Dilili et Orel rencontrent notamment : Renoir, Rodin, Monet, Degas, Toulouse-Lautrec, Picasso, Proust, Modigliani, Wilde, Ravel, Fauré, Jaurès, Debussy, Edouard VII, Santos-Dumont, Pasteur, Méliès, Eiffel, Marie Curie, Sarah Bernhardt… Au fil des rencontres, Dilili à Paris s’offre quelques moments de grâce, comme lorsque, dans un bar, Erik Satie se met au piano et entame l’une de ses Gnossiennes sur laquelle danse notamment le clown Chocolat.
Si les enfants — et pour certains personnages moins connus les spectateurs adultes — n’ont pas forcément toutes les références pour apprécier pleinement ces rencontres, elles attisent notre curiosité pour une époque si riche en grands hommes et — chose nouvelle — en grandes femmes ! Parmi celles-ci, Dilili retrouve avec bonheur Louise Michel qui fut un temps déportée en Nouvelle-Calédonie et que le réalisateur imagine alors ancienne institutrice de la jeune kanake.
Son nom a moins été retenu par l’histoire mais la cantatrice Emma Calvé très célèbre à l’époque — à qui Natalie Dessay prête sa voix et son chant — est également une aide précieuse pour mener Dilili et Orel aux mystérieux Mâles-Maîtres.
Métissage visuel et girl power
Le métissage n’est pas incarné seulement par la jeune héroïne, il est également dans la forme même du film avec un résultat qui peut laisser un peu perplexe. Pour son hommage à Paris, Michel Ocelot a photographié la ville sous tous les angles et a utilisé ces clichés — numériquement débarrassés de toute trace de modernité — comme toile de fond aux aventures de Dilili.
Il a notamment eu accès aux collections du musée d’Orsay et du musée de l’École de Nancy pour recréer la déco — totalement fantasmée — de l’appartement de Sarah Bernhardt. Les personnages réalisés avec une 3D simplifiée par des apports de 2D pour des raisons de coûts et esthétiques viennent se superposer sur ces photos retravaillées.
Au spectateur de juger du rendu final qui peut surprendre mais également déranger : le premier plan constitué par les personnages et des éléments dessinés s’appliquant de façon assez hétérogène au reste du décor.
Contrairement à l’adorable Dilli, ce métissage visuel n’est pas forcément le plus réussi. Les deux éléments — le fond et les personnages — étant par ailleurs chacun parfaitement réalisés, leur association peut paraître par moment assez artificielle.
Film préparé alors qu’une vague d’attentats sanglants touchaient la France, le nouveau conte de Michel Ocelot s’est nourri de cette ambiance particulière. Au-delà du propos sur le vivre-ensemble cher au cinéaste, Dilili à Paris résonne avec l’actualité du mouvement de libération de la parole des femmes.
Pour le réalisateur, le retentissement du mouvement Me Too marque un choix de société à faire. Selon lui, soit « les hommes et les femmes se développent ensemble et apportent leur pierre à l’édifice » soit « la moitié de la population piétine l’autre ».
Pour illustrer cette alternative, il a inventé cette secte des Mâles-Maîtres qui vit sous la terre et maltraite les femmes. Si l’intention est louable de la part du réalisateur, cette confrérie machiste a du mal à s’intégrer totalement à cette ambiance de la Belle Époque. Alors que les femmes commence à peine à prendre la place qui leur est due en ces années 1900 — la première avocate, la première femme médecin, la première étudiante à l’université montrent alors la voie à suivre —, imaginer une secte si bien organisée par le patriarcat en réponse à ce début d’émancipation semble quelque peu exagéré et anachronique.
L’inclusion de masculinistes décérébrés dans ce Paris du début du XXème siècle ne colle pas tout à fait. Malgré cet aspect superficiel et le trait un peu forcé, Dilili à Paris a l’avantage de mettre sur la table un sujet d’une actualité brûlante et le sort des fillettes enlevées par la secte fantasmée par Ocelot a le mérite d’inviter à la discussion. Aux parents de trouver les mots après la séance pour tenter d’expliquer aux spectateurs les plus jeunes ce monde parfois bien étrange dans lequel nous vivons.
Charmant hommage à la ville lumière et à ceux qui l’ont façonnée, Dilili à Paris est un conte sous forme d’enquête policière qui prend le tortueux chemin d’un anachronisme assumé pour faire réfléchir sur la condition des femmes, actuellement en recul selon le cinéaste. Un propos dont on peut estimer qu’il force un peu trop le trait pour être totalement efficace mais qui a le mérite, comme la courageuse Dilili, d’affronter le sujet de face.
> Dilili à Paris, réalisé par Michel Ocelot, France, 2018 (1h35)