Paris, été 1979. Auprès de LoÏs (Kate Moran), sa monteuse et compagne, Anne Parèze (Vanessa Paradis) produit des pornos gay avec les moyens du bord. Lorsque LoÏs lui annonce son souhait de mettre fin à leur relation, la productrice s’enfonce encore un peu plus dans l’alcool. Soutenue par son fidèle assistant Archibald (Nicolas Maury), Anne envisage alors un film plus ambitieux qui pourrait l’aider à renouer avec celle qu’elle aime.
Mais le projet est perturbé par la mort d’un de ses acteurs, assassiné par un tueur mystérieux. Dans un élan pour le moins morbide, Anne s’inspire du drame pour lancer la production d’un porno policier. Obsédée par l’idée de reconquérir son amante, la productrice se retrouve entraînée dans une enquête qui la rapproche dangereusement du tueur.
La fête du slip
Pour son second long métrage, Yann Gonzalez a trouvé l’inspiration dans un ouvrage plutôt original : le Dictionnaire de la pornographie signé Christophe Bier. La vie d’une productrice de pornos gay dans les années 70 a particulièrement attiré son attention. Alcoolique, homosexuelle et amoureuse de sa monteuse, Yann Gonzalez a conservé certains aspects de sa personnalité pour le personnage incarné par Vanessa Paradis. Mais après moultes recherches et trouvant l’histoire réelle trop glauque à son goût, le réalisateur a néanmoins décidé d’édulcorer un peu le portrait en insufflant une dose de romantisme à son récit.
Si Un couteau dans le cœur intrigue avec un tueur en série cruel et insaisissable, le second long métrage de Yann Gonzalez est avant tout l’autopsie d’une romance contrariée entre une productrice alcoolique à la dérive et sa monteuse qui souhaite changer d’air. Dans la lignée des « thrillers émotionnels » — selon les termes du cinéaste —, le film joue avec les codes du film d’horreur et du giallo et assume l’influence du maître De Palma.
Ce couteau qui s’enfonce dans le cœur est autant une description objectivement brutale des homicides commis que l’état d’esprit de la productrice, se sentant trahie par son amante. Le spectateur adepte des thrillers palpitants pourrait d’ailleurs bien être déçu par le dénouement de l’enquête.
L’ADN de ce thriller charnel est nettement proche du drame romantique que du polar, le contexte meurtrier n’étant qu’un prétexte pour plonger l’héroïne un peu plus profond dans l’abysse.
La faiblesse de la partie thriller du film est en partie contrebalancée par la liberté assez jouissive que le réalisateur s’est accordé en s’appuyant sur un casting solide. Touchante dans ce rôle de femme paumée, Vanessa Paradis voit son instabilité équilibrée par la retenue froide de Kate Moran, formant toutes les deux un couple crédible malgré son instabilité.
Dans un autre registre, Nicolas Maury est irrésistible dans son rôle de bras droit d’Anne, jouant avec une sincérité désarmante un rôle pas évident, sur le fil de la caricature sans jamais basculer totalement dans l’outrance.
Il incarne le côté solaire d’un film qui ne néglige pas l’humour face à la menace inquiétante d’un « tueur d’homos » qui rôde. Se refusant à montrer frontalement la nudité lors des scènes de sexe, Yann Gonzalez filme avec recul et un humour décalé les coulisses de ces productions gay à petit budget dont se dégage une insouciance salvatrice. Une ambiance qui symbolise le calme avant la tempête : encore quelques années de liberté avant l’arrivée d’un fléau nommé SIDA.
Music and lights
Libre au niveau des dialogues, Un couteau dans le cœur l’est également dans son esthétique : partagée entre l’aspect cheap par nature des pornos et des plans éthérés très travaillés qui n’ont rien à envier au monde vaporeux des rêves. Un parti pris esthétique très libre et réussi qui est renforcé par le montage et l’utilisation d’une bande son très inspirée.
Pour la musique, Yann Gonzalez n’a pas eu besoin de chercher bien loin avec qui collaborer puisqu’il a choisi de travailler à nouveau avec son frère Anthony — M83 — qui a été rejoint pour l’occasion par Nicolas Fromageau absent de la formation depuis 2004. Les nappes synthétiques du groupe électro viennent sublimer les séquences les plus oniriques de ce polar sensible.
Drame romantique déguisé en thriller — à moins que ça ne soit l’inverse — Un couteau dans le cœur se sert d’un tueur insaisissable pour mettre en abîme la lente agonie d’une relation amoureuse. Intrigante, la nouvelle proposition de Yann Gonzalez a l’avantage d’assumer les libertés qu’elle prend, à défaut d’être totalement convaincante.
> Un couteau dans le cœur, réalisé par Yann Gonzalez, France – Mexique – Suisse, 2018 (1h42)