Le chef Carl Casper (Jon Favreau) s’est forgé au fil des années une solide réputation dans le monde de la gastronomie mais voit sa créativité bridée par son patron Riva (Dustin Hoffman) qui l’oblige à cuisiner la même carte, soir après soir, pour contenter les fidèles du restaurant Gauloises. Lorsque le célèbre critique culinaire Ramsey Michel (Oliver Platt) publie sur son blog un article assassin sur le manque d’originalité du chef, Carl perd le contrôle et insulte le journaliste sur Twitter, sans savoir que cet échange est visible par tous. S’en suit une violente confrontation entre les deux hommes filmée et diffusée sur le net qui coûte au chef son poste. Sur une idée d’Inez, son ex-femme, Carl décide alors de sillonner les routes à bord d’un food truck spécialisé dans la nourriture cubaine. Il est aidé dans cette aventure par son ancien collègue Martin (John Leguizamo) et son fils de 10 ans qui s’improvise responsable de communication de cette nouvelle aventure sur les réseaux sociaux. Sans surprise, ce voyage permettra au chef de retrouver sa passion pour la cuisine et de renforcer les liens familiaux, aidé au passage par Twitter, la vraie star du film.
Une recette trop prévisible
Dès le départ, le réalisateur des deux premiers volets d’Iron Man – qui incarne lui-même le chef Carl – utilise tous les ingrédients de la comédie de rédemption habituelle : un héros en rupture – ici familiale et professionnelle – qui va surmonter ses difficultés grâce à un retour aux sources salvateur. Et malheureusement c’est ce schéma que Jon Favreau suit jusqu’au dénouement, sans offrir aucune aspérité à cette mécanique si bien huilée qu’elle en perd toute saveur. Comme prévu, le road trip rapproche peu à peu ses protagonistes, entrecoupé de plans sur de savoureux plats préparés sur fond de musique latino, un aspect qui devrait ravir les adeptes des émissions se terminant en –chef à la télé (top ou master, choisissez votre camp). Pour essayer de pimenter le tout, Jon Favreau – plutôt malin – s’est entouré de valeurs sures telles que Dustin Hoffman, patron plus soucieux du chiffre d’affaire de son restaurant que de la qualité culinaire, Scarlett Johansson, serveuse qui entretient avec le chef un rapport plutôt ambigu, et l’indispensable comparse super-héros Robert Downey Jr., l’ex-mari d’Inez, un personnage évidemment un peu barré. Malheureusement ces prestations sans faute sont anecdotiques et peinent à relever la sauce d’une comédie qui peut faire sourire par moments, mais rarement plus. Le film se déroule, lentement, sans accrocs et les quelques tentatives pour l’épicer avec des répliques à l’humour parfois un peu graveleux n’y change rien : la pâte reste désespérément lisse, sans aucun grumeau perturbateur à l’horizon.
#toomuch
Le titre français du film – accolant le fameux hashtag de Twitter au titre original – insiste sur l’importance du réseau social à l’oiseau bleu dans la renaissance culinaire du chef. L’omniprésence de tweets en pagailles dans le film est telle qu’on peut se demander s’il ne s’agit pas d’un placement produit pour le réseau social comme savent si bien le faire, plus ou moins subtilement, les Américains. Certes, Twitter est primordial dans le récit car il permet au fils de renouer le dialogue avec son père en lui apprenant le fonctionnement de l’outil. Le chef en découvre ainsi les bienfaits après en avoir été victime lorsqu’il a cru répondre en privé au critique alors que tout le monde a pu lire sa réponse. Mais l’importance que prend Twitter par la suite semble assez démesurée, seul réseau social cité – à part Vine – il est présenté comme capable de fédérer, et ce comme par magie en quelques jours seulement, une foule se pressant devant le food truck du chef partout où celui-ci s’arrête. Le réalisateur néglige le relais de l’histoire par les autres réseaux sociaux et les médias plus traditionnels et rate au passage l’occasion de montrer que ces derniers courent souvent après l’effervesence des réseaux sociaux, au risque de relayer tout ce qui s’y trouve sans prendre la distance nécessaire.
Si la naissance du fameux « buzz » est plutôt bien vue dans le film sa propagation n’est pas vraiment exploitée et la puissance accordée à Twitter seul semble bien artificielle. De plus, imaginons qu’en France le chef d’un célèbre restaurant étoilé démissionne et fasse, comme Carl dans le film, sa promo uniquement sur Twitter pour faire l’éloge de son tour de France en camion. Il y a quand même peu de chances qu’en quelques jours un engouement aussi important se crée de la part du Français lambda qui ne connait même pas le nom du chef, la clientèle touchée par un grand restaurant et un food truck n’étant pas la même. Il est également difficile d’imaginer un chef avide de nouveauté et d’expérimentation s’enthousiasmer tout à coup pour la production de sandwiches certainement délicieux mais plutôt basiques dans une camionette. Malheureusement le film ne surprend pas assez pour faire oublier ces petites faiblesses scénaristiques et le voyage semble long.
Comédie familiale très convenue, #Chef est – ironiquement – à l’image de la cuisine de son héros au début du film, une recette maintes fois servie qui n’a plus rien d’excitant. Si rien ne peux être reproché aux ingrédients – les acteurs –, la sauce ne prend pas : les plats présentés font saliver mais l’intrigue simpliste risque de laisser plus d’un spectateur sur sa faim. Ce nouveau plat de Jon Favreau est conseillé uniquement aux gourmands en manque de bons sentiments, peu exigeants sur l’originalité. En espérant que le réalisateur nous prépare un Livre de la Jungle plus savoureux pour 2015.
> #Chef (Chef), réalisé par Jon Favreau, 2014 (1h54)